Publié le 24 Aug 2014 - 17:06
EN VERITE AVEC AMETH GUISSE, PRESIDENT DE L’ASP

"Les Sénégalais doivent boycotter la station Total sur l’autoroute à péage’’

 

La station Total érigée sur l’autoroute à péage est une ‘’aberration’’ qui n’a pas respecté les conditions de concurrence régulière, à en croire, le président de l’Association sénégalaise des pétroliers (ASP), Ameth Guissé. Dans cet entretien, il demande aux Sénégalais de boycotter cette station  et passe au peigne fin les problèmes du secteur pétrolier.

 

Pourquoi le besoin de créer une association de pétroliers autre que celle existante ?

L’Association sénégalaise des pétroliers est née de la volonté des acteurs du secteur, pour la plupart des entreprises sénégalaises évoluant dans le sous secteur de la distribution des hydrocarbures. Ces acteurs ont senti le besoin de s’organiser en une association autre que celle existante pour défendre les intérêts de la profession.

Mais, également, essayer de créer un cadre de concertation, d’harmonisation et créer des synergies permettant aux sociétés de la place de se promouvoir. Outres ces aspects, nous avons fait le constat que beaucoup de sociétés pétrolières ne s’étaient affiliées à aucune organisation existante. Le besoin de réunir toutes ces sociétés se présentait de manière urgente. L’ASP, c’est aujourd’hui 19 sociétés pétrolières sur les 26 opérant dans le secteur de la distribution. Ainsi, de part sa composition, l’ASP devient donc la première société pétrolière du Sénégal.

Quels sont aujourd’hui les problèmes liés au secteur du pétrole au Sénégal ?  

Le principal problème du secteur du pétrole, c’est la position dominante d’un des majors qui est Total. L’introduction de l’opérateur de téléphonie dans le secteur fausse aussi la règle du marché et de la concurrence.  

Vous parlez de quel opérateur ?

C’est Orange. Mais aujourd’hui, on constate une certaine évolution. Le constat est qu’Orange est en train de proposer un partenariat à d’autres sociétés pétrolières, oubliant que quand on dénonce l’illégalité, on ne s’y installe pas (…) Sachant que nous évoluons dans un régime de grilles encadrées, ou les marges sont déterminées par la structure qui en elle-même est définie par un arrêté ministériel, cela pose des problèmes de dysfonctionnement dans le marché. Et, ce qu’Orange commence à faire, il fallait s’y mettre dès le départ.

Il est encore à rappeler à la jeune génération que Sonatel-Orange est héritière de la société des télécommunications TELESENEGAL ; et sans le travail d’expertise mené des années auparavant par cette société pionnière, avec l’argent des contribuables sénégalais, elle  n’aurait pas sa dimension actuelle. En cela et pour cette raison, son devoir n’est pas d’introduire dans un secteur où des nationaux opèrent avec succès, des règles qui s’appliquent au détriment des sociétés sénégalaises.

Que dire des autres problèmes du secteur ?

Les autres problèmes du secteur sont liés à l’approvisionnement de certains produits comme le super carburant qui depuis l’arrêt métal de la Sar n’arrive pas à être distribué de manière régulière. Le problème c’est que tant que la Sar fonctionne, il n’y a pas de problème, mais quand la Sar a des contraintes, les gens sont obligés de se rabattre sur certains importateurs de la place, en l’occurrence certains majors qui commercialisent le produit à des prix non réglementaires. A ce niveau, je pense que l’Etat doit intervenir pour réguler.

On a suivi dernièrement une guéguerre opposant les pétroliers à Total. Pouvez-vous revenir sur cette affaire ?

Le problème est d’abord lié au partenariat entre Orange et Total, à travers le produit ‘’Orange money’’. Nous avions démontré qu’économiquement, la société Orange subventionnait Total. L’autre problème est lié à la station Total installée sur l’autoroute à péage. A ce niveau, ce n’est pas seulement Total, mais c’est aussi Senac Eiffage. Pour nous, Total et Senac, c’est une alliance française installée sur l’autoroute à péage. Si cela s’était fait dans des conditions normales de concurrence, on ne nous entendrait pas parce que nous sommes des professionnels, mais cela n’a pas été le cas. Nous aurions souhaité que l’installation d’une station sur l’autoroute à péage se fasse par appel d’offres.

Mais il y a eu effectivement appel …

…Oui. Mais ce qui s’est passé est vraiment bizarre. L’appel d’offres qui a été fait a exclu les sociétés sénégalaises, il s’est fait entre des sociétés dites de dimension internationale. C’est une aberration pour une autoroute qui a une clientèle locale. Et si tant il est vrai qu’avoir une dimension internationale, c’est opérer hors de ses frontières, il y a des sociétés sénégalaises qui opèrent au delà de leurs frontières et qui auraient dû au moins participer à cet appel d’offres. Rien de cela n’a était fait et la place a été attribuée à Total. Alors qu’on le sait, avant la construction de l’autoroute à péage, il y avait des sociétés de pétrole qui étaient sur l’axe de l’autoroute. Elles ont été démantelées pour des raisons d’intérêt national. Ces gens devaient être prioritaires une fois l’autoroute à péage ouverte. Ou bien même être associés. Voilà la situation et aujourd’hui, nous continuons à dénoncer avec la dernière énergie cet acte.

A partir du moment où cet axe principal est construit en grande partie avec l’argent du contribuable sénégalais, il serait normal que des sociétés sénégalaises puissent en profiter. Mais ici, ce n’est pas le cas. Dans la situation actuelle, à défaut de pouvoir compter sur un patriotisme économique formalisé, décliné par une volonté politique, nous ne pouvons appeler les Sénégalais qu’à un patriotisme économique. Les Sénégalais sont suffisamment dotés de bon sens et de patriotisme, je leur demande de ne pas fréquenter ce point de vente tant que les conditions d’une concurrence régulière ne seront installées sur cet axe permettant aux sociétés sénégalaises d’opérer et d’offrir un choix pluriel aux citoyens. 

Etes-vous en train d’appeler les Sénégalais à boycotter cette station érigée sur l’autoroute à péage ?

Oui ! Bien sûr ! A travers un sursaut nationaliste, je demande aux Sénégalais de boycotter la station Total sur l’autoroute à péage. C’est avec l’argent du contribuable sénégalais qu’elle a été construite. Il n’est pas normal qu’on autorise seulement une société française à capter les ressources des Sénégalais. Il faut qu’on mette en place des conditions de concurrence régulière permettant à tout le monde d’opérer de façon tranquille et organisée. Et surtout d’offrir aux automobilistes sénégalais de faire le choix de leur distributeur. Je pense que c’est important. Si ce point de vente a été octroyé dans des conditions de concurrence régulières, il n’y aurait pas de problème.

Nous serions les premiers à applaudir. Tel n’a pas été le cas. Aujourd’hui, c’est à nous Sénégalais de pouvoir faire la lecture des choses et adopter un comportement conséquent. D’ailleurs, Gérard Senac, PDG de Eiffage Senac, dans la livraison du quotidien ‘’Walfadjri’’ du 01/07/2014, déclare en réponse au Collectif des pétroliers indépendants que pour la construction de la station sur l’autoroute à péage, il y a eu bel et bien un appel d’offres sur ‘’les entreprises qui sont considérées comme les plus importantes’’ suivant le cahier des charges du concessionnaire. Car il souligne : ‘’nous devons rendre compte au concédant, à l’Etat. Ce cahier de charges est parfaitement en règle. S’il faut poser des questions, c’est à l’Etat du Sénégal qu’il faut les poser…’’  Manifestement, M. Senac charge l’Etat du Sénégal.

Justement quels sont vos rapports avec l’Etat ?

Avec l’Etat, c’est des rapports tout à fait normaux. Je pense que l’Etat, c’est l’autorité de tutelle du secteur. Notre rôle en tant qu’acteurs de la profession, ce n’est pas simplement d’interpeler l’Etat. C’est aussi de lui suggérer des solutions. Le rôle de l’Etat, c’est d’encadrer. Pour cela, il faut avoir toutes les informations et les bonnes informations. Il appartient aux professionnels de fournir à l’Etat les informations nécessaires. Et de travailler en étroite collaboration avec lui, de manière à ce que les décisions soient prises dans le bon sens. Parfois, l’Etat n’a pas la bonne information.   

Et qu’en est-il de vos rapports avec les compagnies comme Total et Shell ?

Nous avons des rapports professionnels avec Total et Shell. Beaucoup d’entreprises de la place entretiennent des rapports normaux avec les majors, que ce soit Total, Shell et même Oilbya. Nous avons des relations professionnelles.

Aujourd’hui, on assiste à une cherté du carburant. Tout le monde s’en plaint. C’est quoi la solution adéquate à votre avis ?

Tout le monde sait que le prix du carburant est plus cher au Sénégal qu’au Mali, qu’en Côte d’Ivoire. Alors que les produits transitent au Sénégal avant d’être acheminés au Mali. Je pense que c’est une question autour de laquelle on a souvent discuté. On sait qu’une des raisons de la cherté du carburant au Sénégal est liée à sa fiscalité qui impacte lourdement sur le prix de cession du carburant aux consommateurs. A terme, il faut souhaiter une diminution de la fiscalité. Pour pouvoir alléger le pouvoir d’achat des Sénégalais.

Cependant, il faut reconnaitre que depuis bientôt plus d’un an, après la seconde alternance, les prix sont bloqués. Aussi bien le super et le gasoil n’ont subi aucune variation. Est-ce à dire que les prix pouvaient augmenter ou baisser, c’est selon. Une comparaison avec les prix des différents pays fait constater de façon nette que la différence réside au niveau de la fiscalité. Est-ce que l’Etat a les moyens de faire réduire la fiscalité ? Il est le seul à pouvoir le déterminer, compte tenu de ses engagements et de son cadre normal. Si c’est possible, il est souhaitable de le faire.

Des gérants de stations déplorent la faiblesse de la marge bénéficiaire sur le carburant. A titre d’exemple, sur chaque 1000 litres écoulés, le gérant de station ne gagne que 10,5 F soit 10 500 F. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

Aussi bien la marge bénéficiaire du gérant que celle du distributeur sont faibles. Sur ce point, tout le monde est d’accord, de même que les autorités de tutelle. Si on enlève les passages et le transport pour les produits, on se retrouve avec une marge d’environ 30 francs. Tu déduis de cette marge les frais de fonctionnement et les fonds d’amortissement, il ne restera plus beaucoup. Je pense qu’il faut une réflexion globale qui prenne en charge à la fois la marge distributeur et celle des gérants pour voir comment les améliorer de façon à ce que les gens puissent tirer leur épingle du jeu. Les autorités sont assez sensibles sur la question. Des travaux sont en cours pour essayer de réfléchir sur ce problème de la marge.

PAR AMADOU NDIAYE

 
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