Publié le 11 Aug 2025 - 19:21
ENTRETIEN AVEC MOUHAMADOU BACHIR NDIAYE, SPÉCIALISTE DE LA TURQUIE

“Le Sénégal doit considérer la Turquie comme un partenaire clé pour la Vision 2050”

 

Dans cette interview, Mouhamadou Bachir Ndiaye, étudiant sénégalais en relations internationales à Ankara, nous offre un regard unique sur son expérience de vie en Turquie. Bénéficiaire d'une bourse d'État, il partage ses observations sur la culture turque, le patriotisme de ses habitants et les défis de l'intégration. Il décrypte également les fondements des relations diplomatiques entre le Sénégal et la Turquie, et l'importance croissante de cette alliance.

 

Pouvez-vous nous parler de votre expérience en Turquie et de votre expertise sur les relations entre le Sénégal et la Turquie ?

Je m'appelle Mouhamadou Bachir Ndiaye et je vis en Turquie, plus précisément à Ankara, depuis maintenant trois ans. J'ai eu la chance de bénéficier d'une bourse d'État turque (Türkiye Bursları), qui m'a permis de poursuivre mes études en relations internationales, avec une spécialisation sur le Moyen-Orient et les études africaines.

Mon séjour en Turquie m'a offert une perspective objective, loin des idées reçues, aussi bien sur le plan académique que culturel. La Turquie occupe une position stratégique unique, un carrefour entre l'Europe, l'Asie et le Moyen-Orient. J'ai pu y observer le patriotisme des Turcs et l'importance qu'ils accordent au père fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk. C'est un pays à la culture très riche, avec une société en pleine transformation.

Mon adaptation n'a pas été facile au début, principalement à cause de la barrière linguistique, car l'anglais ou le français sont peu parlés par la majorité de la population. J'ai donc dû apprendre le turc pour m'immerger pleinement. Depuis mon arrivée, j'ai évolué dans un environnement multiculturel, notamment grâce à mes activités universitaires et associatives. En tant que vice-président de l'association "Türkiye-Afrika", j'ai pu tisser des liens avec les Turcs et constater que les Sénégalais y sont bien accueillis, notamment grâce à des footballeurs comme Demba Bâ ou Moussa Sow, qui sont très populaires ici.

Cependant, tout n'est pas parfait. Beaucoup de Turcs ont une connaissance limitée de l'Afrique et du Sénégal. On me pose souvent des questions comme "Est-ce qu'il y a de l'eau en Afrique ?" ou "La famine y persiste-t-elle toujours ?". Ces questions sont le reflet d'une ignorance que nous, Sénégalais de la diaspora, devons aider à éradiquer. Mon adaptation n'a pas été compliquée au final, car c'est un peuple ouvert et tolérant.

Quant aux relations entre le Sénégal et la Turquie, elles ont pris un tournant décisif au début des années 2000, lorsque la Turquie a décidé de renforcer ses liens avec l'Afrique sous le leadership du président Recep Tayyip Erdoğan. L'ambassade de Turquie à Dakar, ouverte en 1962, a été l'une des premières sur le continent africain, et celle du Sénégal à Ankara a été inaugurée en août 2006. Ces dernières années, les relations bilatérales se sont considérablement développées sur les plans politique, économique et culturel.

Le président Erdoğan a effectué plusieurs visites à Dakar, la dernière en 2020, lors d'un forum. L'objectif est d'établir une relation bilatérale gagnant-gagnant. Le volume des échanges commerciaux, qui atteignait 292 millions de dollars en 2019, est une priorité. Lors de sa visite en Turquie, le président Bassirou Diomaye Faye a exprimé le souhait de porter ce volume à un milliard de dollars, ce qui illustre l'importance de cette relation pour les deux pays.

La coopération ne se limite pas à l'économie ; elle est aussi culturelle. La Turquie a mis en place des initiatives de "soft power" pour attirer les jeunes, comme les institutions Tika, Turkiye Bursları ou Yunus Emre. Je suis convaincu que les nouvelles autorités sénégalaises, dans leur vision Sénégal 2050, reconnaissent la Turquie comme un partenaire stratégique essentiel pour la coopération Sud-Sud.

Qu'est-ce que vous pensez de la visite officielle du Premier ministre Ousmane Sonko en Turquie ?

Cette visite est cruciale, car elle intervient à un moment charnière de l'histoire du Sénégal, avec des autorités qui placent les intérêts du pays au premier plan. Elle permettra de consolider une coopération déjà dynamique. Les échanges commerciaux, qui s'élevaient à environ 249 milliards de FCFA en 2024, devraient être renforcés, comme l'a indiqué le Premier ministre.

Cette visite, qui fait suite à celle du président Bassirou Diomaye Faye, va propulser cette coopération de l'avant, avec des accords de partenariat dans des domaines clés tels que la défense et la sécurité, l'enseignement supérieur et surtout l'agriculture, qui est au cœur de la vision 2050 du Sénégal. Elle met en lumière une diplomatie axée sur les intérêts économiques du pays.

Quels sont les domaines clés de coopération entre le Sénégal et la Turquie ?

Depuis l'ouverture de son ambassade à Dakar en 1962, la Turquie joue un rôle prépondérant au Sénégal. Lors de la récente visite du président Bassirou Diomaye Faye, les deux pays ont mis en place un Conseil stratégique de haut niveau et signé plusieurs accords dans des secteurs clés : agriculture, énergie, éducation et transports.

La Turquie est devenue un acteur majeur dans la réalisation de grands projets d'infrastructures, réalisés par des entreprises turques : l’aéroport Blaise Diagne, le Stade Abdoulaye Wade ou le CICAD. Les investissements turcs dans les bâtiments et travaux publics (BTP) ont atteint près de 3 milliards de dollars. La Turquie est aussi très active dans le secteur agricole, où elle soutient la modernisation des équipements et le développement rural. Ces entreprises ne se contentent pas de construire ; elles participent également à la formation et au transfert de compétences aux populations locales. Ce modèle de coopération pragmatique renforce les capacités des entrepreneurs sénégalais.

Qu'attendez-vous de la rencontre entre le Premier ministre et la communauté sénégalaise en Turquie ?

C'est un grand honneur d'avoir le Premier ministre à nos côtés, car cela prouve l'importance que les autorités accordent à la diaspora sénégalaise. J'attends beaucoup de cette rencontre, notamment l'opportunité pour les Sénégalais de faire part de leurs difficultés liées aux cartes de séjour. Le Premier ministre pourra ainsi les rassurer sur les efforts du gouvernement pour résoudre ces problèmes.

J'espère également que cette rencontre sera l'occasion de rappeler à nos compatriotes qu'ils doivent respecter les lois du pays d'accueil. Enfin, j'aimerais que le chef du gouvernement présente les opportunités d'investissement pour la diaspora afin qu'elle puisse participer pleinement au développement du Sénégal.

Quels sont les défis et les opportunités pour les Sénégalais en Turquie ?

Les défis sont nombreux. Pour un étudiant comme moi, le principal est de déconstruire les idées reçues que les Turcs ont de l'Afrique. On me demande souvent si tout manque sur le continent. C'est notre rôle, en tant que Sénégalais ici, d'être les ambassadeurs de notre continent et de notre pays pour changer ces perceptions.

La Turquie offre aussi de nombreuses opportunités. Sa position géographique en fait un carrefour commercial. De nombreux Sénégalais sont déjà actifs dans ce secteur, et il serait pertinent de réaliser des études pour évaluer le volume des échanges de produits entre les deux pays. Le tourisme est également un domaine de croissance. La découverte de la culture et de la gastronomie turques, qui est l'une des meilleures au monde, est une grande opportunité à explorer.

Pensez-vous que la visite du Premier ministre aura un impact positif sur les relations entre les deux pays ?

Absolument. Je pense que la Turquie jouera un rôle majeur dans cette nouvelle dynamique entreprise par le Sénégal. Les nombreuses institutions turques présentes à Dakar témoignent de l'importance de cette relation. Cette visite devrait entraîner une augmentation des investissements et de la coopération dans des domaines comme la sécurité, l'industrie et la défense, la lutte contre le terrorisme, l'exploitation minière, la pêche et le commerce.

L'accueil chaleureux réservé au Premier ministre par le président Erdoğan illustre l'importance qu'il accorde au Sénégal en tant que partenaire clé en Afrique de l'Ouest.

Quels sont les principaux objectifs que le Sénégal devrait viser dans ses relations avec la Turquie ?

Il est important de souligner que la Turquie n'a pas de volonté idéologique ou d'intérêts unilatéraux en Afrique. Le Sénégal doit se concentrer sur des secteurs prioritaires. Compte tenu de l'importance de l'agriculture pour les nouvelles autorités, la coopération dans ce domaine est primordiale, comme en témoigne l'accord signé pour moderniser l'agriculture sénégalaise grâce à l'expertise turque.

Le secteur de l'énergie et des hydrocarbures est aussi crucial. Face à l'insécurité qui sévit en Afrique de l'Ouest, le Sénégal doit également solliciter l'appui de la Turquie pour développer sa défense et lutter efficacement contre le terrorisme. En résumé, le Sénégal doit chercher à améliorer des secteurs clés tels que la santé, les infrastructures, l'agriculture, l'éducation et le tourisme.

Comment les Sénégalais en Turquie peuvent-ils contribuer au renforcement des relations entre les deux pays ?

La diaspora sénégalaise en Turquie est forte et active dans divers secteurs : commerce, études, entrepreneuriat. Il existe de nombreuses opportunités d'investissement. Les Sénégalais doivent jouer un rôle d'intermédiaires, en promouvant le Sénégal auprès des investisseurs turcs et en les mettant en relation avec les autorités.

Grâce à Turkish Airlines, qui assure une liaison directe entre Istanbul et Dakar, les échanges commerciaux sont facilités. L'expertise turque dans le textile et d'autres produits manufacturés pourrait être exploitée par les entrepreneurs sénégalais pour offrir une plus large gamme de choix à leurs compatriotes.

Qu'est-ce que vous pensez des initiatives de coopération économique entre le Sénégal et la Turquie ?

Ces initiatives sont capitales pour le développement économique du Sénégal. La signature d'un protocole d'accord pour la création d'un conseil de coopération stratégique de haut niveau est un pas important pour faciliter les échanges. Les assurances données par le président Erdoğan pour accompagner le Sénégal dans sa transformation économique sont également très encourageantes.

Ces initiatives permettront de développer des projets concrets dans les infrastructures, l'industrie, les transports, les sciences et les technologies. Le numérique, un pilier de la vision 2050, est un domaine où le transfert de technologie turque pourrait être d'une grande aide. Je tiens aussi à saluer le travail de l'ambassadrice Nur Sağman pour le renforcement des liens. Je suis convaincu que ces initiatives feront croître le volume des échanges économiques, au bénéfice du Sénégal.

Quels sont les domaines où le Sénégal et la Turquie pourraient renforcer leur coopération dans les années à venir ?

La coopération actuelle couvre déjà de nombreux aspects du développement économique. Cependant, il faudrait renforcer le secteur culturel. La Turquie a déjà commencé avec la Maison de la culture africaine, un projet de la Première Dame Emine Erdoğan qui met en valeur l'artisanat du continent. Les artisans sénégalais pourraient en profiter pour exposer leurs produits à Ankara.

L'autre domaine à renforcer est le tourisme. La Turquie est un hub touristique mondial, et son expertise serait précieuse pour le Sénégal, qui a le potentiel de devenir une destination touristique majeure en Afrique de l'Ouest. Une coopération dans ce secteur pourrait donc être très fructueuse.

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