Publié le 17 Nov 2012 - 10:00
ENTRETIEN AVEC... XIA HUANG (AMBASSADEUR DE CHINE AU SÉNÉGAL)(3ème et dernière Partie)

«Le Chinois n'aime pas le blablabla. Quand on s'engage, on passe à l'action !»

On en vient à l'Afrique. Vous y investissez beaucoup depuis plusieurs années, en raison notamment d'un certain passé historique avec l'épisode Bandoeng, la naissance du Tiers-monde. Mais aujourd'hui, que répond la Chine à ceux qui disent que vous êtes très durs en affaires ?

 

En ce qui concerne les relations entre la Chine et les pays africains, je pense qu'on ne pourrait pas faire un raccourci abstrait pour situer ces relations uniquement dans le cadre des investissements. Les investissements chinois sont soit directs soit indirects sur ce continent... Vous avez parlé tout à l'heure de la Conférence de Bandoeng. Finalement, cette relation de coopération et d'amitié a été nouée dans des combats communs. C'est la lutte contre l'impérialisme, l'oppression, la colonisation, et pour l'émancipation. Il ne s'agit pas de relations mercantiles. La présence des Chinois sur ce continent a commencé par le soutien de l’État chinois à tous les mouvements de libération nationale. L’Algérie en constitue un exemple très frappant, elle qui a livré contre la France un combat sans merci pendant sept années d'affilée. C'était une guerre sanglante. Hors de ce continent, l’État chinois était aussi avec les Vietnamiens et là aussi, c'était pour aider à se débarrasser du joug colonial. Il s'agit donc de relations de soutien et de solidarité qui se traduisent aujourd'hui par une solidarité entre les pays du Sud. Dans les années 1960-1970, quand la Chine était encore un pays très pauvre qui avait de grosses difficultés économiques, elle n'a pas lésiné sur les moyens pour aider les pays africains. Dans votre pays, le Sénégal, votre stade à l'époque était le plus grand et le meilleur sur le continent africain. Il s'agit d'un investissement chinois et c'était un don de l'Etat chinois. Vous venez d'organiser un sommet de la Francophonie. La Chine n'est pas un pays francophone, mais c'est elle qui a construit le siège de ce sommet à Kinshasa en République démocratique du Congo, de même que les bâtiments qui ont hébergé les chefs d’État.

 

En plus du nouveau siège de l'Union africaine à Addis Abeba...

 

Le bâtiment de l'Union africaine constitue une autre grande réalisation de la Chine. Là, je fais un petit détour pour vous affirmer que la présence des Chinois sur ce continent date des années 1960, à plus longtemps dans d'autres pays. Vous avez d'autres partenaires sur ce continent qui sont là depuis des siècles et des siècles. Aujourd'hui, les Chinois sont sans complexe pour comparer ce qu'ils ont fait sur ce continent en général, au Sénégal en particulier, avec d'autres partenaires. Je viens du Niger, tous les bâtiments qui font l'image de ce pays ont été construits par les Chinois. Quand j'arrivais à Niamey en 2009, il n'y avait que deux chantiers : le deuxième pont sur le Niger et la raffinerie. C'est grâce à cela que l'Etat du Niger est devenu producteur de pétrole raffiné et autonome en essence et en gazole. Ici, c'est la même situation. Qui a fait le Grand théâtre et le Stade (NDLR : Léopold Sedar Senghor) ? En ce qui concerne les investissements, c'est un événement récent. Vous dites que sur le plan commercial les Chinois sont très très durs...

 

Pas moi, mais les commerçants et hommes d'affaires.

 

C'est à vous de voir. C'est à vous de juger. Le commerce n'est pas une affaire de charité. Parmi ces partenaires et autres investisseurs, donnez-moi les noms de ceux qui sont conciliants et prêts à faire de la charité ! Quand j'entends quelqu'un devant votre auguste Assemblée nationale dire : «Je suis prêt à vous aider pour mieux négocier»...

 

Vous parlez du discours du Président François Hollande à Dakar ?

 

Je n'ai rien dit. Dans les années 1940-1950, quand des entreprises étrangères ont commencé à piller vos ressources, pourquoi personne n'a fait ce travail ? Si aujourd'hui, on vous dit cela, c'est parce que d'autres partenaires sont venus. C'est le cas de la Chine, de l'Inde, du Brésil qui offrent d'autres options et choix aux Africains.

 

Vous pensez que votre coopération est plus efficace que celle des USA, de la France, des Occidentaux en général ?

 

Le Chinois n'aime pas le blablabla. Quand on s'engage, on passe à l'action ! Je reviens toujours sur le Niger parce que cela fait quelques semaines que je suis au Sénégal, donc je ne peux pas prétendre connaître ce pays. J'ai travaillé au Niger pendant 3 ans. J'ai vu énormément de choses dans ce pays. J'ai rencontré tous ceux que j'ai vus à Pékin pour recueillir des avis et informations qui puissent m'aider dans mes analyses. Le Chinois n'était pas le premier opérateur de pétrole. Avant cela, des Français, Américains, Hollandais s'y sont succédé. Mais à chaque fois, on vous dit : ce n'est suffisant ; mais à chaque expiration d'un permis pétrolier, je vous redemande un autre permis. J'ai une interrogation pour vous Sénégalais : combien de documents ont été remis aux mains de l'Etat sénégalais ? Avez-vous une idée des ressources sénégalaises ? Y a-t-il ou pas du pétrole le long de la côte ?

 

La Chine est-elle prête à coopérer avec le Sénégal pour l'exploration pétrolière ?

 

Dans le cas du Niger, quand l'Etat a remercié ceux qui étaient ses partenaires, c'est dans ce contexte qu'une entreprise chinoise est entrée en jeu en juin 2008. Ce qu'elle a donné comme engagements à l'Etat nigérien, c'est de mettre en marche la raffinerie au bout de 3 ans en passant à l'action immédiate. Pour mettre en marche la raffinerie, il faut prospecter, extraire et transporter pour ravitailler la raffinerie. Ici, si l’État sénégalais est confiant, nous sommes prêts à vous accompagner dans votre aventure de pétrochimie...

 

Alors, la Chine est prête à travailler avec le Sénégal pour faire des recherches pétrolières ?

 

Entre le Sénégal et la Chine, ce sont des relations d'égal à égal. Ce sont des relations de confiance mutuelle.

 

C'est-à-dire ?

 

Cela veut dire que tous les pays, qu'ils soient petits ou grands, ont les mêmes droits sur la scène internationale. L’Etat chinois ne fera jamais rien pour duper un autre Etat. La Chine ne dira jamais : ''Je suis plus forte que vous, je vous impose mes conditions''. Ce n'est ni notre pratique, ni notre habitude.

 

C'est la pratique des Occidentaux ?

 

Je n'ai rien dit. C'est à vous de voir. Les Chinois ne seront jamais des donneurs de leçons.

 

Quelles difficultés rencontrez-vous dans votre coopération avec le Sénégal ?

 

J'aimerais bien vous répondre sous un autre angle (…) ll faut que nos amis africains et sénégalais en particulier prennent conscience que dans les années 1950-1960, les pays aujourd'hui émergents d'Asie n'étaient pas nécessairement plus riches que l'Afrique. Sur un autre plan, les pays africains sont globalement mieux dotés par la nature que ces pays asiatiques. On dit que la Chine est un pays qui recèle beaucoup de ressources naturelles. Mais si les entreprises chinoises s'installent sur le continent africain ou dans d'autres continents dans la mise en valeur de pétrole ou d'autres ressources naturelles, c'est parce qu'on a un besoin qui n'est pas uniquement pour les Chinois. Les pays européens qui disent que les Chinois sont là pour piller l'Afrique font eux-mêmes ce genre d'assertion. Peuvent-ils se passer du pétrole africain ? Peuvent-ils se passer des ressources naturelles de ce continent ? Pourquoi sont-ils présents dans l'exploitation depuis des années et des années ? Quand les Chinois et les Indiens arrivent, on dit immédiatement qu'ils sont là pour piller. C'est malsain quand même. Concernant votre sous-région, la sécurité alimentaire et la famine deviennent depuis quelques décennies une sorte de refrain chronique. Au Niger où j'ai travaillé pendant 3 ans, la famine a frappé à trois reprises dans la décennie écoulée. Lors de la dernière crise, on a comptabilisé dans la sous-région 17 millions de sinistrés, dont 8 millions dans un seul pays : le Niger.

 

Vous voulez dire quoi par là ?

 

C'est la chose suivante : quand je parle de la faim à mon fils, il pense que je rigole avec lui. Parce qu'avec cette abondance de produits alimentaires qu'il y a dans le monde, il ne comprend pas ce que veut dire la faim. La dernière famine qui a eu lieu en Chine, c'était entre 1959 et 1962. Des millions et des millions de Chinois en sont morts. Pour la génération de mes parents, la famine n'est pas un souvenir lointain. Si la Chine arrive à réaliser son autosuffisance alimentaire, si ces pays asiatiques y arrivent, on peut se demander pourquoi l'Afrique n'y parvient pas. Ici, vous avez énormément de chance. Vous avez de l'eau, beaucoup de fumier pour l'agriculture. C'est écologique. C'est plus sain que les produits européens. C'est pour vous dire que la faim n'est pas une fatalité, le sous-développement encore moins. Simplement, il faut changer de mentalité. Si ces pays asiatiques ont su réaliser émergence et prospérité économiques, c'est qu'ils ont compris qu'il faut savoir compter sur soi-même, comme le dit cette assertion formidable : ''Aide-toi et Dieu t'aidera''.

 

 

PAR MOMAR DIENG

 

 

 

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