Publié le 11 Nov 2020 - 23:40
DIASPORA SÉNÉGALAISE VIVANT EN COTE D’IVOIRE

Abidjan, capitale des bonnes opportunités

 

Loin de leur pays et de leurs familles, les Sénégalais établis en Côte d’Ivoire occupent les plus grands points de commerce de la capitale. Abidjan fait bon vivre, de leur point de vue. Surtout que les affaires marchent bien.

 

Bien loin du calme précaire qui prévaut à Abidjan, Treichville affiche plutôt bonne mine. En ce début de matinée, boutiques, grands magasins, restaurants et fast-food sont tous ouverts. Vendeuses et vendeurs assis à l’entrée de leur commerce attendent patiemment la clientèle. Elle se fait rare, depuis début octobre. D’autres, plus chanceux chouchoutent ces quelques femmes venues faire des emplettes.

Située au sud d’Abidjan, Treichville est l’une des communes les plus animées de la capitale ivoirienne. C’est un lieu de commerce par excellence.

En ces lieux, la communauté sénégalaise est fortement représentée depuis des dizaines d’années, plus précisément au célèbre ‘’Marché Samsung’’. Un ilot d’appareils électroniques venant de Chine, Dubaï et Londres bordé de petites échoppes. Construit au centre de la commune, il longe le boulevard Giscard d’Estaing. La balade dans les allées étroites de ce grand labyrinthe vaut le détour, pour celui qui veut faire de bonnes affaires.

Assis dans un magasin à la devanture vitrifié, Mamadou Fall scrute les entrées du marché. Sur les différentes étagères sont disposés smartphones, ordinateurs portables et tablettes numériques. A l’aise dans son boubou marron, il confie : ‘’Je suis en Côte d’Ivoire depuis maintenant quatre ans et, franchement, je m’en sors. D’un point de vue financier, les affaires marchent, même si tout est au ralenti depuis quelques semaines. On rend grâce à Dieu, car au moins on a de quoi nourrir nos familles.’’ Originaire de la région de Saint-Louis, le trentenaire multiplie les voyages à destination du Sénégal pour retrouver sa famille et se ressourcer.

Monsieur Fall est marié et père de deux enfants, tous établis à Dakar. Son pays d’accueil est pour lui une deuxième patrie. ‘’Les Ivoiriens sont des personnes ouvertes, accueillantes et chaleureuses. Pour vous dire vrai ici, je n’ai que des amis ivoiriens, tellement on s’entend bien. Avec les voisins, on mange ensemble, on partage tout ensemble et la religion n’a jamais été un sujet de discorde entre nous. Cela, je tiens à le préciser, contrairement à ce que beaucoup pensent’’, poursuit-il enthousiaste.

Désormais, aucune de ses journées ne commence sans un plat de ‘’garba’’ (attiéké au poisson braisé vendu en kiosque par des hommes). Entretemps, son téléphone n’arrête pas de sonner. Ses clients fidèles veulent savoir s’il a ouvert sa boutique, vu que bon nombre de commerçants préfèrent, en cette période, rester à la maison. Par mesure de sécurité. Derrière lui, les magasins adjacents sont tenus par des Sénégalais. Quelques jeunes interpellent directement les éventuels clients, le but étant d’en attirer le maximum vers leur boutique. Car ici, la concurrence est rude.

Dame Diop, lui, ne fait pas de publicité. L’homme a su bâtir, en dix ans, une notoriété qui l’a rendu célèbre. Niché au fond de l’allée principale, son grand magasin regorge de télévisions de dernière génération et d’appareils électroménagers. Debout derrière le comptoir, il raconte : ‘’Ici, nous ne faisons rien d’autre que ce que nous faisions au Sénégal, c’est-à-dire le commerce. Je suis arrivé en Côte d’Ivoire en 2005. Je vendais d’abord pour mon oncle et, en 2010, j’ai ouvert ce magasin. Sincèrement, je dois reconnaitre que le business marche bien. Sinon, on serait rentré depuis. Si on a décidé de quitter notre pays, c’est parce que nous gagnons ici ce que nous ne pouvons avoir au Sénégal. C’est cela la réalité. Moi, je suis un espoir de famille ; plusieurs personnes comptent sur moi, grâce à ce que je gagne ici. Je vais régulièrement au Sénégal, au moins chaque deux ou trois mois, mais je ne compte pas revenir dans mon pays définitivement. Parfois, on nous juge sans savoir. Or, chacun de nous a son histoire. Qu’on reste ici trente ou quarante ans, là n’est pas le problème. Il faut plutôt chercher à comprendre pourquoi on reste.’’

Dame Diop ou encore ‘’Dame Electronic’’, espère reprendre la maitrise de son chiffre d’affaires qui, pour l’instant, est en deçà de 50 %. La tension préélectorale est passée par là. Pour ce père de famille, l’essentiel est de pouvoir subvenir aux besoins de ses proches. Nostalgique, il se remémore la longue période de galère passée à Thiès, en raison du coronavirus. Pendant cinq mois (mars-juillet), il a vu ses ressources financières fondre comme du beurre au soleil, sans pouvoir retourner en Côte d’Ivoire pour reprendre son commerce. ‘’Ça a été vraiment dur’’, lance-t-il, le regard lointain. Contrairement aux autres commerces, son magasin ne désemplit pas. 

Le monde de la couture rapporte gros

Divisée en 42 quartiers, la commune de Treichville garde encore sur ses rues et avenues des numéros, un héritage colonial. A la rue 17 de l’avenue 13, ateliers de couture et boutiques de vêtements se succèdent. Ils appartiennent presque tous à des Sénégalais. Sauf qu’à cette période, les jeunes dames fan de tenues sénégalaises se font rares. De belles robes en bazin, en tissu brodé ou en coton sont exposées derrière les vitres. Sur l’estrade de la ‘’Maison de la teranga’’, un petit groupe de jeunes prépare du thé.

Ici, on converse en wolof. ‘’La particularité de ce pays, c’est que l’argent circule. L’Ivoirien est prompt à dépenser, quand il voit ce qui lui plait, quand il voit un article qui lui tient à cœur. Chose assez rare au Sénégal où le client s’éternise dans les négociations. Au final, on ne gagne rien. Au Sénégal, on préfère s’asseoir sur ses billets de banque et faire le mourant. C’est cela la réalité. Tu ne verras aucun frère te prêter trois millions, s’il sait que ton business va rapporter deux fois plus. C’est malheureux, mais je l’ai vécu. Or ici, une dame a ouvert pour un ami un atelier à hauteur de cinq millions. Il bosse là-bas en toute quiétude. Elle est ivoirienne et elle paie toutes ses coutures au même prix que les autres. Sur la base de la confiance, les Ivoiriens sont capables d’aider un étranger’’, lance, enthousiaste, Aladji Sarr, sirotant son verre de thé.

L’homme est à Abidjan depuis 2004, et visiblement s’y sent bien. ‘’Contrairement à ce que certains peuvent penser, nous vivons en parfaite cohésion avec les Ivoiriens. Je n’ai jamais eu de problèmes avec l’un d’entre eux. Au contraire, des amis de ce pays m’ont dépanné à maintes reprises. Nous sommes des soutiens de famille et c’est à partir du travail que nous faisons ici que nous envoyons de l’argent à nos familles. Plus de dix personnes comptent sur nous et grâce à Dieu, on ne les déçoit pas jusque-là’’, poursuit-il d’un air sérieux.

A l’en croire, certains Sénégalais confrontés à des problèmes de famille ou encore frustrés optent pour la destination ivoirienne. Pour ces professionnels de la mode sénégalaise, les conditions sont réunies pour faire de bonnes affaires. Les Ivoiriennes raffolent des tenues du ‘’pays de la téranga’’. Une robe en bazin coûte entre 100 000 et 150 000 F CFA, près de dix fois plus qu’au Sénégal. Idem du côté des robes ou ‘’taille-basse’’ en tissu brodé. Selon Aladji Sarr et sa bande, le marché du style vestimentaire à la Sénégalaise est encore méconnu des Ivoiriennes. Tant que c’est beau, elles achètent. S’il arrive qu’ils se ravitaillent sur place en tissu, la plupart du temps, c’est à Dakar que les tailleurs sénégalais font le plein de provisions pour leurs ateliers. Le seul hic à Abidjan, est la cherté du loyer. Il faut débourser entre 500 000 et 800 000 F CFA de caution pour vivre dans un appartement avec sa famille.

Abdoulaye Fall, Moussa Thiam et Aladji vivent à Treichville avec femmes et enfants. Néanmoins, une fois par an, ils retournent au bercail, histoire de resserrer les liens familiaux. A quelques pas de là, Abdou Samath Diakité range les articles d’un de ses fidèles clients. Taquins, ils se séparent avec un cours rapide de wolof. Originaire de Diourbel, Amath a atterri à Abidjan très jeune, en 1988. Il a toujours aimé l’aventure et a donc choisi, sur un coup de tête, de rejoindre son oncle. Propriétaire d’une boutique de prêt-à-porter, il a épousé une Ivoirienne et est père de quatre enfants qui devraient bientôt découvrir le Sénégal.

‘’Je pense que de tous les pays d’Afrique de l’Ouest, c’est ici que les Sénégalais sont le plus représentés. Cela se comprend, parce qu’on a ici des opportunités qu’on n’aurait jamais imaginées étant au Sénégal. Quand il y a une vérité, il faut la dire. J’aime mon pays. J’y vais régulièrement. Mais la Côte d’Ivoire est ma seconde patrie. Je n’ai que des amis ivoiriens. Ils sont sans façon. Malgré la crise, nous vivons en parfaite cohésion avec les Ivoiriens. La religion n’a jamais été un frein à nos relations, jamais. En 32 ans de vie ici, je n’ai jamais eu de problèmes avec un seul ivoirien. On mange et on partage tout ensemble’’, témoigne-t-il avec un accent local très prononcé.

 Amath vend cher ses articles. Pourtant, ils s’écoulent comme de petits pains. La tunique pour homme, très en vogue , coûte entre 30 000 et 60 000 F CFA. C’est selon le tissu utilisé. De l’autre côté de la route, des femmes s’apprêtent pour le repas de midi dans les gargotes du coin. Ce sont toutes des Sénégalaises. Au menu, du riz au poisson ou à la viande. Dans la commune de Treichville, les prix varient entre 1 000 et 2 000 F CFA le plat. Par contre, dans les zones résidentielles telles que la commune de Cocody, il va falloir débourser 7 000 F CFA dans certains restaurants.  

Des amicales pour se serrer les coudes

La communauté sénégalaise de Côte d’Ivoire est organisée en amicales dans chaque commune, en ‘’dahiras’’ et en associations. L’objectif est de pouvoir se retrouver et s’entraider. Une cotisation mensuelle de 500 F CFA permet de prendre en charge les cas sociaux. Le responsable des jeunes de l’amicale de Treichville estime le nombre d’émigrés sénégalais à plus de 50 000.

‘’En ce qui concerne l’aventure, chacun a ses motivations et moi, je me suis imposé une attitude : celle de ne jamais juger un seul Sénégalais, quel que soit le nombre d’années qu’il a fait ici. Au Sénégal, nous avons nos réalités. Donc, l’exil dépend de ce que chacun vit. Aussi, face à des conditions difficiles, surtout pour les chômeurs, on peut être tenté de partir. Si on avait au Sénégal ce que nous avons ici, jamais on ne serait sorti de notre pays. Personnellement, je suis parti pour des raisons économiques’’, affirme Ibrahima Diène.

Il est à Abidjan depuis 2000 et gère un atelier de réparation de montres. ‘’L’une des raisons pour lesquelles on s’est constitué en associations, c’est que la plupart viennent ici par le système arriver-payer, sans moyen et sans travail. Et c’est très compliqué de venir dans un pays étranger, dans ces conditions. Mais on a aussi notre consulat. Je salue le consul général Abdoul Karim Basse, qui est très proche de la communauté sénégalaise. Il fait tout ce qu’il peut pour ses compatriotes. Il n’a jamais oublié un seul Sénégalais. L’homme est disponible de jour comme de nuit. C’est le consulat qui gère toutes les situations qui nous dépassent au niveau de l’amicale’’, explique-t-il.

A l’en croire, ses compatriotes viennent avec leur savoir-faire dans différents domaines (couture, cordonnerie, bijouterie…), même s’il arrive des reconversions en fonction des réalités du terrain. Pour les familles ayant vécu dans le pays pendant près de 30 ou 40 ans, il est prévu un plan de retour. Et Ibrahima Diène d’ajouter : ‘’Nous nous sommes souvent rapprochés de ces familles pour leur demander si elles veulent rentrer. Si oui, on les aide au travers de cotisations, à regagner le pays.’’

Quant aux tensions liées au contexte électoral, les ressortissants sénégalais sont catégoriques : ‘’Il ne faut pas s’en mêler.’’ Ibrahima Diène indique : ‘’Récemment, on a organisé une réunion qui tournait autour de cela. On sait qu’un Sénégalais hors de son pays ne connait que le travail. On ne se mêle pas de ce qui ne nous regarde pas. J’aimerais donc rassurer nos parents restés au pays. C’est cet appel qu’a lancé le consul général aux responsables des amicales. Quand la situation a explosé, la première chose qu’on a demandée aux Sénégalais, c’est de ne pas s’en mêler. On leur demande de se concentrer sur leur travail et de rentrer tranquillement chez eux, le soir.’’

 EMMANUELLA MARAME FAYE (ENVOYEE SPECIALE A ABIDJAN)

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