Publié le 12 Jun 2025 - 18:24

En Afrique, le « travel ban » à géométrie variable de Donald Trump

 

Les ressortissants de sept pays africains sont interdits d’accès au territoire américain, selon une logique qui souffre d’incohérences.

 

A Kinshasa et Brazzaville, les capitales des deux Congos qui se font face sur les rives opposées du fleuve éponyme, on doit se demander à partir de quels critères Donald Trump a établi sa liste de 12 pays – dont sept en Afrique – soumis à son nouveau travel ban, principe interdisant l’accès au territoire américain.

La République démocratique du Congo (RDC) échappe à cette fermeture alors que son voisin, le Congo-Brazzaville, est frappé d’interdiction. A compter du 9 juin, plus aucun visa ne sera délivré aux ressortissants de ce pays, comme à ceux des autres Etats bannis : Afghanistan, Birmanie, Haïti, Iran, Yémen, Tchad, Guinée équatoriale, Erythrée, Libye, Somalie et Soudan. Le Burundi, la Sierra Leone et le Togo figurent sur une deuxième liste de « suspension partielle ».

Dans un communiqué publié mercredi 4 juin, la Maison Blanche justifie sa décision en termes réglementaires. Elle se base sur la proportion de visa overstay, autrement dit les détenteurs de visas de type B1/B2 (affaires ou tourisme) ou F, M, J (études, échanges scolaires…) arrivés par avion ou bateau et qui sont demeurés sur le territoire américain après l’échéance du délai légal de leur séjour. Le Congo-Brazzaville affiche des taux de 29,63 % et de 35,14 %, respectivement, pour le premier et le deuxième groupe de visas. Des proportions « inacceptables » pour Washington.

La RDC, quant à elle, échappe au couperet de l’administration américaine. Pourtant, plus d’un étudiant sur deux (les visas F, M, J) prolonge illégalement son séjour aux Etats-Unis, selon les données contenues dans le rapport daté du 5 août 2024 du Service des douanes et de la protection des frontières des Etats-Unis (CBP), chargé notamment de la lutte contre l’immigration illégale. La note « explicative » de la Maison Blanche ne précise pas, évidemment, si les négociations actuelles menées avec Kinshasa pour accéder aux minerais stratégiques rares dont le pays regorge expliquent cette mansuétude.

La lecture du rapport des douanes, qui a servi de base de référence, montre que la décision américaine s’applique quasiment mécaniquement aux pays qui affichent le plus haut taux de visa overstay – sans tenir compte des valeurs absolues. Le Burundi se retrouve ainsi inscrit sur la deuxième liste à cause de 24 étudiants restés trop longtemps sur le sol américain après y être entrés légalement. Dans cette même situation, il y a 7 081 étudiants indiens, plus 12 882 touristes ou hommes d’affaires originaires du même pays. Mais compte tenu du nombre total d’Indiens entrés aux Etats-Unis, la proportion est moindre que pour le Burundi.

Ce travel ban n’est pas une surprise. Lorsqu’il a pris ses fonctions, le 20 janvier, Donald Trump a publié un décret demandant au département d’Etat d’identifier les pays pour lesquels « les informations relatives à l’examen et au filtrage sont si insuffisantes qu’elles justifient une suspension partielle ou totale de l’admission des ressortissants de ces pays ». Durant sa campagne, il avait également promis de « restaurer » le travel ban qu’il avait imposé à plusieurs pays – la plupart musulmans – durant son premier mandat (2017-2021).

Le président américain estime que les cas de visa overstay constituent un « danger extrême ». Mais les chiffres contenus dans le rapport des douanes soulèvent des questions sur les cibles touchées. Les sept pays africains sanctionnés ne représentent ainsi que 0,5 % des quelque 314 110 cas enregistrés sur douze mois de mai 2023 à mai 2024.

Dignité et fierté

Sur une vidéo mise en ligne sur le réseau social X, Donald Trump a également évoqué l’attaque à Boulder (Colorado), survenue dimanche, pour justifier sa décision. Ce jour-là, un Egyptien entré légalement en 2022, mais dont le visa avait expiré depuis des mois, a lancé des engins incendiaires sur des participants à une marche hebdomadaire en soutien aux otages israéliens retenus depuis le 7 octobre 2023 par le Hamas dans la bande de Gaza. L’attentat a fait au moins 12 blessés. Quelque 2 700 Egyptiens sont en visa overstay. « Nous ne laisserons pas entrer dans notre pays les gens qui veulent nous faire du mal », a averti Donald Trump. L’Egypte échappe toutefois au travel ban, destiné également à « combattre le terrorisme par des normes de sécurité fondées sur le bon sens ». La Libye et la Somalie – ainsi que Cuba – sont en revanche épinglées comme des Etats soutenant le terrorisme.

Amnesty International ne partage pas les mêmes valeurs normatives de « bon sens ». L’organisation de défense des droits humains juge que « la nouvelle interdiction de voyager est discriminatoire, raciste et carrément cruelle ». Tous les pays africains listés sont, à l’exception de la Sierra Leone, sous le joug de pouvoirs autoritaires, voire dictatoriaux. Certains sont ravagés, tel le Soudan, par la guerre. Mais ce n’est pas au nom de la défense des valeurs démocratiques ou humanistes que les Etats sont sanctionnés.

En termes mesurés, l’Union africaine (UA) s’est dite « préoccupée par le possible impact négatif de telles mesures sur les relations interpersonnelles, les échanges éducatifs, les échanges commerciaux et plus largement les relations diplomatiques soigneusement entretenues depuis des décennies ».

Parmi les pays « bannis », le Tchad, accusé de « mépris flagrant des lois américaines sur l’immigration », a été le plus prompt à réagir. Le président, Mahamat Idriss Deby, a averti sur sa page Facebook avoir « instruit le gouvernement à agir conformément aux principes de réciprocité et suspendre l’octroi de visas aux citoyens américains ». « Le Tchad n’a ni avion à offrir, ni des milliards de dollars à donner, mais le Tchad a sa dignité et sa fierté », a-t-il ajouté, en référence aux cadeaux donnés par certains Etats à Donald Trump pour le convaincre d’abaisser les nouveaux taux de douane exorbitants. Le président américain a quant à lui averti que « de nouveaux pays peuvent être ajoutés [à la liste des travel ban”] au fur et à mesure que des menaces émergent dans le monde ».

 

Le Monde 

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