Publié le 22 Oct 2025 - 16:02
TRANSPARENCE DES FINANCES PUBLIQUES

Quand le FMI alertait sur le niveau de la dette et les dysfonctionnements du système

 

Malgré plusieurs évaluations et suivis des programmes, le FMI feint d’être surpris et choqué par les découvertes relatives aux finances publiques sénégalaises. Pourtant, à l’issue d’une mission d’évaluation de la transparence des finances publiques en juillet 2018, l’institution avait évalué à plus de 100% du PIB la dette publique. Il avait aussi relevé pas mal de manquements, mais visiblement n’a pas fait le nécessaire pour que les dysfonctionnements soient corrigés.

 

La dette brute consolidée du secteur public sénégalais est de 121,1% du PIB -avant révision de 2018- en 2016. Cette déclaration a été faite par le Fonds monétaire international suite à une mission d’évaluation de la transparence des finances publiques en juillet 2018. “L’administration centrale, informaient déjà les services du FMI, contribue largement à ce résultat, avec une dette brute de 97,2% du PIB.”

Le rapport, qui n’avait pas manqué de souligner pas mal de manquements, précisait que les sociétés publiques enregistrent un passif de 16,8% du PIB, tandis que les caisses de sécurité sociale et les collectivités locales traînaient une dette brute très faible.

Sur les manquements, la Mission évoquait déjà le bulletin statistique trimestriel de la dette publique produit par la Direction de la dette publique. “Ce bulletin ne tient pas compte des autres dettes de l’État, notamment les comptes à payer, les créances vis-à-vis de la sécurité sociale, les dépôts des entités publiques au Trésor, les crédits relatifs aux lettres de confort, le passif actuariel au titre des pensions des fonctionnaires civils et militaires, ainsi que les obligations relatives aux PPP”, mettaient en garde les experts du Fonds.

À l’époque déjà, ils informaient que les pratiques comptables en vigueur ne permettaient pas d’établir le patrimoine de l’État. “La Balance générale des comptes du Trésor (BGCT) n’est pas conçue dans une logique patrimoniale. Il n’est donc pas possible de restituer l’ensemble des encours d’actifs et de passifs à partir de celle-ci”, lit-on dans le rapport.

En 2018, le FMI avait évalué la dette publique à plus de 100% du PIB

Parmi les entités et pratiques à problèmes, il y avait les structures extrabudgétaires, les lettres de confort…. En fait, l’information financière est souvent disponible, mais de manière disparate qui ne permettait pas d’avoir une claire vision de la situation.

Selon la Mission d’évaluation, la majorité des entités du secteur parapublic produisent des états financiers annuels complets, mais ces états ne sont pas consolidés dans les rapports financiers. “… Des rapports d’exécution budgétaire publiés sur les entités extrabudgétaires présentent certains éléments de la dette sans toutefois être exhaustifs. La création d’un Observatoire du secteur parapublic permettra de tendre à l’exhaustivité et de renforcer la diffusion des données au grand public”, renseignait le document, non sans préciser : “une proportion significative du bilan financier du Sénégal n’est pas mesurée dans les rapports publiés”.

Au niveau du secteur public consolidé, cette proportion est de 27% du PIB pour les actifs financiers et de 51% du PIB pour les passifs selon les estimations de la mission. Au niveau des administrations publiques, cette proportion est de 17% du PIB pour les actifs financiers et de 39% du PIB pour les passifs….

Ces acteurs au cœur du système

Cette évaluation de la transparence des finances publiques a été préparée par une équipe des services du Fonds monétaire international, en réponse à une demande du ministre de l’Économie, des Finances et du Plan, en l’occurrence Amadou Ba. Étaient de la délégation côte FMI : Mme Manal Fouad (chef de division, FAD Fiscal Affairs Department ou Département des Finances publiques) ; MM. Fabien Gonguet et Bruno Imbert (économistes, FAD), MM. Philippe Samborski (Expert du Département des Statistiques du FMI) et Adrien Tenne (expert, FAD) et Mme Nour Chamseddine (chargée de recherche, FAD).

Côté Sénégal, d’éminentes personnalités du Ministère des Finances, de l’Économie et du Plan avaient participé à ce travail. Outre le ministre Amadou Ba, on peut citer M. Bassirou Samba Niasse, à l’époque Secrétaire général du MEFP et Monsieur Alioune Ndong conseiller technique et point focal de la Mission. La mission avait aussi rencontré le directeur général du budget (DGB) Moustapha Ba ; Abdoulaye Samb, Coordonnateur de la Direction générale de la comptabilité publique et du Trésor (DGCPT), ainsi que tous les services clé du ministère chargé des Finances, de l’Économie et du Plan.

Comment donc le Fonds peut prétendre ne pas être au courant de la situation qui prévaut au Sénégal ? De l’avis de Peter Doyle, ex cadre du FMI, ceci paraît presque invraisemblable.

Peter Doyle (ex FMI) sur la responsabilité des experts du FMI

Le personnel du FMI, selon lui, est officiellement tenu de garantir la véracité des données du programme (signé avec les pays), et non de se cacher derrière les assurances d'autrui. Dans son viseur, il y a principalement les directeurs du département Afrique et des Affaires fiscales, responsables de la qualité du travail de leur personnel…. “Avoir perdu de vue 40 % du PIB est inacceptable, la directrice générale devrait révoquer les deux directeurs. Sinon, elle devrait être démise de ses fonctions pour avoir toléré, voire encouragé, un échec aussi catastrophique dans le travail du personnel du FMI”, dénonçait-il dans une tribune publiée dans nos colonnes.

À en croire le spécialiste, c’est comme si le FMI refusait de regarder la situation en face, prendre le temps de bien situer les responsabilités pour que pareille situation ne se reproduise plus à l’avenir. Pour lui, ne pas situer les responsabilités, c’est créer les conditions d’une reproduction des mêmes dérives. “Les prêteurs, les responsables du FMI, les politiciens et les technocrates au Sénégal et bien au-delà concluront que s'ils recommençaient, ils s'en tireraient à nouveau”, prévient-il.

La politique de l’autruche du FMI

Adepte de la politique de l’autruche -exemple de cas précédents comme la dette du Mozambique- le FMI se presse de féliciter les autorités comme à son habitude. Or, en postes, il y a toujours les mêmes fonctionnaires dont la probité est sérieusement mise en doute, selon le spécialiste. La clé, explique Doyle, est de mettre fin à la précipitation, source de toute cette débâcle. Il ajoute : “Il faut mettre un terme à la précipitation : un programme provisoire du FMI pour le Sénégal, assorti de mesures de gel des dettes non déclarées, d'une responsabilité totale et d'une transparence ex ante, est désormais essentiel pour sauver les institutions budgétaires de ce pays et, par voie d’exemple, du monde entier.”

Cette affaire met en tout cas à rude épreuve le sérieux et la rigueur des experts du Fonds monétaire international qui n’a jamais manqué une occasion de saluer l’exemplarité des gouvernants sénégalais, malgré les nombreux manquements souvent relevés.

Dans son rapport sanctionnant sa mission de juillet 2018, l’institution relevait que le Sénégal est le premier pays d’Afrique subsaharienne avec un cadre de gestion des finances publiques de tradition francophone à s’être porté volontaire pour une évaluation de la transparence (FTE).

Cette évaluation, soulignait-on, est conduite selon les normes et pratiques définies par le Code de la transparence des finances publiques du FMI adopté en 2014. Lequel porte sur trois piliers : (I) l’information financière ; (II) les prévisions financières et la budgétisation ; et (III) l’analyse et la gestion des risques budgétaires. Il évalue un total de 36 principes. Avec le cas Sénégal, on est tenté de croire que soit cette méthode manque d’efficacité soit les représentants de l’institution sont coupables de graves manquements qu’ils refusent d’assumer.

Le cas des lettres de confort et des prêts garantis

À la suite de son évaluation de 2018, le FMI était largement revenu sur le cas des lettres de confort. “Si le budget de l’administration centrale est relativement exhaustif, l’absence d’information relative aux lettres de confort contribue à affaiblir l’unité budgétaire en ne donnant pas une image complète de la dette publique”, soulignaient les experts.

Selon le document, les lettres de confort permettent d’effectuer le paiement d’une dépense auprès d’un tiers alors même que cette dépense n’est pas inscrite dans le budget de l’année ou que cette dépense excède le cadre annuel (Encadré 2.1). “Les lettres de confort visent donc à combler une insuffisance de la programmation budgétaire, pour prendre en charge des dépenses qui n’avaient pas été prévues et qui ne peuvent pas être supportées par la réserve de gestion”, indiquait la source.

Au moment du décaissement, nient les experts, l’Etat demande à la banque de payer directement son fournisseur. “L’argent ne transitant pas par le Trésor, l’Etat rembourse directement la banque sur les crédits destinés au projet une fois les crédits mis en place dans les budgets suivants. Dans ce cas, les lettres de confort constituent in fine de véritables opérations d’emprunt pour financer des dépenses qui ne sont pourtant pas retracées comme telles dans le PLF.”

Sur un autre registre, les lettres de confort peuvent également être utilisées pour accorder une garantie de l’Etat à un opérateur pour l’obtention d’un financement auprès d’un établissement de crédit, informait la mission qui demandait des corrections. “Des mécanismes budgétaires seraient pourtant appropriés pour retracer ces opérations, qui ont un impact conséquent pour les finances publiques. Qu’elles permettent de garantir le financement d’une dépense ou d’un projet, ou d’accorder une garantie, les outils budgétaires devraient permettre de retracer les implications des lettres de confort pour le budget”, ont-ils soutenu.

Outre les lettres de confort, il y a aussi les dettes garanties par l’État qui ont été au cœur du rapport de la Cour des comptes et celui du FMI. “À fin 2017, l’ensemble des encours garantis explicitement par l’État représentait près de 3,6 % du PIB. Ces passifs contingents sont principalement le fait des prêts rétrocédés (214 Mds FCFA) alors que le poids des financements garantis (80 Mds FCFA, portant uniquement sur des financements extérieurs) et des garanties par lettres de confort (49 Mds FCFA) demeure plus mesuré”, relevait la mission du FMI.   

Selon le rapport, le cadre de l’octroi des garanties et avals par l’État est défini et limité par la loi. “Bien que la variation nette de l’encours des garanties et avals doive être plafonnée annuellement par une loi de finances, cette pratique ne semble pas être respectée lors des derniers exercices. Les garanties ne font pas l’objet d’une rémunération obligatoire”, faisaient remarquer les experts, qui ajoutaient que les informations concernant les garanties et passifs contingents sont très limitées

 

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