Lansana rouvre la voie, la défense s’engouffre
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Le représentant du ministère public a requis, hier, du juge qu’il écarte le procès-verbal d’enquête sans pour autant annuler la procédure subséquente. La défense, qui a ‘‘salué le courage du procureur’’, exige toutefois que toute la procédure soit frappée de nullité. Le délibéré sur cet acte et sur les autres exceptions sera rendu aujourd’hui.
Le procureur général près la Cour d’appel se complairait-il dans la confusion ? Il y a moins de dix jours, Lansana Diabé Siby clamait haut et fort qu’on ne pouvait pas faire abstraction de l’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao, dans le procès en appel de Khalifa Sall. Moult interprétations et tiraillements s’en sont suivis, puisque sa déclaration n’avait pas été explicite. Hier, il a réitéré cette même requête, en demandant qu’un acte soit expurgé de la procédure. ‘‘Pour ma part personnelle, ce procès-verbal peut être purement et simplement écarté ainsi que toute audition qui n’a pas fait l’objet de la présence d’un avocat, comme le mentionne l’article 55’’. Du haut du parquet en bois de la salle 4 du tribunal de Dakar, Lansana a fait cette demande au juge Demba Kandji, provoquant une semi approbation étouffée du public, souteneur de Khalifa Sall, de plus en plus clairsemé.
Le procès-verbal d’enquête en question est l’une des failles que la défense compte mettre à profit comme violation contre le règlement n°05/CM/Uemoa relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest. Celui-ci stipule la présence de l’avocat dès les premières heures d’une interpellation. Dans le droit interne sénégalais, cet acte supranational est intégré dans les dispositions de l’article 55 alinéa 10 du Code nouveau de procédure pénal. Sauf que cet article, au Sénégal, parle de l’assistance d’un avocat un jour après l’interpellation et non dès les premières heures, entrant en contradiction avec le règlement communautaire. ‘‘On ne peut pas évoquer une loi sénégalaise en face d’un traité qui lui est contraire. L’article 55 dit que les garanties commencent à partir de la 24e heure. En cela, il est contraire avec le règlement n°5. Merci, Monsieur le Procureur, vous avez tout compris’’, répondra Me Doudou Ndoye à la suite du procureur général.
Lansana Diabé Siby a toutefois clarifié et relativisé sa requête, puisqu’il a demandé au juge qu’il n’expurge de la procédure que les éléments qui semblent avoir été compromis par des irrégularités. ‘‘Tous les documents connexes qui ont été joints au dossier sont bien valables (…) Il faut juste sanctionner les procès-verbaux qui ont fait l’objet de violation de l’article 55 (…) sans pour autant annuler le réquisitoire introductif et toutes les pièces du dossier’’, s’est empressé d’ajouter le représentant du ministère public.
La défense à cœur joie
Tactique pour refroidir les ardeurs de la défense ? M. Siby a, en tout cas, appelé à se conformer à l’arrêt de la Cedeao et a rappelé au président de la cour la nécessité, comme l’a fait la défense du reste, de ne pas joindre les exceptions soulevées au jugement de fond. ‘‘Vous ne pouvez pas ne pas statuer sur ces nullités soumises à votre juridiction’’, lance le procureur général.
Malgré cette convergence de vues avec les défendeurs, les conseils du maire de Dakar décrivent une incohérence. Une aubaine pour la défense qui s’en est naturellement donné à cœur joie. ‘‘Je vous ai entendu et j’ai compris votre message. Vous avez rempli votre office. Vous avez sanctionné un officier de police judiciaire qui a mal travaillé, car celui qui a instruit cette affaire est complètement passé à côté de la plaque’’, déclare Me Khassimou Touré à l’endroit du procureur général. Pour enlever le doute sur sa position, il invite le procureur général ‘‘à aller au bout de sa logique’’.
Me François Sarr, coordonnateur du pool d’avocats de la défense, parle d’une ‘‘avancée significative’’ au fur et à mesure que les positions du procureur général ‘‘se clarifient’’. ‘‘Aujourd’hui, sauf erreur de notre part, vous avez dit qu’on ne peut pas méconnaitre cette décision de la Cedeao. De façon positive, qu’elle doit être tenue par les décisions nationales comme une jurisprudence. Ça va au-delà de la simple nécessité de prendre en considération cette décision. Elle doit être constitutive d’une jurisprudence. C’est déjà une belle avancée. Mais ce n’est pas assez’’, a déclaré l’avocat.
Manifestement, ce n’était pas suffisant pour ses confrères, non plus. Si les arguments du procureur général et ceux de la défense se sont rejoints par endroits, sur la nécessité d’harmoniser et d’appliquer le règlement n°5 de l’Uemoa, notamment, les divergences ont vite repris. Malgré cette ‘‘concession’’ du parquet général, la défense reste toujours radicale dans sa demande de l’annulation des procès-verbaux d’enquête préliminaire, à savoir celui du 2 mars 2017, celui de la confrontation entre Khalifa Sall et tous les autres prévenus, le Pv de clôture où mention de la présence d’un avocat est absente, le réquisitoire introductif, l’ordonnance de soit-communiqué et l’ordonnance de renvoi.
‘‘La cour cherche à voir ce qu’elle doit annuler, mais, parmi les actes à annuler, celui du 2 mars 2017. Si c’est fait, il n’est pas pris en compte le réquisitoire. Une instruction sans réquisitoire introductif n’existe pas, ne peut exister. Et sans instruction, pas de procès pénal ! Monsieur le Président, annulez tout ça, s’il vous plait. Khalifa Sall est la centième ou la millième personne. Notre justice ne demande ni son acquittement ni sa condamnation, mais elle exige une décision juste pour les milliers d’autres qui viendront après lui. C’est votre décision historique qui compte’’, a défendu avec véhémence Me Doudou Ndoye.
Ce dernier est allé très loin dans ses répliques, puisque cette observance des règles de droit doit se faire, selon lui, ‘‘même si cela implique l’annulation de toutes les procédures sénégalaises jusque-là’’.
Incohérences
Son confrère, Me Issa Diop, en réponse à la requête du procureur général, estime qu’annuler partiellement certains actes viciés est d’une incohérence qui pourrait faire tomber toutes les parties prenantes à ce procès sous le coup de la loi. ‘‘Si vous devez le faire, il y a des risques avec les articles 165 et 166 du Code de procédure pénale qui interdisent toute mention subséquente à leur annulation, sous peine de poursuite pour les avocats et de forfaiture pour le juge. Vous nous faites prendre des risques’’, a-t-il déclaré dans ses répliques. ‘‘Comment annuler un procès-verbal d’enquête sans annuler le reste ? Il est évident que s’il est annulé, toute l’information du procureur (Serigne Bassirou Guèye) s’écroule’’, a-t-il ajouté, soutenant avec force que l’étendue des nullités doit frapper l’entière procédure.
Me Bamba Cissé a adopté la même posture et s’est posé la même question sur cette incohérence. Il a invité subtilement le procureur à être plus explicite et enjoint le juge à demander au ministère public à mieux se pourvoir. ‘‘Des vices rédhibitoires’’, selon Me Emmanuel Padonou, avocat de l’un des co-prévenus (Yaya Bodian) qui est allé au-delà du règlement n°5 et s’est appesanti sur les autres ‘‘irrégularités telles que la violation du droit à un procès équitable’’, ‘‘la violation de la présomption d’innocence par la conférence de presse du procureur Serigne Bassirou Guèye’’, pour tirer son client d’affaire.
Même logique pour Me Ciré Clédor Ly pour qui les dispositions de ce texte supranational ‘‘ne sont pas une faculté, mais une obligation pour les Etats de s’y conformer’’. Il a demandé l’annulation de la décision de condamnation et la libération de tous les prévenus, car ‘‘le premier juge a utilisé les articles 199 et 558, alors qu’ils n’étaient pas opérants en l’espèce’’.
Ville de Dakar
L’intervention remarquée du procureur général a fait passer au second plan l’intérêt pour les autres points de la défense, comme ‘‘la détention illégale du rapport de l’Ige par le parquet (à la base de la poursuite) sans être déclassifié’’, l’exception d’inconstitutionnalité, la violation du droit à un procès équitable… Heureusement pour l’autre partie prenante, la Ville de Dakar, que l’un de ses avocats a fait ses observations avant les propos de Lansana Diabé Siby. Le conseil s’est offusqué du fait que l’Etat du Sénégal veuille les coiffer au poteau, dans cette affaire.
‘‘Les avocats de l’Etat ont demandé, hier, que notre constitution de partie civile pour assurer la défense de la Ville de Dakar soit déclarée irrecevable. Leur argumentaire dénote une méconnaissance juridique notoire. Nous sommes là pour le droit. Il convient de rappeler que la Ville de Dakar est une collectivité locale’’, s’est plaint Me Ibrahima Diaw. Et de soutenir qu’‘‘il y a eu un conseil municipal qui a donné l’autorisation à la ville de se constituer partie civile. Mandat a été donné au sieur Sow de faire le nécessaire pour la constitution de la mairie. Mais le préfet a réclamé une seconde lecture du délibéré. Ce que le conseil a refusé. On vient plaider aujourd’hui devant vous et on dirait qu’il n’y a pas de Code des collectivités locales’’, a embrayé la robe noire.
Le juge Demba Kandji devrait tirer tout cela au clair, aujourd’hui.
OUSMANE LAYE DIOP