Attention au repli nationaliste
Fermer les frontières pour éviter la propagation de la maladie ou les ouvrir pour permettre l’acheminement de matériel, personnel et soins à travers des corridors humanitaires ?
À ce dilemme le gouvernement sénégalais a répondu en choisissant la 1ère option, à savoir la fermeture des frontières avec la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone, ce qui à mon avis constitue une erreur :
la notion de frontière étanche est une aberration surtout chez nous en Afrique de l’Ouest. La fermeture ne fera qu’activer les réseaux de passeurs et on risque paradoxalement d’accroître le nombre de malades et personnes à risques non détectés (ou qui viennent pour être pris en charge médicalement).
D’autant plus qu’il serait illégal d’interdire l’entrée sur le territoire de citoyens sénégalais vivant par dizaines de milliers dans ces pays.
D’après les projections de l’OMS, il faut compter entre 6 et 9 mois pour venir à bout de la maladie et l’organisation prévoit de traiter 20 000 cas d’ici là. Il serait illusoire de croire que nous pourrons nous abriter derrière des frontières « étanches ».
Lorsque que plusieurs cas seront détectés au Sénégal, trouverons-nous juste que d’autres pays à leur tour nous ferment leurs propres frontières plaçant ainsi le Sénégal « sous embargo ».
- La fermeture d’une frontière stigmatise un pays tout entier comme si l’ensemble de la population était pestiféré alors que pour l’instant on parle de zones spécifiques et de centaines de cas, avec le risque que cette stigmatisation ne se retourne contre les populations originaires de ces pays vivant chez nous.
- Traiter l’épidémie à la source requiert une coopération internationale et l’expression d’un acte de solidarité régionale. Or avec la fermeture des frontières, les organisations humanitaires internationales se voient refuser l’utilisation de Dakar (leur siège régional) comme plateforme pour acheminer le matériel et le personnel nécessaires à la lutte contre la maladie dans les zones affectées. Résultat, la maladie risque de s’étendre et de nous atteindre.
À mon humble avis, il convient de s’orienter de toute urgence vers une approche régionale comme l’a préconisé la réunion des Ministres de la santé de la CEDEAO tenue le 27 août à Accra qui demande l’ouverture des frontières avec un meilleur contrôle sanitaire des points de passage.
Les pays de la CEDEAO doivent de toute urgence procéder à une mutualisation de leurs ressources, expertises, compétences humaines et capacités hospitalières pour travailler ENSEMBLE dans les zones affectées quel que soit le pays.
La maladie pose un sérieux défi à la nécessaire solidarité régionale. La réponse doit être régionale et internationale.
Par ailleurs, le gouvernement sénégalais a tout à fait raison d’insister sur la prévention et les campagnes d’information et d’éducation doivent s’intensifier. La crise pourrait d’ailleurs être l’occasion de changer nos comportements en matière d’hygiène (Ebola ou pas).
En attendant le gouvernement doit anticiper et planifier au cas où nous serions confrontés « au pire » et mettre en place les structures d’accueil, de dépistage et de prise en charge, négocier l’accès à des ressources avec la communauté internationale et tirer les leçons du traitement réussi des 2 soignants américains rapatriés au Libéria et soignés à l’hôpital Emory d’Atlanta le mois dernier.
Finalement, dépister les cas au plus tôt aujourd’hui exige un dialogue et une implication des organisations des communautés guinéennes, sierra léonaises et libériennes de Dakar. Ce sont elles qui sont le mieux à même de freiner les départs des zones infectées vers le Sénégal et accessoirement de signaler tout cas de personnes pouvant être affectées ou ayant eu des contacts avec des malades.
Ce qu’il nous faut c’est une stratégie d’ensemble d’information, d’éducation, de prévention, d’anticipation qui s’insère dans une démarche résolument régionale et solidaire.
Il serait souhaitable que le Sénégal puisse prendre le leadership d’une telle initiative compte tenu de l’expérience et des compétences de notre Ministre Eva Marie Coll Seck.
Par Pierre Sané, Président de Imagine Africa Institute