Publié le 10 Sep 2024 - 14:36
DRAMES EN SÉRIE

L’indifférence tragique

 

À force de s'habituer aux tragédies, la population semble se résigner à l’idée que ces événements sont inévitables, rendant ainsi toute mobilisation collective difficile.  

 

L'indifférence apparente des Sénégalais face aux drames qui secouent leur pays peut être comparée à la célèbre métaphore de la grenouille dans l’eau chaude. Tirée de l’ouvrage d’Olivier Clerc, ‘’La grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite et autres leçons de vie’’, cette allégorie illustre bien comment une lente dégradation de l’environnement social et politique passe souvent inaperçue, tant elle est progressive.

Malgré les dizaines, voire les centaines de morts, de blessés, de disparus, les populations semblent avoir perdu toute capacité d’indignation. Comment sortir de  cette indifférence galopante des Sénégalais face aux drames récurrents que vit le pays, qu’il s’agisse d'accidents de la route, de chavirements de pirogues ou d’autres tragédies qui coûtent des vies humaines ? La question se pose de plus en plus avec acuité.

Le lundi 9 septembre 2024, un accident tragique a coûté la vie à 16 personnes dans le village de Ndiaga Fall, dans le département de Bambey. Un bus et un camion sont entrés en collision, provoquant un incendie qui a calciné les véhicules. Le bilan aurait pu être plus lourd sans l’intervention rapide des pompiers. Seulement 24 heures avant cet accident, un autre drame s’est déroulé en mer, lorsqu'une pirogue en détresse transportant plus de 150 personnes a chaviré. Cinq corps sans vie ont été repêchés par la marine nationale et 24 personnes ont pu être sauvées. Plusieurs autres étant portées disparues.

Malgré l’horreur presque quotidienne, ces événements tragiques passent souvent sous silence ou suscitent peu de réactions, hormis quelques publications sur les réseaux sociaux.

Mais le plus désolant dans cette indifférence généralisée, c’est l'absence de réaction des plus hautes autorités. Aucun tweet du chef de l'État, pas un mot des personnalités politiques, encore moins une déclaration du ministre en charge, malgré l’ampleur du drame. Ce silence assourdissant, dans une époque où la communication instantanée sur les réseaux sociaux est devenue la norme, traduit non seulement une déconnexion des dirigeants avec les réalités du terrain, mais aussi un manque de compassion face aux souffrances des citoyens. Cette inaction symbolise un désengagement progressif de ceux qui devraient, en premier lieu, incarner la protection et la défense de la population. Les tragédies se succèdent, les familles sont brisées, mais les messages de condoléances, de soutien ou d’action concrète se font attendre, renforçant ainsi la perception d'une désensibilisation collective à la détresse humaine.

Le silence assourdissant et gênant des plus hautes autorités

Cette indifférence peut être perçue comme le symptôme d’une société désensibilisée aux drames répétés. Selon Sauguy Guèye, habitant de Keur Massar, cette indifférence est synonyme de déshumanisation. Il explique que la population ne réagit plus que sur les réseaux sociaux, laissant de côté toute forme de mobilisation citoyenne ou de solidarité nationale. Pour un autre résident, cette attitude est due à la récurrence des accidents qui ont fini par banaliser la mort et les souffrances qu’ils provoquent. Ce phénomène devrait pourtant faire l’objet de journées de deuil national ou de manifestations à grande échelle, mais ce n’est pas le cas.

Toutefois, lorsqu’un homme comme Cheikh Oumar Diagne fait des déclarations jugées offensantes envers les guides religieux, la population réagit immédiatement. Les disciples de ces chefs religieux descendent dans la rue pour exprimer leur mécontentement, preuve que l’indignation peut encore se manifester, mais uniquement pour des sujets perçus comme plus prioritaires ou émotionnellement chargés. Cela révèle un certain déséquilibre dans les priorités sociales et montre comment l'émotion a pris le dessus sur la raison dans les affaires publiques.

Dans son livre ‘’La stratégie de l’émotion’’, Anne-Cécile Robert analyse comment les émotions sont devenues un outil de manipulation de l’opinion publique. Selon elle, les émotions dominent désormais le débat public, au détriment de la raison et de la réflexion critique. Les réseaux sociaux, en particulier, nourrissent un narcissisme compassionnel qui se traduit par des réactions éphémères et des discours superficiels.

La politique et la religion suscitent plus d’indignation que les drames quotidiens sur la route, en mer…

Les catastrophes qui secouent le pays deviennent alors des faits divers médiatiques, rapidement oubliés, tandis que des sujets plus émotionnels comme la religion ou la politique suscitent des vagues d’indignation. Ce phénomène, que Naomi Klein qualifie de ‘’stratégie du choc’’, permet au système de se maintenir en exploitant les émotions plutôt que de chercher des solutions structurelles aux problèmes du pays.

Un autre exemple de cette indifférence est l’immigration clandestine, un sujet qui, malgré son importance, ne suscite que peu de mobilisation populaire. Chaque année, des centaines de jeunes Sénégalais tentent de rejoindre l’Europe en empruntant des voies dangereuses, souvent au péril de leur vie. Pourtant, les manifestations contre ce fléau sont rares et les campagnes de sensibilisation quasi inexistantes. Mis à part quelques déclarations politiques et reportages médiatiques, aucune véritable action citoyenne de grande ampleur n’est menée pour prévenir ces tragédies.

Ce silence est d'autant plus frappant que l’immigration clandestine est devenue un objet politique central. Politiques et opposants échangent des déclarations enflammées, mais les citoyens eux-mêmes semblent peu concernés par la recherche de solutions concrètes.

Les accidents de la route constituent une autre facette de cette indifférence généralisée. Après les tragédies de Sikilo et de Sakal, 22 mesures ont été prises par le gouvernement pour renforcer la sécurité routière. Pourtant, ces mesures restent insuffisantes et leur application est souvent laissée à la discrétion des autorités locales. Les associations de transporteurs, de leur côté, ne prennent aucune initiative pour sensibiliser leurs membres ou pour réclamer une meilleure réglementation.

Comme le souligne le chercheur Omar Ndiaye, les accidents de la route au Sénégal représentent une véritable hécatombe silencieuse. Chaque année, des centaines de Sénégalais perdent la vie sur les routes, souvent en raison du mauvais état des infrastructures et du non-respect des règles de circulation. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Sénégal figure parmi les pays les plus touchés par les accidents de la route en Afrique de l’Ouest.

L’un des exemples les plus marquants de l’indifférence progressive de la population est la tragédie du ‘’Joola’’ survenue en 2002, où plus de 2 000 personnes ont perdu la vie dans le naufrage du bateau. À l'époque, cette catastrophe avait provoqué une onde de choc dans tout le pays. Les citoyens avaient alors pris conscience des dangers de la surcharge et de la corruption dans les transports. Cependant, cette vigilance n'a pas duré, et aujourd'hui, les tragédies en mer ou sur la route continuent de se produire dans une relative indifférence.

Une prise de conscience nécessaire

Face à cette indifférence généralisée, il est urgent que les Sénégalais prennent conscience des dangers qui menacent leur société. La multiplication des tragédies, qu'elles soient routières, maritimes ou liées à l'immigration clandestine, exige une mobilisation citoyenne à grande échelle. Il est impératif de sortir de cette torpeur collective et de remettre en question la gestion des crises au plan national.

La réponse à cette indifférence ne peut venir que d'une prise de conscience collective, accompagnée d'une action citoyenne forte. L'abbé Pierre, en 1954, avait su mobiliser la France entière en appelant à une ‘’insurrection de la bonté’’, après une série de drames.

De la même manière, il est temps pour les Sénégalais de s'unir pour exiger des réformes profondes et lutter contre la banalisation de la souffrance et de la mort dans leur pays.

L’indifférence n’est pas une fatalité, mais un choix. Et chaque choix peut être révisé.

Les Sénégalais, tout comme leurs dirigeants, doivent prendre conscience que chaque drame mérite une réponse, une action, une indignation. L’histoire nous enseigne que l’apathie collective peut être plus destructrice que le choc initial d’une catastrophe. Il est temps de sortir de cette indifférence, avant qu’il ne soit trop tard.

 

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