Publié le 28 Aug 2025 - 17:51
DETTES CACHÉES OU DÉCLARATIONS ERRONÉES

Ce qu’il faut retenir des conclusions du FMI

 

Loin du discours alarmiste et belliqueux autour des concepts de ‘’dettes cachées’’ et de ‘’malversations’’, le Fonds monétaire international (FMI) temporise en parlant de ‘’déclarations erronées’’. Décryptage !

 

“Une erreur stratégique à ne plus commettre, sous peine de verser dans la fabrique de pauvreté au Sénégal”. C’est en ces termes que l’économiste et ancien de la Banque mondiale, Dr Papa Demba Thiam, a réagi, suite au communiqué de la dernière mission du Fonds monétaire international (FMI) au Sénégal.

Selon le spécialiste très critique du reste des institutions de Bretton Woods qu’il a pourtant servies pendant des années, ce dernier communiqué met sur la table ce qu’il considère comme étant de “concepts farces”. Parmi ces concepts en bonne place dans le document du FMI, il y a : “Mauvaise déclaration” ; “problèmes systémiques identifiés dans le rapport de la Cour des comptes” et “passifs non divulgués.”

Le Dr Thiam d’ajouter comme un regret : “On ne parle plus ni de ‘comptes falsifiés’ ni de ‘dettes cachées’, mais de ‘problèmes systémiques identifiés.”

Une erreur stratégique ?

L’évolution sémantique est très intéressante pour les spécialistes. En effet, dans le jargon du Fonds monétaire international, chacun de ses concepts a une signification bien spécifique et peut mener à des implications bien définies.

Le Dr Seydou Bocoum, enseignant-chercheur à la faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg/Ucad) revient sur la distinction entre ‘’misreporting’’ (terme utilisé par le FMI après évaluation) et ‘’dettes cachées’’. “Le misreporting correspond à une transmission inexacte ou incomplète de données économiques, souvent liée à des erreurs techniques ou à un manque de transparence. La dette cachée, en revanche, renvoie à des emprunts contractés hors du cadre budgétaire officiel et non déclarés”, a-t-il expliqué.

Différence entre misreporting et dettes cachées

En résumé, analyse le spécialiste du Laboratoire de recherches économiques et monétaires (Larem), “le misreporting concerne la fiabilité de l’information, tandis que la dette cachée touche directement à la gouvernance et à la soutenabilité de la dette publique”.

Dans le cas du Sénégal, renchérit-il, “le FMI a parlé de misreporting et non de dette cachée. Cela signifie que, selon son évaluation, il ne s’agit pas d’emprunts occultes hors budget, mais plutôt d’erreurs ou d’inexactitudes dans la transmission des données financières”.

Dans son communiqué, le FMI a effectivement visé des problèmes systémiques comme étant les causes profondes de ces déclarations erronées. Il propose ainsi des mesures correctrices pour que cela ne se reproduise plus. “Celles-ci incluent la centralisation des fonctions de gestion de la dette, le renforcement du rôle du Comité national de la dette publique ainsi que l’achèvement de l’audit exhaustif des arriérés de paiement lancé par l’Inspection générale des finances le 21 juillet 2025”, indique la mission.

Les parties conviennent également de “la mise en place d’une base de données centralisée de la dette, des mesures de renforcement des contrôles d’engagement budgétaire et la consolidation progressive des comptes bancaires dans le cadre du Compte unique du Trésor”.

Des problèmes systémiques évoqués par le FMI

Nous sommes ainsi très loin du vocabulaire incendiaire imposé par les politiciens depuis l’éclatement de cette affaire. Le Dr Papa Demba Thiam déclare : “C’est un CHANGEMENT RADICAL DE LANGAGE, qui ramène le problème de l’évaluation du stock de la dette publique centrale à une simple affaire de système de comptabilité nationale.”

L’économiste, qui semble quelque peu surpris par cette tournure, interpelle les parties prenantes. Selon lui, s’il s’agit d’un problème systémique, c’est qu’il a toujours existé. “Alors comment se fait-il que ni les organes fiduciaires (Inspection générale des finances, Inspection générale d’État, Cour des comptes, BCEAO, etc.) et les missions du FMI et de la Banque mondiale ne l’ont jamais identifié, s’il affecte la solvabilité de l’État sénégalais ?”, s’est interrogé l’ancien fonctionnaire à la Banque mondiale, qui s’exclame : “Tout ça pour ça !”

Le Dr Bocoum apporte toutefois cette précision : “En tant qu’institution technique, le FMI privilégie un vocabulaire neutre et factuel. Son rôle est de s’assurer de la transparence et de la fiabilité des données macroéconomiques et non de qualifier juridiquement des pratiques. Ainsi, son approche vise à maintenir un dialogue constructif avec les autorités tout en signalant les zones d’amélioration.”

La dette passée de 111 % à fin 2023 à 118,8 % à fin 2024

En ce qui concerne le stock de la dette du gouvernement central, le FMI renseigne qu’il a été finalement évalué à 111 % du PIB à fin 2023. Papa Demba Thiam précise : “Cela nous ramène aussi à un système de comptabilité, puisque les montants en question ne semblent pas avoir été ‘dissimulés’ (ils ont été retracés dans d’autres comptes), mais auraient été ‘non divulgués’.”

L’autre enseignement du communiqué du FMI, c’est la différenciation nette entre le taux d’endettement à fin 2023 et celui noté à fin décembre 2024.

En effet, si à fin 2023 le taux était de 111 % selon les derniers chiffres officiels, il a été porté à 118,8 % un an plus tard. “Ceci veut dire qu’en une année seulement (2024), la dette du gouvernement central se serait aggravée de 111 % du PIB à 118,8 % du PIB, soit 7,8 %. C’est énorme et très inquiétant”, fulmine le Dr Thiam.

La question, selon lui, c’est de savoir si “cela valait la peine de déclarer publiquement, en conférence de presse, de supposées falsifications de comptes publics’ ?”. Il enchaine en apportant lui-même une réponse : “La réponse est mille fois non, surtout que dans le même temps, des chaînes de valeur critiques ont été arrêtées, ce qui a ramené la croissance hors hydrocarbures à seulement 3,1 %! ”, a-t-il soutenu.

Le prix du déballage

Le résultat est en tout cas très salé pour le Sénégal et les Sénégalais. Papa Demba Thiam en identifie quatre principalement. Outre la dégradation des notes souveraines de l’État, il souligne le blocage des décaissements des prêts du FMI à des taux concessionnels ; la peur des autres créanciers et investisseurs, et enfin un surenchérissement des conditions d’endettement (près de 7,8 % du PIB sur une année).

Il faut noter qu’à cause de cette situation, le Sénégal fait face à un sérieux problème de liquidité. Ce qui a poussé à opérer pas mal de coupes budgétaires sur les investissements. Aujourd’hui, les investissements sur ressources internes ont drastiquement chuté.

Aussi, il faut noter que dans la loi de finances rectificative pour l’année 2024, le gouvernement reconnaissait un renchérissement des conditions d’endettement qui a coûté plusieurs milliards aux finances publiques. “Il est crucial de prendre en charge des dépenses prioritaires et incompressibles, notamment les intérêts sur la dette pour un montant de 245,9 milliards F CFA, sous l’effet du renchérissement des conditions d’emprunt”, lit-on dans la LFR 2024. Combien cela a coûté en 2025 ? Seules des évaluations rigoureuses pourront permettre de saisir l’impact de cette crise.

Ces questions toujours sans réponse

En définitive, pendant que le Sénégal se dénonce, s’alarme et se donne en spectacle sur la scène internationale, le Fonds monétaire international temporise et essaie de regarder l’avenir sous de bons auspices, avec un nouveau programme qui devrait passer prochainement au crible du Conseil d’administration.

Pour le citoyen, les questions demeurent sans réponse. Le doute continue de persister. De l’avis du Dr Bocoum, il faut une bonne fois pour toutes clarifier la lanterne des Sénégalais. Il repose les vraies questions : “Les citoyens ont besoin de savoir clairement quels montants exacts ont été empruntés, dans quel cadre juridique et budgétaire pour financer quels projets et avec quelles implications pour la dette publique ?”

Par Mor Amar

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