Splendide ‘’spleen’’ de Cheikh Niass
Cheikh Niass veut partager sa douleur et sa souffrance, après les décès d’artistes plasticiens sénégalais, à travers sa peinture. Il propose une série de tableaux qu’accueillent depuis hier les cimaises de la Galerie nationale. Son exposition est intitulée ‘’Condoléances, les larmes de la peinture’’ dont le vernissage s’est tenu hier, en présence de l’ambassadeur d’Autriche au Sénégal et de l’artiste.
L’exposition est à la fois impressionnante et éblouissante. Un halo de lumière et de la gaieté à partager. Ce sont des impressions qu’on peut avoir, en sortant de l’exposition ‘’Condoléances, les larmes de la peinture’’, de l’artiste Cheikh Niass. C’est la Galerie nationale qui reçoit actuellement ses tableaux qui font partie d’un projet dénommé ‘’Bawounan’’. Des sentiments qui peuvent mal contraster ou être contraires au titre de cette exhibition. Seulement, c’est l’effet recherché par son auteur, du moins c’est l’impression qu’il donne. Sa douleur, on la sent et on la voit sur chaque tableau de la collection ‘’Les larmes de la peinture’’.
Avec des points noirs, verts, rouges, mauves, blancs, Cheikh Niass a laissé couler ses larmes sans essayer de les arrêter ou de les orienter. Malgré tout, les traits horizontaux sont précis et nets. L’artiste donne alors l’air de se contenir, même si la longueur des fils que forment ses larmes laisse croire le contraire. L’ensemble dégage un certain optimisme chez cet artiste. Ses couleurs vives et gaies confortent cette perception. Il laisse croire que ‘’les morts ne sont pas morts’’ ou que ces derniers ne souhaiteraient pas que ceux qu’ils ont laissé ici se morfondent.
En effet, cette collection est en hommage à tous les peintres sénégalais décédés ces dernières années, d’où le titre de l’exposition dont le professeur Maguèye Kassé est le commissaire : ‘’Condoléances, les larmes de la peinture.’’
A côté de la collection ‘’Les larmes de la peinture’’, il y a les tableaux de ‘’Aux âmes nobles’’. Cette dernière collection, également, rend hommage aux défunts plasticiens amis de Cheikh Niass. Une série de tableaux touchants et troublants. Sur de la toile de jute et avec de l’acrylique, cet artiste établi en Autriche propose une série de portraits avec une belle part d’abstrait. Les hommes et femmes présentés ici le sont sous différentes formes. Ils sont de face, de dos, debout, assis, en marchant ou en courant. Leur dénominateur commun est une ombre qui semble les suivre, les poursuivre. A côté de ces derniers, ce sublime tableau en vert, jaune et blanc, intitulé ‘’Bawounan’’. Il est très attirant et, de loin, on y aperçoit un homme courbé, donnant l’air de travailler la terre. Eu égard au titre de l’œuvre, l’on se dit sans gros risque de se tromper que c’est un cultivateur.
En outre, il n’est pas la seule création de Cheikh Niass qui peut attirer les regards à la Galerie nationale. Quatre tableaux aux tons indigo accrochés tout au fond de la salle attirent l’attention et la curiosité. Certainement tout autant que la série de tableaux en rouge accrochés dans un coin de la salle, en file indienne, surplombant les amoureux des arts plastiques venus assister au vernissage de l’exposition. Avec leurs couleurs chaudes, ils suscitent l’intérêt dès qu’on franchit la salle d’exposition. L’exhibition court jusqu’au 6 mars prochain.
3 QUESTIONS A CHEIKH NIASS Pourquoi le titre ‘’Condoléances’’ ? Je viens présenter mes condoléances au peuple sénégalais, au monde de l’art, aux amis de l’art. C’est une manière de dire aussi que nous sommes et que nous continuons le chemin qu’ils avaient tracé. Je crois qu’ils ne sont pas partis pour que nous soyons malheureux. Ils sont partis pour que nous terminions ce qu’ils avaient entrepris. Le chemin est long et sinueux, mais rien n’est facile dans cette vie. Le projet, dans son ensemble, est intitulé ‘’Bawounan’’. Il comporte des sous-thèmes dont ‘’Emancipation’’, ‘’Les âmes nobles’’, ‘’Arc-en-ciel’’, etc. Quand on a un projet en tête qui est assez ouvert, cela permet d’être livré. A travers ‘’Les âmes nobles’’, je rends hommage à mes amis qui sont décédés. C’est seulement l’âme noble qui meurt et qui ne meurt pas à la fois. La noblesse n’est rien d’autre que ce pouvoir de partager, de regarder autour de soi. Ce sont les principes les plus simples de la noblesse. Quand vous parlez de vos amis artistes, vous pensez à qui particulièrement ? Je ne veux pas citer de noms au risque de me tromper ou d’oublier quelques-uns. Je pense à tous ces artistes décédés qui m’étaient trop chers, qui ont partagé des choses avec moi, qui ont été des compagnons, des amis. C’est à eux tous que je pense. Il est certains que j’ai eu des relations particulières avec d’aucuns. C’est normal. Mais je pense à toute cette communauté artistique. C’était une nécessité pour moi de leur rendre hommage. Vous qui étiez là et qui les avait accompagnés jusqu’à leur dernière demeure, vous avez pu partager avec les autres votre douleur. Moi, je n’étais pas là (Ndlr : Cheikh Niass est établi en Autriche). Je n’ai pas pu avoir cette opportunité. J’ai vécu seul ces moments de douleur. Le fait de venir partager ce travail avec vous me permet de partager ma souffrance. Les matériaux utilisés sont importants. J’utilise de la toile de jute, entre autres. Il fut un moment, quand je vivais encore au Sénégal, de travailler avec d’autres matériaux. J’ai travaillé sur du bois, de la toile tressée, etc. Maintenant, je suis à une étape de réduction. Je ne charge plus mes supports ou mon travail. Je vais directement à l’essentiel. Dans le temps, j’utilisais divers supports pour réaliser une œuvre. N’est-ce pas une note d’espoir également parce que vous parlez de souffrance, alors que vous utilisez des couleurs vives, gaies ? Fantastique. Voilà ce qu’il fallait comprendre. Ceux qui sont partis ne voulaient pas qu’on soit triste. Ils sont partis parce qu’ils savent qu’ils ont laissé derrière eux des gens qui peuvent mener la barque à bon port. C’est parce qu’aussi parce qu’ils croient en nous. Ils ont confiance en nous. Ils veulent qu’on continue le chemin qui est amusant, long et dur. C’est également une responsabilité pour nous d’entretenir ce legs. En outre, l’ombre que vous voyez sur les tableaux est, pour moi, une empreinte, une trace. C’est tout une symbolique. Ces artistes décédés ne sont pas partis en laissant un vide. Au contraire. Je pense qu’il est de notre responsabilité de penser à eux et de se dire que les choses viennent de commencer. ‘’Les larmes de la peinture’’, une collection qui matérialise une recherche de la liberté qui nous pousse à libérer la peinture. On voit tous ces traits qui vont du haut vers le bas. La liberté de la peinture, c’est elle-même qui cherche sa voie sur la structure de la peinture. Une recherche de la liberté importante dans tout. |
BIGUE BOB