Qu'en dit la loi?
Le contexte de l’«affaire Cheikh Yérim Seck» s’y prêtant, nombre de Sénégalais s’interrogent aujourd’hui sur le viol, ses modalités et les peines encourues par ceux qui en sont inculpés. EnQuête sur les textes de loi relatifs au dit délit, à savoir l’article 320 du code pénal, et l’utilisation faite de ces derniers par la justice.
Communément défini par la langue française comme un «rapport sexuel imposé à quelqu'un par la violence, obtenu par la contrainte, qui constitue pénalement un crime»*, le viol est codifié dans le droit sénégalais par l’article 320 du code pénal. Ce dernier considère, dans son alinéa premier, comme un viol «tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature que ce soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise».
Assez englobante, cette définition - dont la version en vigueur date de 1999 - servirait avant tout à protéger les victimes, selon Me Nafissatou Diouf, avocate et Secrétaire générale de l'Association des Juristes sénégalaises. «Ce texte, explique-t-elle, a l’avantage de définir les agressions de quelques natures qu’elles soient. Avant 1999, la loi ne prenait pas en compte les affaires où il n’y avait pas de coït, c’est-à-dire de pénétration par le sexe de l’homme, or ce n’est pas toujours le cas puisque l’introduction de doigts, d’objet ou toute autre entité dans les parties intimes d’une personne sans son consentement est un viol».
Circonstances, Circonstances…
Si la loi sénégalaise est claire, préconisant un emprisonnement pour tout viol sur la personne d’autrui, l’appréciation des textes reste à la discrétion du juge. «La loi définit le viol, mais le juge statue In Concreto. Il décide selon les circonstances de la cause et applique la peine qu’il estime convenable en se servant d’outils comme la criminologie ou la jurisprudence, sans être néanmoins lié par la règle du précédent. Dès l’instant qu’il reste dans le ‘’tarif légal’’, par exemple, on ne peut pas reprocher à un juge d’aller dans le sens de la clémence ou de la sévérité, sauf s’il est lié - comme dans le cas des viols aggravés - par la loi», explique Me Cheikh Bamba Cissé, un avocat habitué à ce genre d’affaires.
Allant dans le même sens, le juge André Bop Sène, Président de la dernière Cour d’Assises en date au Palais de Justice, déclare qu’en matière de viol, ce sont les circonstances de l’acte qui sont de première importance : «En matière de viol, l’accusé est condamné aux peines correspondant au délit codifié par l’article 320 dont il est reconnu coupable. Elles peuvent être plusieurs, et chacune d’elles peut aller de 5 à 10 ans, sans pour autant être cumulatives. A savoir, par exemple, qu’un homme condamné pour viol et pour pédophilie dans la même affaire se verra affliger uniquement la peine la plus sévère, conformément à l’article 5 du code pénal. Cela s’appelle la confusion des peines. Dans le cas, maintenant, où le juge estime qu’il y a des circonstances atténuantes, la peine peut même se trouver réduite de moitié, sauf s’il est reconnu coupable de viol aggravé. Là, il doit forcément subir le maximum de peine», conclu-t-il.
La question du consentement
«Si déterminer la matérialité d’un viol est facile, déterminer s’il y a eu défaut de consentement ou non, l’est beaucoup moins, particulièrement en ce moment, avec les délits de mœurs qui vont crescendo», confie André Bop Sène.
Effectivement, la question de la supposée absence de consentement de la victime est très épineuse. Ce que déplorent d’ailleurs bien des juristes. Dans un article paru en mars dernier dans le magazine d’actualité La Gazette, le professeur à la faculté de sciences juridiques de l’UCAD Fatou Kiné Camara y dénonçait une évidente stigmatisation des victimes, souvent accusées à tord de jouer les Cassandre : «Dans le cas du viol, l’entendement populaire est très sévère à l’endroit des victimes (…) chez qui on cherche souvent à déterminer une part de responsabilité. Le viol est le seul délit où la victime est vue comme une menteuse, et par sa propre famille d’abord, parce que l’on essaie de voir si elle a provoqué ou ce qu’elle faisait à l’endroit de l’agression».
Au delà de ce que l’opinion en pense, il y a - même du coté de la loi - certaines contradictions sous-jacentes à la notion de consentement. «Le consentement est toujours amplement discuté dans les affaires de viol, particulièrement, s’il s’agit de victimes n’ayant pas atteint la majorité. En effet, la loi dit que le consentement d’un mineur ne peut pas être reconnu comme valable, or le code de la famille, de par son article 108, dit que l’époux, même mineur, doit consentir personnellement au mariage. Et qui dit mariage dit relations intimes. Je pense que, fondamentalement, la majorité pénale doit être adaptée à la majorité sexuelle, particulièrement aujourd’hui avec nos jeunes de plus en plus précoces, et cela afin de laisser au juge la latitude d’accepter le consentement des mineurs», déclare Me Cheikh Bamba Cissé.
Viol : y a-t-il besoin de réadapter la loi?
Bien que l’on s’entende sur le fait que, comme dit le Pr. Fatou Kiné Camara, «une loi ne peut pas entrer dans tous les détails et définir chaque mot», il est évident que dans la pratique, avec victimes et accusés qui soutiennent presque toujours des versions différentes, l’application du droit pénal n’est aujourd’hui pas chose aisée.
Certains, au nom de l’évolution du socialement acceptable, sont en faveur d’une réadaptation du droit : «On se rappelle tous de l’affaire Mathiou, en 2006, ou la Cour de Cassation avait reconnu comme valable le consentement de la victime, même si cette dernière n’était à l’époque âgée que de 16 ans. La loi de 1999, sous ce jour, pose un problème dans le sens qu’elle n’a pas évolué avec nos mœurs et mentalités», explique Me Bamba Cissé.
Pour d’autres, par contre, le problème n’est pas forcément notre législation nationale : «La loi n’est, par essence, jamais parfaite et, si elle doit prendre en compte toutes les évolutions de la société, il faut avouer que le texte actuel - même s’il date de 1999 - est pour le moins favorable aux victimes. Je pense que le problème se situe plutôt au niveau de l’ignorance générale des textes relatifs aux droits des femmes inclus dans les chartes et protocoles africains ratifiés par nos gouvernements. Cela ouvre la porte à l’impunité pour un bon nombre de comportements déplacés à l’égard de ces dernières, types de comportements que, malheureusement, les femmes elles-mêmes sont amenées à accepter par manque d’information», déplore Me Nafissatou Diouf.
Sophiane Bengeloun