Publié le 17 Jul 2025 - 17:49
PARUTION - “LE VERBE, MON COMPAGNON DANS L’ACTION”

Le doyen Alla Kane, du PAI au Pastef, incarnation d’une logique politique

 

Alla Kane, vieux militant révolutionnaire ayant rejoint le parti d'Ousmane Sonko est un symbole. Celui de l'existence d'une continuité idéologique entre la vision de Pastef et les combats de la gauche radicale d'hier. Mais aussi de l'existence de tendances au sein de l'actuelle majorité présidentielle, qui pourraient obliger cette dernière à ouvrir un débat franc sur son programme.

 

“La lutte continue !”, s’exclame Alla Kane à la fin de sa prise de parole. Ce samedi  12 juillet, le doyen de l’Assemblée nationale, 89 ans, présentait son ouvrage, “Le Verbe, mon compagnon dans l’action” (L’Harmattan, 2025).  Le livre, malgré des défauts d’édition, permet de se faire une idée du parcours politique d’Alla Kane, entré au Parti africain de l’indépendance (PAI) en 1957. Alla Kane a été de nombreux combats et a fréquenté toutes les formations de la gauche sénégalaise. Ses engagements ont été aussi épiques, comme lorsqu’il rejoint Cuba en vue d’apprendre les techniques de guérilla, que de longue haleine, comme en témoignent ses activités d’enseignant et de contrôleur des impôts pendant des décennies.  

Dans l’assistance, d’anciens activistes de différents courants de gauche côtoient des militants des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef). Alla Kane a rejoint la formation politique d’Ousmane Sonko en 2021, et en est devenu député en 2024. 

Au sein de Pastef, Alla Kane pilote le groupe fondé en 2022 et baptisé “Magui Pastef”. Des “doyens” d’entre 60 et 90 ans, pour la plupart issus de la gauche et de l’extrême-gauche. On y retrouve par exemple Madièye Mbodj, ancien maoïste, et Dialo Diop, issus du Rassemblement national démocratique (RND) de Cheikh Anta Diop. Tous deux sont venus assister à la prise de parole de leur camarade Alla Kane. 

“Il y a une continuité entre les combats qu’ils ont mené hier et les nôtres d’aujourd’hui”, note le député du Pastef Ayib Daffé, lui aussi présent à l'événement. L’élu rappelle que les figures socialiste et panafricaine de Mamadou Dia et de Cheikh Anta Diop sont chères aux militants patriotes, notamment aux plus jeunes. Au sein du parti de la majorité présidentielle, malgré tout, les cadres rechignent souvent à classer leur formation selon un axe gauche-droite. 

Dialo Diop éclaire sur cette continuité évoquée par Ayib Daffé. “La question nationale, tout simplement !”. C’est bien ce qu’on comprend à la lecture du livre d’Alla Kane. De son militantisme au PAI communiste à son intérêt pour le panafricanisme du RND, le marxisme-léninisme du doyen a surtout été une méthode mise au service d’un but : la décolonisation complète du Sénégal. Les concepts de “souverainisme” et de “patriotisme” de Pastef ont attiré ceux qui comme Alla Kane, toute leur vie, ont combattu sous les drapeaux de l’anti-impérialisme, du rejet du néo-colonialisme, du tiers-mondisme. Le nationalisme progressiste est l’idéologie implicite qui relie anciens révolutionnaires et nouveaux patriotes. 

Si Alla Kane est aujourd’hui député, c’est du fait de l’insistance d’Ousmane Sonko, qui a tenu à le voir jouer un rôle prépondérant. “L’expérience politique et la maîtrise du terrain d’un Alla Kane, vous ne vous en passez pas quand vous pouvez les mobiliser”, souligne Dialo Diop. Alors que le Pastef réfléchit à organiser son premier congrès, les doyens du Magui Pastef pourraient y jouer un rôle de premier plan. En effet, les quadragénaires de Pastef ont bâti un mouvement gazeux qui s’est avéré capable de s’emparer du pouvoir mais qui peut manquer à l’avenir d’un ancrage et d’une solidité durables. Leurs aïeux issus de la gauche radicale, eux, ont voué dans leur jeunesse une passion aux questions organisationnelles, à la formation des militants et à la création d’appareils solides, implantés dans les couches laborieuses de la société. L'ouvrage d'Alla Kane fourmille d'anecdotes sur son long travail de création d'appareils partisans et syndicaux.

Une question toutefois reste pudiquement tue. Celle de l’existence de tendances, voire de divergences au sein de Pastef. Ce dernier ressemble de fait plus à un front ouvert qu’à un parti uni sur les plans théoriques et doctrinaires. L'attachement à un style décolonial, la critique du franc CFA, le projet d'unité africaine et d'autres points  de convergences autour du sujet national suffiront-ils à maintenir une unité parfaite ?

Dans plusieurs discours récents, les langues de différents leaders de Pastef se sont volontiers faites libérales. Au gouvernement, on retrouve de chauds partisans du libéralisme ; Abdourahmane Sarr à l’Économie, et le co-auteur des Territoires du développement avec Ousmane Sonko, Moussa Bala Fofana à l’Urbanisme par exemple. À l’heure des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et de défis économiques lourds, le Pastef et ses alliés risquent de voir naître un débat chaud entre ces derniers et d’autres chevilles ouvrières du “Projet”, aux vues plus socialisantes… Alla Kane et ses camarades, anciens communistes, maos ou anta-diopistes de Magui Pastef par exemple ?

 

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