Les chiffres de l’apport des femmes dans l’économie sénégalaise
Souvent cantonnées aux seconds rôles, les femmes n’en demeurent pas moins dynamiques dans le secteur économique. Dans un document dénommé ‘’Étude sur la contribution de l'entrepreneuriat et du leadership féminins à la valeur ajoutée de l’économie sénégalaise : approche sexo-spécifique’’, l’ONU Felles et l’ANSD analysent leurs participations à la vie économique du Sénégal.
Dans les 15 256 364 de Sénégalais en 2017 (chiffres officiels de l’ANSD), 50,2 % sont des femmes. Si cette supériorité numérique ne se traduit pas forcément dans la représentation de l’activité économique, la gent féminine n’en demeure pas moins très dynamique. L’absence de chiffres pour quantifier cette différence a poussé l’ONU Femmes, dans le cadre de son programme ‘’Women Count’’, à lancer un programme de renforcement des capacités de production du système statistique national en données sensibles au genre, en collaboration avec l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD). En découle une étude sur la contribution de l'entrepreneuriat et du leadership féminins à la valeur ajoutée de l’économie sénégalaise.
Publiée récemment, elle permet de constater qu’au total, ‘’l’entrepreneuriat et le leadership féminins ont contribué à hauteur de 2 681,0 milliards F CFA à la création de valeur ajoutée, soit 22,1 % du PIB du Sénégal en 2017’’ choisie comme année de référence.
Dans le détail, les résultats ont fait ressortir que dans le secteur moderne, l’entrepreneuriat et le leadership féminins contribuent à hauteur de 1 000,5 milliards de F CFA, soit 24,5 % de la valeur ajoutée. Dans le secteur informel, la richesse générée par les femmes est estimée à 1 680,5 milliards de F CFA (1 222,1 pour le secteur informel non agricole et 458,4 pour l'agriculture informelle), soit 33,5 % de la valeur ajoutée de l’informel.
Les femmes entrepreneures ou gérantes, dans le secteur formel, ont un niveau d’études élevé (60,4 % ont le niveau supérieur) et sont relativement jeunes (57,1 % ont un âge compris entre 35 et 55 ans). Elles sont plus actives dans le secteur tertiaire.
En effet, ‘’la répartition des femmes entrepreneures selon les secteurs d’activité révèle que près de la moitié des entreprises formelles appartenant à une femme sont dans le commerce (45,4 %). Ensuite, viennent les activités financières et d’assurance (14,9 %), les activités pour la santé humaine et l’action sociale (10,4 %), l’hébergement et la restauration (8,5 %) et l’enseignement (5,0 %)’’.
Le commerce, domaine de prédilection des femmes
La prédominance des services dans la création de richesses est due principalement, selon les enquêteurs, aux activités d’information et de communication (32,2 %), aux activités spécialisées, scientifiques et techniques (26,3 %) et dans une moindre mesure aux activités financières et d’assurance (7,3 %).
Toutefois, la construction et les transports sont des activités où l’entrepreneuriat et le leadership féminins sont quasi inexistants avec respectivement des parts de 0,2 % et 0,3 %.
La formalité reste minoritaire dans l’activité économique des femmes. Et le niveau d’études peut ne pas être déterminant dans l’esprit d’entrepreneuriat. Dans le secteur informel, 61,9 % des unités de production informelles (UPI) non agricoles sont détenues par les femmes, généralement sans niveau d’études (63,8 %). Et 19,8 % ont le niveau primaire. Elles exercent essentiellement leurs activités dans le commerce (62,1 %). Celles s’activant dans le secteur secondaire (activités extractives/mines, activités de fabrication, activités de production et distribution d'eau, assainissement et traitement de déchets et activités de construction) constituent 24,7 %, tandis que les autres sont dans les services (13,2 %).
Les entreprises informelles appartenant aux femmes sont caractérisées par une dominance des travailleurs pour compte propre, soit 83,2 % du total des emplois, suivis des travailleurs dépendants non rémunérés (13,1 %). La proportion des travailleurs dépendants rémunérés représente 2,6 %. Les résultats de l’ERI-ESI révèlent que 46,0 % des entrepreneures informelles sont sans local professionnel, 41,3 % exercent leurs activités à domicile et 12,9 % disposent d’un local professionnel. La part d’UPI sans local professionnel est plus importante dans le secteur du commerce (48,6 %). Les UPI du secteur secondaire (53,0 %) et des autres services (46,2 %) mènent leurs activités essentiellement à domicile.
Des activités menées essentiellement à domicile
L’analyse de la structure selon le milieu de résidence montre que la part des UPI dirigées par des femmes est plus importante dans les régions de Dakar (21,8 %), Thiès (17,9 %), Diourbel (16,4 %) et Louga (11,8 %).
La richesse créée, dans le secteur informel non agricole, par les UPI dirigées par les femmes est estimée à 1 222,1 milliards de F CFA en 2017. Cette richesse constitue 45,3 % de la valeur ajoutée globale de l’informel non agricole. Une analyse selon les secteurs d’activité fait ressortir que près de la moitié de cette richesse (49,1 %) est créée par les entreprises qui s’activent dans le commerce. Le deuxième secteur d’activité le plus important en termes de valeur ajoutée est celui du secondaire (35,5 %) dont la principale activité est la fabrication de produits agroalimentaires (23,9 %).
Ainsi, ces deux secteurs représentent, à eux seuls, 84,6 % du montant, soit 1 034,1 milliards de F CFA. D’après l’enquête agricole annuelle (EAA) de la DAPSA de 2017, les femmes qui s’activent dans l’agriculture informelle occupent 11 242 parcelles, soit 15,7 % du nombre total. Les femmes sont plus représentées dans les cultures de fruits, avec un pourcentage de détention de parcelles de 55,9 %. Dans les autres types de culture, une part prépondérante des hommes (88,0 %) est notée, notamment sur l’arachide et autres oléagineux (sauf graine de coton).
Les femmes, en milieu rural, dirigent de plus en plus leurs propres entreprises. Pourtant, ‘’leurs apports socio-économiques et leur potentiel de création d’entreprises demeurent largement non reconnus et inexploités. Elles sont concentrées dans des activités de très petite taille, de faible productivité, de faible rendement et opérant dans l’économie informelle’’, souligne l’étude.
L’entrepreneuriat féminin n’est pas sans difficulté. Et souvent, l'État est pointé du doigt. Au niveau formel ou informel, la taxation et les impositions sont identifiées comme les plus grandes entraves aux activités des femmes. Dans le secteur formel, ‘’64,3 % des unités dirigées par les femmes ont déclaré des problèmes liés aux impôts et aux taxes. Après, viennent les difficultés d’écoulement de la production (38,4 %), d’approvisionnement en matières premières (36,1 %) et d’accès au crédit (35,3 %). La corruption et l’insuffisance de personnel sont moins ressenties comme contrainte dans le secteur primaire avec des taux de 13,2 % et 12,3 %, respectivement’’.
Les femmes dénoncent des impôts et les taxes trop contraignants
Le problème est naturellement ailleurs dans le secteur informel où la principale difficulté à la création d’entreprises est l’accès au financement. En effet, ‘’la plupart des entrepreneures (54,0 %) ont démarré leur activité avec leur propre épargne, 12,1 % ont bénéficié de dons ou d’héritage et 23,0 % ont réussi à obtenir un capital par le biais de prêts informels. Celles qui ont bénéficié d’un prêt bancaire pour commencer leur activité sont très faibles (1,7 %)’’. Ici, les difficultés relatives à la réglementation, aux impôts et aux taxes sont déclarées par 11,3 % des UPI.
Les autres difficultés pointées par les femmes sont le manque de clientèle pour l’écoulement de la production. 37,8 % des entrepreneures informelles l’ont déclaré comme contrainte majeure. Les difficultés d’ordre technique et légal constituent également un frein dans le processus de développement des entreprises, de même que celles liées aux techniques de fabrication (39,2 %) et au manque de machines et d'équipements (38,1 %).
Pour booster davantage l’entrepreneuriat féminin, les enquêteurs recommandent aux autorités de faciliter davantage l’accès aux crédits et aux autres financements pour les femmes, et de réduire les impôts et taxes dans le secteur formel. Mais également, promouvoir le développement du marché local et mieux accompagner les exportations pour l’écoulement des produits, sans oublier de favoriser l’accès des femmes aux terres pour les cultures agricoles industrielles.
Lamine Diouf