«Yaya Jammeh n'a plus que quelques semaines au pouvoir»
Qui êtes-vous ?
Je m’appelle Sheikh Sidia Bayo. Je suis Gambien d’origine né à Paris il y a 33 ans. J’ai fait des études universitaires à Versailles, avec une maîtrise en Langues et civilisations étrangères option Espagnol. Je suis polyglotte car je parle anglais, espagnol, italien et néerlandais, en plus du français. J’ai grandi dans des conditions honorables à Paris avec des hauts et des bas, mes parents m’ont donné une bonne éducation et je parle très bien le mandingue. Je ne parle pas wolof mais je le comprends parce que ma mère à grandi entre la Gambie et le Sénégal, c'était une professeure de Lettres. J’ai fréquenté des écoles coraniques à Paris, je suis musulman pratiquant. Mon entrée dans l’arène politique gambienne s’est effectuée à l’occasion de l'élection présidentielle de 2006 avec le chef de l’opposition Me Ousseynou Darbo. En 2011, je l’ai suivi encore en tant que responsable politique pour l'Europe afin de mettre un terme au régime de Jammeh. Malheureusement, en 2011 nous avons encore perdu, pour la quatrième élection présidentielle.
Vous êtes à la tête d’un Conseil national de transition pour la Gambie (CNTG). Comment comptez-vous renverser le régime de Banjul ?
Je vous informe que notre gouvernement de transition est effectif et compte 35 membres. Il regroupe un gouvernement d’union nationale prêt à réconcilier les Gambiens avec le reste du monde et reste conscient des défis qui nous attendent après la gouvernance catastrophique de Jammeh. Nous allons en amont traquer Jammeh avec les forces de l’ordre gambiennes jusqu’à ce qu’il quitte le pouvoir. Ensuite, nous mettrons sur pied un Etat de droit et la justice gambienne se verra élaguer des mercenaires qui la polluent. Je vous assure qu’il ne reste plus à Yaya Jammeh que quelques semaines au pouvoir.
D'où tirez-vous cette confiance ?
Je ne peux pas entrer dans certains détails mais Jammeh lui-même sait que c’est fini pour lui et que son régime est en train de vivre ses derniers jours. Actuellement, la peur a changé de camps, Yaya Jammeh a la trouille. Il cohabite actuellement avec des éléments du CNTG qui, le moment venu, ils sortiront tous.
Avez-vous des rapports avec lui ?
Aucun. Je n’ai jamais rencontré Yaya Jammeh. Par contre, je sais qu’il me connaît car il a eu vent du CNTG. C’est un homme qui adore les technologies de l’information et de la communication et nous sommes bien présents sur ce terrain.
N’est-ce pas là un atout pour lui lors ?
Je n’ai pas besoin de le connaître, il suffit juste de voir les actes tyranniques qu’il pose pour avoir une idée du le dictateur qu’il est. En 2010, il avait dit pourtant qu’il n’appliquerait pas la peine de mort ! C’est un président qui ne respecte pas ses engagements. L’envoyé de l’Union africaine est arrivé à Banjul un jour avant la mise en exécutions de ces condamnés à mort. Mais il n’a pu rien faire car Jammeh l’a berné en lui disant qu’il voulait juste faire peur à son peuple. Il les a bien exécutés ! Au passage, puisque nous sommes au Sénégal, j’aimerais, au nom du peuple gambien représenté par le CNTG, présenter toutes nos condoléances aux familles de Mme Tabara Samb et de Djribil Bâ. Mme Tabara Samb, il faut le dire, a été abusée, mais vraiment abusée par les éléments criminels du président gambien. Quand la justice sera établie, je pense que le Sénégal regrettera d’avoir entretenu des relations aussi longues avec ce tyran.
Qui sont vos alliés ?
J’ai personnellement voyagé à travers le monde pour aller rencontrer tous les gradés de l’armée gambienne exilés sous la dictature de Yaya Jammeh. J’ai également rencontré toute la société civile intellectuelle de Gambie exilée à l’étranger. Toute la matière grise gambienne est avec nous et sur les 11 partis politiques que compte le pays, les 10 seront avec nous à coup sûr. Nous sollicitons une reconnaissance de la communauté internationale et plus précisément de l’Union européenne et de la France qui avaient vite pris position en dénonçant des déclarations criminelles du président Jammeh. La Guinée-Bissau, le Mali, le Niger et le Sénégal qui disposent de ressortissants dans les geôles gambiens ont été également interpellés pour mener une dénonciation ferme contre la barbarie du président gambien.
Le choix de Dakar pour lancer le CNTG peut signifier que les autorités sénégalaises vous soutiennent ?
Avec les membres du CNTG, nous avons choisi la destination Dakar pour le symbole. Il y avait un symbole fort dans ces exécutions : c’est la Sénégambie qui a été exécutée puisse qu’il y a eu 7 Gambiens et 2 Sénégalais. Nous sommes venus à Dakar pour amorcer une reconnaissance internationale et demander à la communauté internationale, à l’Union européenne surtout, d’avoir le courage de sanctionner le régime de Banjul. La chef de la diplomatie européenne (NDLR : Catherine Ashton) avait fait la promesse au lendemain de la déclaration de Jammeh d’exécuter les condamnés à mort, d'appliquer avec les 27 pays de l’UE, des sanctions contre ce régime. Nous ne sommes pas ici pour demander au Sénégal de nous reconnaître, mais pour demander une reconnaissance internationale et un appui à la légitimité de nos actions.
Le président Macky Sall vous a-t-il reçu ?
Je n’ai pas été reçu par le président de la République du Sénégal.
Des informations reçues soutiennent pourtant le contraire ?
Ce n’est pas vrai, le président Macky Sall ne m’a pas reçu.
Existe-t-il dans la sous-région des présidents qui vous ont reçu en audience ?
Je ne dirais pas le contraire mais je préfère garder tout ça en secret. Vous savez nous avons parcouru plusieurs pays pour plaider la cause gambienne. C’est le peuple gambien qui nous intéresse et nous ne ménagerons aucun effort pour le sortir des mais de Yaya Jammeh.
Dans quelles circonstances est né le CNTG ?
Nous avons connu en Gambie pour la première fois dans l’histoire de la CEDEAO, un boycott pour une élection africaine. Cela ne s’était jamais produit. C’était les prémices de la création d’un Conseil national de transition pour la Gambie que nous avons effectué à la date du 21 août 2012. Nous l’avons effectué parce qu’une fois de plus il y avait une folie judiciaire du régime de Banjul et du tyran Yaya Jammeh. Nous avons compris qu’il y avait deux ressortissants sénégalais parmi les 9 exécutés à la date du 23 août et nous avons pris toutes les dispositions possibles pour mettre en place et en urgence un comité de réflexion composé par des opposants gambiens en exil pour créer et réinventer une nouvelle manière de s’opposer à Jammeh. Bien entendu, on s’est inspiré du printemps arabe et du soulèvement populaire en Libye, sauf que la Gambie n’est pas la Libye. Nous savons que nous avons un peuple qui est incapable d’organiser des manifestations pour marquer son désaccord avec le régime de Banjul. À partir de là (...), nous nous sommes rencontrés à Londres et avons décidé d’entamer un processus de lancement d’une transition politique en Gambie. Dans un premier temps, il était prévu de lancer le CNTG pour le dernier trimestre de 2012, mais l’histoire s’est accélérée avec les dernières exécutions.
Quels sont vos liens avec la Gambie ?
Je suis issue d’une famille purement politique. Mon grand-père maternel, Chérif Cissé, fait partie des trois personnes qui ont accentué l’indépendance de la Gambie le 18 février 1965 avec le père de la Nation, Sir Daouda Diawara et Diakhoumpa Cissé. Ils ont été les instigateurs de l’indépendance de la République de Gambie. Mon grand- père a été le premier gouverneur de la Banque centrale, il a aussi été ministre des Finances et de l’Économie. A un moment, il a même créé un parti d’opposition. De par mon passé familial je me suis imprégné de la politique gambienne. Je dois vous avouer qu’ayant grandi et fait mes études à Paris, on peut me reprocher beaucoup de choses sur ma citoyenneté gambienne, mais je vous assure d’une chose : je suis Franco-gambien par les nationalités, toutefois je suis Gambien par le sang, par le cœur même si la France m’a tout donné. Aujourd’hui, je suis un peu comme ces footballeurs binationaux, mon cas est rare, il est atypique et j’en suis conscient. J’ai essuyé beaucoup de critiques par rapport à ma personnalité. Aujourd’hui, j’ai compris que la Gambie à besoin d’un groupe de citoyens qui réinvente la manière de s’opposer à l’actuel régime. Ce leadership, je ne l’ai jamais demandé, c’est vrai que j’ai été à l’origine du comité de réflexion et on m’a juste demandé d’accepter le leadership pour avoir initié cette idée. L’opposition gambienne exilée reconnaît le travail que j’ai effectué de 2006 à 2011.
A quand remonte votre dernier séjour en Gambie ?
En 2011, juste avant l’élection présidentielle.
Avez- vous de la famille là-bas ?
Ma grand-mère maternelle est toujours là-bas, de même que les oncles et tantes du côté maternel. Du côté de mon père, comme c’est un monsieur un peu âgé, il ne reste plus grand monde en Gambie. Mon dernier voyage en Gambie a eu lieu en mi-août 2011, j’en garde un souvenir triste. Le problème c’est que Jammeh a mis un système en place où les initiatives personnelles sont tout de suite suivies d’arrestations arbitraires, d’intimidations voire d’assassinats extra judiciaires. Le dernier souvenir que je garde de la Gambie au cours de mon dernier voyage, c’est un souvenir de compassion nationale car nous n’avons pas cette liberté d’expression. Il est temps que tout cela cesse et qu’un Etat de droit soit installé en Gambie.
PAR AMADOU NDIAYE
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