À quels chiffres se fier ?

Les rapports sur la situation des finances publiques se poursuivent avec leurs lots de contradictions et de confusions. Les derniers chiffres annoncés par le PM et contenus dans le dernier rapport de la DGPPE ne sont pas conformes avec ceux contenus dans le rapport de la Cour des comptes, publié en février dernier.
L’arbitrage de la Cour des comptes n’aura pas suffi pour régler définitivement les divergences autour des statistiques sur les finances publiques. Universitaires, journalistes, organisations de la société civile, politiciens, institutions, à chaque entité ses chiffres. Même au sein de l’Administration, certains s’y perdent, ne sachant plus quelle est la bonne source dans ce flot d’informations sur les finances publiques.
Hier, le rapport de la Direction générale de la planification et des politiques économiques (DGPPE) sur la situation économique et sociale est venu s’ajouter à la confusion, avec des chiffres qui diffèrent de ceux contenus dans le rapport de la Cour des comptes, publié au mois de février 2025. Il ressort dudit rapport que “le déficit budgétaire, dons compris, est estimé à 2 668,9 milliards, soit 13,4 % du produit intérieur brut (PIB) à fin 2024, contre 2749,3 milliards (14,8 % du PIB) en 2023, soit une amélioration de 1,5 point de pourcentage.
Or, dans l’audit du rapport sur la situation des finances publiques, la Cour des comptes avait fixé le déficit, pour l’année 2023, à 2 291 milliards F CFA, soit 12,30 %, au lieu des 2 749,3 milliards et du taux de 14,8 évoqués par la DGPPE.
Pour reconstituer le déficit budgétaire, informait le document, la cour a pris en compte les éléments suivants : le montant réel des dépenses financées sur ressources extérieures ; les rattachements irréguliers des recettes ; les décaissements extrabudgétaires financés par une partie du surfinancement ; les décaissements extrabudgétaires financés par le sukuk ; les dépenses financées par la dette bancaire hors cadrage, c’est-à-dire la dette contractée auprès du système bancaire sans autorisation parlementaire, ainsi que l’octroi d’une avance de trésorerie d’un montant de 204,58 milliards F CFA non régularisée.
DGPPE, Cour des comptes, Barclays : chaque structure ses chiffres
Les mêmes constats sont faits au niveau des statistiques relatives à l’encours de la dette. Alors que la Cour des comptes avait fixé le taux d’endettement à un peu moins de 100 % en 2023, le rapport de la DGPPE parle de plus de 110 % en 2023. “L’encours de la dette publique de l’Administration centrale budgétaire est évalué provisoirement à 23 535,9 milliards en 2024 contre 20 674 milliards un an auparavant, soit une hausse de 13,8 %. Le ratio de l’encours de la dette rapporté au PIB est ressorti à 118,3 % en 2024, contre 111 % en 2023” indique la Direction chargée de la planification et des politiques publiques au ministère de l’Économie.
Des chiffres qui ne cadrent pas non plus avec le rapport de la Cour des comptes du mois de février. Lequel avait évalué le ratio dette-PIB à 99,6 %. “L’encours total de la dette de l’Administration centrale budgétaire s’élève à 18 558,91 milliards F CFA, au 31 décembre 2023, et représente 99,67 % du PIB, dont 11 864,20 milliards F CFA au titre de la dette extérieure”, soulignait la haute juridiction.
Cette confusion est d’autant plus importante que chaque jour, le niveau d’endettement se creuse et il est difficile de situer les responsabilités entre l’ancien et le nouveau régime.
Il y a quelques jours, de nombreux médias avaient repris les chiffres de l’évaluation faite par la grande banque d’investissement britannique Barclays qui parlait d’un taux d’endettement de 119 %.
Quelle est la part du nouveau régime dans l’encours de la dette et le déficit ?
Il convient de préciser que ce chiffre, d’après les médias internationaux qui l’ont repris, concerne l’année 2024, dont une partie porte directement sur la gestion du duo Faye-Sonko. D’ailleurs, l’agence Reuters même s’étonnait et s’interrogeait sur ces évolutions permanentes des chiffres sur les finances publiques sénégalaises.
“Pourquoi les chiffres changent-ils sans cesse ?”, se demandaient légitimement nos confrères. L’agence n’avait pas manqué d’apporter quelques éclairages. D’abord, il y a eu l’examen de la Cour des comptes qui évaluait la dette globale à la fin de 2023 équivalait à 99,67 % du produit intérieur brut du Sénégal, ce qui était déjà nettement supérieur au chiffre précédent de 74,41 %. Seulement, malgré le changement de régime et le tollé suscité, la courbe n’a pas faibli, entre mars et décembre 2024.
“... Ce nouveau total (le chiffre de la Cour des comptes) impliquait un emprunt caché d'environ 7 milliards de dollars. Mais en juin (2025), des chiffres provisoires ont établi la dette de l'Administration centrale à environ 23 200 milliards F CFA (41,7 milliards de dollars) à la fin de 2024, soit une augmentation de plus de 27 % par rapport à la fin de 2023”, soulignait Reuters, qui ajoute : “Cela se traduit par un ratio dette/PIB de 119 %, selon Michael Kafe, économiste chez Barclays.” Citant toujours ce dernier, l’agence de presse informait que “ce nouveau chiffre présentait de nouveaux risques pour la trajectoire de la dette et compliquait probablement les pourparlers en cours avec le FMI".
Reuters d’ajouter que “S&P Global Ratings, dans sa révision à la baisse de la note de crédit du Sénégal ce mois-ci (juillet 2025), a évalué les dettes cachées à environ 13 milliards de dollars et le ratio à 118 %.
Souleymane Diallo (DGPPE) : “Les chiffres de la SEF tiennent compte des dernières informations. Le rapport Mazars fait état des dernières informations.”
Récemment, en début juillet, dans une sortie publique, le Premier ministre Ousmane Sonko avait affirmé que le régime précédent a laissé un pays avec une dette de plus de 110 % du PIB et un déficit supérieur à 14 %. Des affirmations qui cadrent bien avec les chiffres de la DGPPE, mais qui sont en contradiction avec ceux validés par la Cour des comptes et repris par les évaluations de Barclays.
Lesquelles de ces données doivent être considérées comme étant les bonnes références ? C’est toute la problématique qui se pose. ‘’EnQuête’’ a interpellé le directeur général de la Planification et des Politiques économiques, Souleymane Diallo. À la question de savoir ce qui explique ces décalages entre les chiffres de sa direction et ceux contenus dans le rapport de la Cour des comptes, il explique : “Les estimations se poursuivent. Les chiffres de la SEF (situation économique et financière de la DGPPE) tiennent compte des dernières informations. Il y a le rapport Mazars qui fait état des dernières informations.”
Jusque-là invoquées par de nombreuses sources, les conclusions de ce cabinet international tardent, pour le moment, à être portées à la connaissance du public.
L’autre question qui va certainement se poser, c’est de savoir si ces nouveaux chiffres ne doivent pas être validés par la Cour des comptes pour avoir plus de valeur que l’audit rendu public en février par la juridiction spécialisée.
Par Mor Amar