Publié le 17 May 2024 - 22:27
ENQUÊTE SUR LES VIOLATIONS DES DROITS DES MIGRANTS

Les stigmates des retours forcés

 

Un rapport basé sur 616 enquêtes quantitatives menées auprès de migrants de retour au Sénégal, entre février et mai 2023, a été publié hier. Effectuées dans cinq régions du pays, elles offrent un aperçu du processus de retour migratoire en prenant en compte trois axes clés : l’expérience des personnes migrantes, les violations des droits humains et l’impact sur leur réintégration.

 

Les résultats d’une étude intitulée “Des préjudices multiples et croisés : Examen du recours à la force lors du retour et de son impact négatif sur les droits humains des migrants pendant et après le retour au Sénégal" ont été présentés hier. L’objectif de cette étude, initiée par le Centre pour la migration mixte avec l’appui du Réseau régional des Nations Unies sur la migration et le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’homme pour l’Afrique de l’Ouest (HCDH-BRAO), était de comprendre les expériences des personnes de retour qui ont fait face au recours à la force (retours forcés, expulsions, interceptions en mer, détention). Elle a été menée dans cinq régions du Sénégal : Dakar, Tambacounda, Thiès, Kolda et Saint-Louis.

 Au total, 616 enquêtes ont été menées sur des migrants de retour, entre février et mai 2023.

L’enquête a montré que 68 % des migrants n’ont pas atteint leur destination initiale, 41 % ont été arrêtés aux contrôles aux frontières ou lors d'autres procédures officielles et 40 % n’avaient plus assez d’argent pour continuer, contre 37 % placés en détention.

Elle a également révélé que 58 % des répondants sont restés moins de six mois dans le pays où ils sont retournés. Un pourcentage de 89 % était en situation irrégulière dans leur pays de migration avant leur retour.

Les personnes interrogées n’étaient pas prêtes à rentrer, selon la note. En effet, 57 % estimaient ne pas avoir eu le choix dans leur décision de rentrer et ne pas être prêtes, tandis que 86 % ont déclaré être rentrées pour des raisons liées à leur statut juridique.

Retours forcés et usage de la force

Selon le document, 18 % des personnes interrogées ont fait l’expérience d’une interception en mer, 69 % ont rapporté au moins une violation ou abus en relation avec leur interception en mer, 74 % ont rapporté au moins une violation ou abus en relation avec leur expulsion et 44 % ont été laissés à une frontière sans soutien.

Sur l’expérience lors du retour, 47 % des personnes interrogées ont déclaré avoir été placées en détention au moins une fois au cours de leur retour et 94 % ont déclaré avoir été témoins ou avoir subi au moins une violation des Droits de l’homme (DH).

Concernant la corrélation entre la détention et les retours forcés, 75 % des personnes ayant subi un retour forcé ont été détenues.

Sur l’impact sur la réintégration, l’étude a montré que 75 % n’ont pas pu recevoir d’assistance depuis leur retour, 69 % des personnes interrogées ont déclaré que le sentiment d’échec ou de honte était un défi majeur à leur retour, 65 % rapportent avoir progressé en termes de reconnexion avec la famille, 60 % des personnes interrogées ont déclaré n’avoir fait aucun progrès ou avoir régressé par rapport aux indicateurs clés et 36 % déclarent avoir régressé par rapport à leur situation d’emploi et à leurs moyens de subsistance.

‘’Quel que soit le type de retour, les répondants ont le plus souvent déclaré qu'ils avaient le sentiment de ne pas avoir eu le choix de leur retour (57 %). La majorité des répondants ont estimé qu'ils n'étaient pas bien préparés à leur retour. Alors que 60 % de tous les répondants ont déclaré n’avoir fait aucun progrès ou avoir régressé par rapport aux indicateurs clés (santé, éducation, logement, emploi, etc.)’’, a confié hier la chercheuse Aurélia Donnard, la manager régionale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre du Centre pour la migration mixte.

Selon elle, sur l’usage de la force, les indicateurs clés de progrès sont encore plus affectés chez les personnes ayant subi l’usage de la force lors de leur retour. Les 3/4 des personnes ayant subi un retour forcé, d’après elle, ont été détenues et 94 % ont rapporté avoir subi des violations de DH lors de la détention. Les dommages et traumatismes subis pendant le voyage et le retour ont un impact, selon elle, sur la réintégration des personnes qui rapportent davantage de régression, et un sentiment d’échec.

‘’Les abus les plus courants signalés pendant la détention, cités par la majorité des répondants, sont le manque de nourriture (70 %), le manque d’eau (65 %), la surpopulation (62 %), les formes non physiques de violence (harcèlement, stigmatisation et xénophobie, 58 %) et les conditions non hygiéniques (56 %). La violence physique (45 %) est fréquemment citée’’, souligne-t-elle.

En outre, selon l’étude, il existe une forte corrélation entre la détention et les recours forcés. Environ 72 % des personnes déportées vers le Sénégal et 77 % des expulsées vers le Sénégal ont déclaré avoir été détenues lors de leur retour. En comparaison, seulement 30 % des personnes qui sont rentrées spontanément ont été détenues.

Les recommandations

Concernant les recommandations, la chercheuse Aurélia Donnard plaide pour une meilleure assistance aux migrants victimes de retours forcés, un accompagnement continu et une meilleure intégration, car, devant la population, les migrants de retour pensent qu’ils ont échoué.

CHEIKH THIAM

Section: