Publié le 6 Aug 2012 - 19:43
ENQUÊTE CHEZ SELBÉ NDOME

 "Même si j'ai été prostituée, je ne rendrai compte qu'à Dieu"

 

 

Une femme qui essaie de comprimer des "meurtrissures" causées par les revers de la célébrité, c'est l'image que renvoie la très populaire voyante Selbé Ndome. EnQuête est allée la rencontrer chez elle, sur la route de Boune, dans la banlieue dakaroise, ce samedi. Histoire de revenir sur des prédictions qui lui sont imputées à tort, mais aussi sur son passé dans le cercle infernal de la prostitution.

 

 

Elle aurait sorti ses griffes, telle une fauve déchainée, pour exprimer sa rage contre une certaine presse qui lui a bâti une renommée à fendre le coeur. "Je suis vraiment désolée, mais j'ai décidé de ne plus parler aux journalistes. Ils nous ont fait trop fait souffrir, ma famille et moi. Un de vos confrères est venu ici vendredi dernier mais je l'ai renvoyé. Je lui ai fait comprendre qu'avec tout l'or du monde, il ne pourra m'arracher ne serait-ce qu'une petite phrase. La presse n'est plus la bienvenue chez moi. Je suis désolée...”

 

Selbé Ndome cherche, d'emblée, des mots pour faire dans la courtoisie. Ses phrases sont brèves comme si elle essaie de contenir sa colère contre les journalistes qui lui auraient prêté des propos mensongers. Et pour cause: “Jamais je n'ai dit qu'un crash se produirait à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Je le jure 'ci barke la illaha illa Lah Seydina Mouhamadou Rassouloulahi (PSL)' . De même que je n'ai pas prédit un coup d'état en Gambie. Je n'ai jamais vu en songe le président gambien, je le jure sur tout ce qui m'est le plus cher. Que je brûle en enfer, si ces allégations sont miennes."

 

Avec des accents de sincérité bien sentis, Selbé Ndome se laisse aller à des aveux non sans exprimer sa rancoeur. “J'ignore qui a fabriqué ce tissu de mensonges qui m'est attribué, mais que les auteurs de telles diffamations sachent que jamais de ma vie, je ne leur pardonnerai." La célèbre voyante croit savoir être en train de payer la rançon de sa popularité, d'où cette campagne de dénigrement qui serait, à ses yeux, intentée par des “détracteurs tapis dans l'ombre avec la complicité d'une certaine presse.” "Pourquoi jeter le discrédit sur ma modeste personne et ne pas poursuivre en justice le marabout Baye Kounta, qui a confirmé la thèse du crash à l'Ucad ? "s'interroge-t-elle.

 

Et d'ajouter: "je revendique mes révélations faites sur la lutte sénégalaise et je n'ai pas peur des menaces des promoteurs de lutte, ils ne pourront pas me faire taire. Mais mon sang a fait un tour d'encre lorsque j'ai lu dans la presse que la Dic et la police sont à mes trousses. Jusqu'à l'heure où je vous parle, je n'ai pas été inquiétée par les autorités. Bien au contraire, j'ai essayé d'ester en justice contre les journalistes et leurs complices. Et le procureur de la République m'a même conseillé de porter plainte pour diffamation."

 

Au fur et à mesure qu'elle essaie de "rétablir la vérité des faits", la colère monte d'un cran chez quelques membres de sa famille trouvés sur la terasse de l'immeuble où elle a loué un appartement de trois pièces.

 

La célèbre voyante croit savoir être en train de payer la rançon de la popularité

Plus d'une dizaine de filles sont aux fourneaux sous la supervision de la "voyante de 2012". Son appartement est aussi le point de ralliement des enfants du quartier qui viennent chercher des biscuits et autre amuse-gueules. Et c'est sa fille d'une quinzaine d'années qui finit par s'emporter sous l'effet de la colère. "Maman, tu n'as plus à parler à la presse, il faut renvoyer cette journaliste, qu'elle sorte, elle n'a rien à faire ici, on a trop souffert de cette situation, qu'elle s'en aille..." Elle se lève avec une souffrance palpable dans le ton de sa voix. Affectée par la tournure des évenements, Yacine, sa fille aînée, a fini par vivre recroquevillée sur elle-même. Elle évite de nous regarder.

 

Plus sereine, Selbé Ndome reprend le fil du dialogue. "Vous voyez, le crash n'a pas fait que semer la panique dans le pays, il a mis mon foyer en lambeaux. Jamais je n'ai fait de révélations qui puissent contrevenir à l'ordre public." Elle se tait un instant avant de se répandre en "serments", lesquels ponctuent la discussion.

 

"Mon passé est derrière moi"

Mise au devant de la scène par ses prédictions sur de grands combats de lutte, sur l'accession de Macky Sall au pouvoir, il y a deux ans, Selbé Ndome jouit pourtant d'une bonne réputation dans son quartier au fin fond de la banlieue dakaroise. Sa prodigalité a fini par rehausser son nom dans le quartier. Tous disent du bien de cette dame qui dépense, chaque jour, de fortes sommes pour nourrir les nécessiteux et soutenir financièrement les nombreuses personnes qui la sollicitent.

 

Confidence de sa meilleure amie et complice Coumba Bâ. “Les gens doivent cesser de distiller des contrevérités sur Selbé. Elle a mené un vrai parcours du combattant avant d'en arriver là. Elle a connu des moments difficiles dans sa vie. Il lui arrivait de n'avoir rien pour nourrir sa petite famille mais par sa générosité, elle s'est toujours sacrifiée pour les autres, n'hésitant pas à aller chercher de l'argent pour répondre aux diverses sollicitations. Elle a trimé dur dans son passé, sans le soutien de personne."

 

Un culte du don de soi qui aura fini par alimenter toutes sortes de commentaires sur le passé de cette dame qui serait obnubilée par le souci d'être à la hauteur de ses nombreuses charges. Elle héberge plus d'une vingtaine de ses neveux et nièces chez elle. On la dit ancienne fille aux moeurs légères, accro à l'alcool...

 

Interpellée sur ces questions, Selbé Ndome nous affronte d'un regard qui trahit cette envie de faire table rase d'une tranche de sa vie dont elle aimerait ne plus entendre parler. "A supposer que j'ai eu à boire de l'alcool dans mon passé, à consommer du chanvre indien ou à exercer le plus vieux métier du monde, c'est-à-dire prostituée, je pense que je n'ai de comptes à rendre à personne. Je me focalise sur mon avenir, sur celui de ma grande famille qui ne cesse de s'élargir et qui compte beaucoup sur moi. Ce que j'ai eu à faire de ma vie n'engage que moi. J'estime que mon passé est derrière moi et je prie Dieu d'agréer les bonnes actions que je pose, chaque jour, pour lui rendre grâce."

 

Pour une visite inopinée, elle nous accueille dans sa "cuisine", entourée de plus d'une dizaine de jeunes filles en train de préparer le "ndogu", repas de la rupture du jeûne, qu'elle distribue chaque jour. Dans son entourage, on lui voue un respect sans frontière, de l'admiration. "Je fais des marmites du coeur chaque jour...", dit-elle avec un petit sourire. "J'en ai toujours rêvé vu qu'il m'arrivait de ne pas avoir quoi me mettre sous la dent!"

 

D'une "grande marmite" se dégagent les effluves du "café touba". Quinze paquets contenant 50 de sachets d'eau minérale, une bassine d'oignons, un mouton égorgé pour le menu du jour, 150 miches de pains, 10 kg de dattes, un sac de riz, des paquets de beurre margarine tapissent une partie de la terasse qui lui sert de cuisine... "Si je n'étais attirée que par l'appât du gain, je pense que je vivrais dans le luxe ou encore je chercherais à soutirer des sous au chef de l'Etat, Macky Sall ou au nouveau roi des arènes Balla Gaye 2, à qui j'avais prédit victoire. Je n'ai pas cherché à les rencontrer depuis..."

 

Comme pour donner du crédit à ses propos, la célébre prédicatrice nous fait visiter les pièces de son appartement constitué d'un salon bien meublé, et de deux chambres dont celle de ses "enfants". Une pièce qui offre l'image d'un débarras avec trois matelas à même le sol et un espace aménagé pour des sacs de riz, de mil, des paquets de biscuits, de glace, des sacs de dattes... "Plus de dix enfants dorment dans cette chambre, les garçons occupent, le soir, la terrasse. Je suis une Yaye-fall ; qu'on m'aide à avoir une maison ou une voiture au lieu de me dénigrer, qu'on m'aide à aider les gens, à aider les démunis, les malades mentaux qui ont besoin de réinsertion sociale...."

 

Sa maison est le lieu de convergence de couches sociales défavorisées

La maison de Selbé est le lieu de convergence de couches sociales défavorisées qui viennent chercher de quoi rompre le jeûne. Dans ce lot, des femmes, soutiens de famille, qui sollicitent son aide, en toute discrétion. Foulard ajusté au niveau des reins, la célèbre voyante se charge elle-même, à l'heure de la rupture du jeûne, devant l'immeuble, de servir passants, automobilistes, enfants, hommes et femmes qui l'assiègent. De la nourriture à gogo est distribuée au dehors, quand d'autres préfèrent se faire servir à l'intérieur de la maison, loin des regards curieux.

 

Avec fierté, Selbé déploie pendant presque une demi-heure toute son énergie pour "servir son prochain". "C'est cela qui donne un sens à ma vie et non semer la discorde dans ce pays..." lâche t-elle, furax.

 

MATEL BOCOUM

 

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