Environ 255,5 et 414,4 milliards de F CFA perdus par an dans les mines
Les pays africains essuient une perte d’impôt sur les sociétés minières, estimée entre 450 et 730 millions de dollars par an en moyenne, environ 255,5 et 414,4 milliards de francs CFA, du fait de l’évasion fiscale des entreprises multinationales. C’est ce que révèle une nouvelle étude du Fonds monétaire international (FMI).
Les pays d’Afrique subsaharienne devront, selon le Fonds monétaire international (FMI) prendre des mesures ciblées afin de restreindre le transfert des bénéfices dans le secteur minier et d’éviter des pertes considérables de recettes fiscales. ‘’Une nouvelle étude des services du FMI montre que les pays de l’Afrique subsaharienne, qui subissent actuellement une énorme pression pour augmenter les dépenses publiques en riposte à la pandémie, perdent chaque année des recettes d’impôt sur les sociétés d’un montant de 450 à 730 millions de dollars par an, soit entre 255,5 et 414,4 milliards de francs CFA, à cause du transfert de bénéfices par les entreprises multinationales du secteur minier. Des mesures ciblées visant à réduire l’évasion fiscale pourraient permettre aux pouvoirs publics de récupérer une partie de ces recettes fiscales dont ils ont désespérément besoin pour stimuler la reprise et atteindre les objectifs de développement durable’’, renseigne l’institution dans un communiqué rendu public vendredi dernier.
D’après les estimations du FMI, l’Afrique subsaharienne possède 30 % des réserves minières mondiales, ce qui devrait représenter une ‘’grande chance’’ pour la région. Malgré le niveau élevé d’investissement privé dans ce secteur névralgique, cette étude permet de constater que bon nombre d’entreprises multinationales évitent de payer leurs impôts. ‘’Notre analyse s’inscrit dans le contexte des efforts que la communauté internationale déploie pour faire face à la concurrence fiscale et au transfert des bénéfices des entreprises multinationales, pratiques qui exercent une pression sans précédent sur la fiscalité internationale des entreprises. À cet égard, 136 pays, dont 20 d’Afrique subsaharienne, ont adopté, le mois dernier, un taux d’imposition effectif minimal sur les sociétés de 15 % qui entrera en vigueur en 2023. L’importance des industries extractives pour les économies de la région est évidente. Le secteur minier contribue à environ 10 % du PIB des 15 pays d’Afrique subsaharienne riches en ressources naturelles. Dans la plupart de ces pays, les exportations des industries extractives représentent 50 % du total des exportations en moyenne et constituent la principale source d’investissement direct étranger’’, rapporte le document.
Cependant, pour les 15 pays riches en ressources naturelles de la région, les recettes tirées de l’exploitation minière représentent seulement 2 % du produit intérieur brut (PIB) en moyenne. Ce niveau de recettes soulève des ‘’préoccupations’’, selon le Fonds monétaire international, car il ne représente pas une ‘’juste’’ répartition des bénéfices. ‘’Il ressort de nos travaux que les recettes sont réduites de deux manières. Premièrement, les pays essaient d’attirer les investisseurs en abaissant les impôts, ce qui alimente une concurrence fiscale régionale malsaine. Deuxièmement, le transfert international de bénéfices par les entreprises multinationales amoindrit l’assiette fiscale des pays producteurs’’, poursuit l’institution.
Un régime fiscal efficace
Les experts du FMI notent, en effet, que la plupart des pays africains imposent les industries extractives au moyen d’une combinaison de redevances, d’impôt sur les sociétés et, parfois, de participation sans contrôle à des projets afin de percevoir des dividendes sur les bénéfices de l’entreprise. La structure du régime fiscal appliqué aux industries extractives de la région influe directement sur la tendance et l’ampleur des recettes tirées de l’exploitation minière.
En outre, face à la concurrence pour attirer des investisseurs et dans l’espoir de stimuler le développement économique, les pouvoirs publics ont réduit les taux d’impôt sur les sociétés dans bon nombre de secteurs, dont celui des industries extractives. ‘’Notre étude souligne que sur les 15 pays d’Afrique subsaharienne riches en ressources naturelles, seuls trois ont une législation fiscale qui prévoit de plus faibles taux d’impôt sur les sociétés minières, et six pays imposent plus fortement l’activité minière. Or, la pratique qui consiste à négocier au rabais les taux d’impôt sur les sociétés dans les contrats relatifs à des projets miniers spécifiques est généralisée. Neuf pays au moins ont réduit leur taux d’impôt sur les sociétés comme mesure ponctuelle d’incitation des investisseurs dans au moins un contrat d’exploitation des ressources naturelles. Cela a eu pour effet d’abaisser le taux d’imposition effectif des sociétés dans le secteur minier, par rapport aux taux statutaires’’, lit-on dans le texte.
Tours de passe-passe
Il ressort également de l’étude du FMI que le transfert international des bénéfices a des effets ‘’désastreux’’ sur la perception des recettes. Les multinationales mettent à profit leur portée mondiale pour réduire leurs obligations fiscales dans les territoires où la fiscalité est élevée, en transférant leurs bénéfices vers des pays à faible imposition. ‘’L’un des exemples est le recours à un prêt portant intérêt entre différentes entités au sein d’une entreprise multinationale. Celle-ci sollicite alors une déduction des charges d’intérêt du prêt dans le pays où l’impôt est élevé (en Afrique), tandis qu’elle déclare le revenu des intérêts dans un pays où l’impôt est faible. Parmi les exemples, figurent également la sous-valorisation des minerais ou le recours à des sous-traitants pour déplacer les bénéfices vers un autre pays’’, poursuit le Fonds monétaire international.
D’après l’analyse des données de paiement, des rapports de l’Initiative pour la transparence des industries extractives, d’un ensemble interne de données du FMI sur les recettes tirées des ressources naturelles et des informations financières de plus de 600 entreprises multinationales, une augmentation d’un point de pourcentage du différentiel de taux d’impôt sur les sociétés entre le pays producteur (à la fiscalité plus élevée) et les autres pays en moyenne (à la fiscalité plus faible) se traduit par une diminution de 3,5 % des bénéfices déclarés dans le secteur minier.
Stopper l’hémorragie
D’après l’étude, des mesures ciblées peuvent aider les pays à réduire l’évasion fiscale dans le secteur minier et à accroître leurs recettes fiscales. Une action concertée pour fermer les circuits de transferts des bénéfices pourrait porter ses fruits. Il est notamment recommandé de renforcer et de simplifier la protection en matière de prix de transfert, de restreindre les déductions d’intérêts, d’améliorer les pratiques entourant les conventions fiscales, de limiter les incitations fiscales et d’améliorer les pratiques de négociation des investissements.
‘’Notre étude a constaté qu’imposer des limites sur les intérêts diminuait de moitié l’efficacité de l’affectation des bénéfices par les entreprises multinationales en réaction aux taux d’imposition internationaux différenciés. Certains pays font déjà des progrès dans la lutte contre le transfert des bénéfices dans le secteur minier. Dans son nouveau régime fiscal, la Sierra Leone abandonne la négociation de la fiscalité par mine. La Guinée, le Liberia et le Mali ont renforcé leur protection en matière de prix de transfert. L’Afrique du Sud et le Nigeria ont fixé des limites sur les déductions d’intérêt. Neuf des 15 pays riches en ressources naturelles appliquent un impôt minimum de remplacement qui leur garantit au moins un certain seuil d’impôt sur les sociétés chaque année. Le Kenya a ajouté une disposition contre le chalandage fiscal à sa politique relative aux conventions fiscales’’, souligne le FMI.
Ces mesures augurent d’une augmentation des recettes tirées des industries extractives en Afrique subsaharienne. Il est probable que l’impôt minimal mondial atténue le transfert des bénéfices et réduise les pressions liées à la concurrence fiscale. Une préparation minutieuse et le renforcement des capacités sont indispensables pour améliorer la politique fiscale et combattre l’évasion fiscale. Cela nécessite du temps, des ressources et de la volonté politique, mais l’évolution récente de la fiscalité internationale montre que le changement est possible.
MARIAMA DIEME