Africa Jom Center charge le régime de Macky Sall
Le Sénégal traverse un tournant majeur de son histoire politique, économique sociale, dans un contexte de basculement géopolitique mondial dont les contours sont encore assez flous avec l'émergence d'un monde multipolaire.
C'est le constat d'Africa Jom Center. Dans son rapport portant sur la géopolitique du Sénégal, une réflexion sur la démocratie a été faite. ''L'édifice démocratique sénégalais construit dans la durée et au travers des luttes et des conquêtes démocratiques, qui explique ce que tout le monde s'accorde à reconnaître comme un modèle en Afrique, présente aujourd'hui une image hideuse et méconnaissable qui inquiète de plus en plus au Sénégal et dans le monde'', souligne-t-on dans le document.
Selon Alioune Tine et Cie, la démocratie sénégalaise connait un déclin qui rappelle à bien des égards les premières années de l'adoption de la Constitution du 7 mars 1963 qui a inauguré la période du parti unique et d'une certaine forme de dictature violemment contestée par les événements de 1968. Car, ''nous vivons dans une période où l'on gouverne de plus en plus par la peur et par la répression avec la présence de plus en plus inquiétante de la police dans l'environnement de nos cités. Le Sénégal n'a jamais compté autant de détenus politiques (plus de 300) et de détenus d'opinion dans son histoire, au point que leur gestion finit par poser des problèmes aux cabinets des juges qui sont submergés'', lit-on dans le rapport.
''Nous sommes dans un régime politique et démocratique hybride où nous assistons à l'érosion continue des normes de l'Etat de droit par l'assujettissement de presque toutes les institutions démocratiques par un pouvoir hyperprésidentiel qui concentre, contrôle et écrase tous les pouvoirs par le jeu des nominations aux fonctions civiles et militaires sans aucune possibilité de contrôle'', poursuivent les défenseurs des droits de l'homme. Qui critiquent
un régime '' hyperprésidentiel hors norme'' qui a la possibilité de construire la norme constitutionnelle, d'affirmer qu'il s'y soumet et de ''le rejeter le lendemain sans autre forme de procès''. Ainsi Afrika Jom Center considère que ce type de régime installe de façon continue ''l'insécurité et l'instabilité constitutionnelle, une forme de régime d'arbitraire que ni la loi, ni les institutions ne peuvent limiter ou contrebalancer''.
C'est ce qu'il nomme le paradigme senghorien du 07 mars 1963. Il invite donc à relire, repenser et réformer par un régime d'équilibre des pouvoirs pour éviter la répétition de ce que nous vivons depuis 2011 avec le forcing pour un troisième mandat et qui nous accule à un travail de Sisyphe.
Aux yeux de Alioune Tine et Cie, ''la défiance est généralisée par rapport à toutes les institutions qui dysfonctionnent : le Parlement, la justice et la presse sont tous en procès aujourd'hui''.
Réformes
Pour eux, l'impératif d'une réforme pour un meilleur équilibre des pouvoirs constitutionnels est catégorique pour négocier un tournant politique historique dans un contexte géopolitique en mutation et où la géopolitique du Sénégal considérée comme un eldorado pétrolier et gazier, a fondamentalement changé et impacte négativement sur la démocratie, les droits humains et la gouvernance depuis plus de dix (10) ans. ''La question de la gouvernance transparente et démocratique qui figurait parmi les promesses les plus belles du régime n'a malheureusement pas donné les résultats escomptés. Les organes de régulation de la gouvernance sont vassalisés et émasculés. La plupart d'entre eux n'ont quasiment connu de réformes, les rares réformes concrétisées ont été décevantes. Cette situation a produit une culture d'impunité et d'irresponsabilité'', fustigent-ils.
Ils notent que la justice quand elle est indépendante et équitable, garante de la protection des droits humains et des libertés fondamentales avec un Etat qui se soumet au droit, elle réalise l'idéal d'un Etat de droit et de la démocratie. Et que c'est à partir de ce moment qu'elle est capable de réguler avec efficacité les violences politiques et sociales inhérentes à l'existence de toute société humaine.
''Au Sénégal, on est loin de cet idéal du fait des liens structurels qui assujettissent l'institution judiciaire et ses principaux acteurs au pouvoir exécutif de moins en moins neutre et de plus en plus politisé, d'où la nécessité d'émanciper cette institution des fourches caudines de l'exécutif'', estime Afrika Jom Center. Selon le think thank, la justice sénégalaise a perdu de la crédibilité et des réformes seraient nécessaires pour que la majorité des juges d'une compétence reconnue au-delà de nos frontières puissent travailler en toute indépendance.
Pour la première fois au Sénégal, le nombre de sièges au Parlement est réparti pratiquement à part égale entre l'opposition et le pouvoir, une occasion rêvée pour partager le pouvoir dans un gouvernement d'union avec comme objectif de réformer les institutions démocratiques à bout de souffle et créer un consensus pour une présidentielle transparente, apaisée et inclusive.
Au lieu de tout cela, regrettent Alioune Tine et Cie, l'institution parlementaire est entrée dans une crise profonde avec des disputes et des violences à l'intérieur de l'hémicycle qui ont entrainé l'intervention des forces de l'ordre. Le Parlement sénégalais, disent-ils, aurait pu jouer un rôle important dans la situation d'impasse et de tensions politiques pour dénouer la crise, faciliter et organiser le dialogue politique, anticiper les bonnes réponses. '' Malheureusement elle est dans une situation d'engourdissement et de léthargie à faire baisser les bras'', fulminent-ils.
Concernant la liberté de presse qui est un indicateur de la bonne santé de la démocratie et de l'Etat de droit avec plusieurs journalistes menacés, arrêtés, détenus et emprisonnés, faut-il s'étonner de la chute libre du Sénégal qui perd 31 places dans le classement annuel de Reporters sans frontières, passant de la 73e à la 104e place ?, se demandent les rédacteurs.
Pour Afrika Jom Center, si on peut se réjouir du bilan ''positif'' du régime du Président Macky SALL qui a contribué à moderniser le pays en matière d'infrastructures et en matière de sécurité, '' force est de reconnaitre que peu de choses concerne la consolidation de la démocratie, l'Etat de droit, de la gouvernance et des droits humains''.
Ainsi, Afrika Jom Center fait des recommandations. Il demande, entre autres, la libération ''sans condition de tous les détenus politiques et de tous les détenus d'opinion'' pour décrisper une situation politique trop tendue. Il demande aussi au gouvernement de régulariser l'éligibilité des candidats à l'élection présidentielle. L'opposition est aussi appelée à dialoguer et à jouer un rôle dans le sens l'apaisement.