‘’Notre génération d’auteurs ne peut pas écrire comme celle d’avant…’’
Financier de formation avec une carrière essentiellement menée dans le secteur pétrolier, Ameth Guissé n’en est pas moins un auteur talentueux. Il refuse qu’on l’appelle pour le moment écrivain, lui qui a publié divers ouvrage dont ‘’Une mort magnifique’’. Un chef d’œuvre qui lui a valu le grand prix Cheikh Hamidou Kâne de la première semaine sénégalaise du livre organisé par ‘’L’harmattan Sénégal’’. Dans cet entretien, il parle de sa passion pour l’écriture, de ses prochaines productions, de l’avenir de la littérature sénégalaise et de la découverte du pétrole au Sénégal.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?
Très jeune, j’ai aimé le livre. J’ai lu très jeune beaucoup des livres de la littérature africaine comme ‘’L’enfant noir’’ de Camara Laye, ‘’L’aventure ambiguë’’ de Cheikh Hamidou Kâne, ‘’Une vie de Boy’’ de Ferdinand Oyono, ‘’Maïmouna’’ d’Abdoulaye Sadji, ‘’Mirages de Paris’’ et ‘’Karim’’ d’Ousmane Socé Diop, etc. Il y avait une magie autour des mots que j’ai toujours aimée. La musicalité des mots m’attirait. C’est une question de sensibilité qui te pousse vers la littérature. J’ai une âme littéraire même si je ne suis pas un homme des Lettres. Je suis venu par effraction. J’ai toujours aimé écrire. La littérature est comme un ‘’bol d’air’’ pour moi. Cela me permet de sortir des chiffres, de penser à autre chose. Cela me permet de m’aérer la tête.
On pense souvent, à tort ou à raison, que science et littérature ne font pas bon ménage…
(Il coupe) Non, au contraire et cela tous les grands scientifiques le diront. Pour mieux appréhender la science il faut avoir une bonne maitrise de la langue. De grands savants ont été de grands littéraires. Je pense que c’est à tort qu’on veut les opposer. De grands scientifiques ont été de grands philosophes. On me dira que cela est tout à fait normal parce que la philosophie c’est de la logique. Prenons l’exemple de Souleymane Bachir Diagne qui est un grand scientifique qui a un Bac C avec une mention et qui est l’un des plus grands philosophes de ce continent. Il a fait une thèse sur la logique de Baule. Cela démontre que science et littérature ou science et philosophie sont des parents très proches. Quand on est dans le genre romanesque on écrit une prose. C’est une fiction. C’est peut-être pour cet aspect de la littérature que les gens l’opposent à la science.
Vous venez de gagner le grand prix Cheikh Hamidou Kâne de la première semaine sénégalaise du livre. Cela représente quoi dans votre carrière ?
Pour moi, c’est un grand honneur qui m’a été fait de recevoir le grand prix Cheikh Hamidou Kâne quand on sait la valeur du parrain. Cheikh Hamidou Kâne n’est pas n’importe qui. Pour moi, il est la référence africaine en matière de littérature. Son livre ‘’L’aventure ambiguë’’ a accompagné toutes les générations. Nous nous sommes tous abreuvé à cette source. Il nous a montré, comme il disait, ‘’l’art de lier le bois au bois’’ mais surtout de vaincre avec raison et non pas seulement d’avoir raison. Recevoir le prix des mains du parrain a été aussi un grand moment.
C’était la première fois que je voyais Cheikh Hamidou Kâne. Avoir un prix littéraire décerné par un jury composé d’éminentes personnalités de la littérature est une reconnaissance des pairs et il n’y a pas mieux que cela. Aussi, je ne pensais pas, il y a quelques années pouvoir gagner un prix littéraire. Dans ma vie ‘’d’élève’’, j’étais brillant. Je faisais toujours zéro faute en dictée. La première fois que j’ai fait trois fautes en dictée le texte était extrait de ‘’L’aventure ambiguë’’. C’était normal parce qu’il y a l’imparfait du subjonctif et bien d’autres règles qu’il fallait respecter. Cela montre aussi comment l’enseignement s’est dégradé. Nous, à notre époque, on nous donnait des dictées dont les textes étaient extraits de ‘’L’aventure ambiguë’’ alors qu’on était en Cm2. Avec toutes les subtilités de l’imparfait du subjonctif. On n’ose plus donner de tels textes à des élèves aujourd’hui. On a grandi avec Cheikh Hamidou Kâne et on se retrouve aujourd’hui avec un prix dont il est le parrain, cela ne peut que nous faire énormément plaisir.
Ce prix, vous le considérez comme un encouragement ou un appel au défi ?
Les deux à la fois. Je le prends comme un engagement pour aller de l’avant et un défi à mieux faire. Il faut qu’on soit digne de porter ce titre de lauréat d’un prix Cheikh Hamidou Kâne. Il faut que nous essayions de prolonger à travers nos œuvres la dimension de cet homme.
‘’Une mort magnifique’’ est l’ouvrage qui vous a valu ce titre. Qu’est-ce qui vous a inspiré?
D’abord il faut dire que cette ‘’mort magnifique’’ n’a rien de macabre contrairement à ce qu’on peut penser en lisant le titre. La mort est sollicitée comme prétexte pour écrire le texte. C’est le rapport que certains ont avec l’argent qui m’a inspiré. Des rapports qui poussent des gens à penser que tous les coups sont permis, car selon eux, la fin justifie les moyens. J’ai voulu à travers ce livre montrer que si la fin justifie les moyens, les moyens ne servent pas à toutes les fins et il y a un moment où on est face, à sa conscience et à sa responsabilité. J’ai voulu prendre le prétexte de la mort parce que c’est un thème très fort. C’est cela qui pourrait interpeller les consciences car nous adorons la vie. C’est pour cela que Sandieri est peint comme un homme qui s’est occidentalisé à l’extrême.
Il se faisait même appeler San Dieri avec un mariage mixte qui l’a de plus en plus éloigné des siens avec un complexe de supériorité vis-à-vis de sa famille. Et il tenait à garder son niveau de vie. Ce n’est pas pour rien que je commence le livre par l’enterrement. De plus en plus dans nos pays, dans nos sociétés, les gens pensent qu’ils doivent acheter des caveaux pour y enterrer les siens. A son grand étonnement, à son enterrement, il ne voit personne parmi les membres de sa proche famille. Cela me permet de montrer cette forme continuelle de la vie parce que le souvenir est transporté. On ne peut vouloir maintenir une certaine distance avec les gens de son vivant et les avoir proches à ta mort. Ce n’est pas possible. Ainsi, la recherche effrénée de l’argent ne doit pas pousser les gens à se permettre tout dans ce bas monde. Ce qui prime pour moi dans la vie c’est l’élégance dans les rapports avec les gens.
La base de l’histoire est une sorte de redite. Ne preniez-vous pas des risques de ne pas être lu en sortant ce livre ?
Je ne le pense pas. Parce que la trame n’est pas la même. Dans ‘’une mort magnifique’’, la mort est un rêve et c’est pour montrer aux gens que les actes que nous posons ici-bas peuvent nous poursuivre là-haut. Je montre les écarts que le personnage a eus. Dans la deuxième partie du livre Sandieri se réveille de sa mort. Ce rêve qu’il a eu a été comme un catalyseur. A parti de ce moment, il essaie de panser les blessures, de rétablir les relations entre lui et les gens parce qu’il tente de ‘’sauver son âme’’. Cela passerait nécessairement par retrouver cette harmonie dans ses rapports avec les gens. Les trames diffèrent. C’est vrai que les hommes ont souvent eu des rapports assez compliqués avec l’argent, le fait qu’on y revienne en convoquant la mort des années après, montre que les hommes ont toujours eu ces rapports.
Pensez-vous que votre génération d’écrivains peut s’imposer en Afrique comme celle de Cheikh Hamidou Kâne et d’Aminata Sow Fall ?
Je pense que pour notre génération, il n’y a pas encore d’écrivains. Pour moi, écrivain est assez sérieux comme qualificatif et on est en train de le galvauder. Je considère écrivains ceux-là qui ont une certaine renommée dans l’écriture comme Cheikh Hamidou Kâne, Boubacar Boris Diop, etc. Me concernant, je me considère comme un auteur tout simplement. Ceci étant, je pense qu’il y a des défis que notre génération doit relever dans l’écriture. Aujourd’hui, des thèmes nouveaux nous interpellent dans l’écriture. Pour pouvoir relever le défi et vraiment maintenir le flambeau de l’héritage il faudrait que les uns et les autres s’attaquent aux thèmes qui intéressent notre société et notre continent et surtout le développement de ce dernier.
On ne peut plus écrire comme les auteurs d’avant qui étaient marqués par la colonisation ou par d’autres faits. Ce n’est pas pour rien que certains d’entre eux écrivaient plus des romans autobiographiques à l’époque. On est interpellé aujourd’hui par beaucoup de problèmes, beaucoup de faits dont on doit parler. C’est ainsi seulement que nous pourrons garder le flambeau parce que les auteurs que nous sommes, avons aussi des missions d’éclaireurs.
J’aime rappeler cette phrase de Gunterra que j’adore et qui dit que le roman n’est pas une œuvre autobiographique mais une exploration de la vie humaine dans ce piège que constitue ce monde. Il faut que les auteurs que nous sommes essayent de réfléchir aux enjeux de ce monde qui est un piège perpétuel. La mondialisation, le problème du devenir de l’Afrique, une indépendance totale de notre continent, sont des sujets qui nous interpellent. Il faut que nous réfléchissions sur cela pour baliser le chemin aux générations à venir.
Votre prochain livre parle de quoi ?
C’est un roman fait de nouvelles qui va sortir très bientôt. Certains exemplaires sont arrivés chez l’éditeur ‘’Harmattan’’. Il est intitulé ‘’42, rue Augustin Moreau’’. Ce livre revient sur des souvenirs d’une vie estudiantine vécue il y a 30 ou 34 ans à Paris. C’est quand rien n’était encore évident. Je fais raconter cette vie par une Française et je donne ainsi la parole à une femme pour qu’elle parle de cela. La leçon de cette histoire est de magnifier les amitiés solides et les relations fortes qui naissent pendant ces périodes d’incertitude. D’autre part, je veux montrer à la nouvelle génération que malgré la précarité dans laquelle nous vivions, malgré l’incertitude de lendemains meilleurs, nous avions toujours foi en l’avenir. Si nous avons survécu aux difficultés, c’est grâce à une solidarité indéfectible. Nous savions à l’époque que rien ne suffisait et tout était de peu. On se disait que le plus important était les défis à venir. A la fin du livre je reviens sur ce que nous sommes devenus au bout des 34 ans. Je travaille aussi sur un roman parce que ce qui va sortir là est un roman léger que j’ai voulu faire après ‘’Une mort magnifique’’. L’autre roman sur lequel je travaille va s’intéresser, peut-être, sur les défis qui attendent l’Afrique.
Notre pays a du pétrole et du gaz. A votre avis quel doit être le rôle des Sénégalais dans la gestion de ces biens ?
Voilà une question importante autour de laquelle les gens ont discuté et échangé. La découverte du pétrole et du gaz a été une annonce merveilleuse de perspectives heureuses pour le Sénégal. Je pense qu’au Sénégal, il nous faudrait tirer les leçons de ce qui s’est passé ailleurs. On a souvent tendance à assimiler le pétrole à de la malédiction. Il nous faudrait faire le pari de faire de cette découverte de pétrole une bénédiction. Nous en avons les capacités. Nous avons les ressources nécessaires pour faire cela et que çà serve aux générations à venir et non aux générations actuelles.
Pour cela, l’une des choses, la première à faire et la plus importante, à mon avis, est la transparence dans la gestion de ces ressources. Qu’on se dote des outils et mécanismes nécessaires ainsi que des procédures idoines pour que cette manne qui nous est venue du ciel soit gérée de manière transparente. C’est ainsi que nous rendrons service aux Sénégalais. Le défi qui nous attend nous Sénégalais, que cela soit la génération actuelle aussi bien les gouvernants que nous autres acteurs du secteur c’est de pouvoir donner aux générations futures des corbeilles remplies, afin de leur montrer comment on a pu bien gérer cette manne qui nous est tombé du ciel.
BIGUE BOB