Les îles Canaries saturées
Malgré les alertes, les interceptions, les naufrages, les morts et les rétentions dans les centres, les départs de migrants sénégalais vers l’archipel espagnol des Canaries se multiplient. Faute de place pour les accueillir, les derniers arrivants dorment à même le sol dans les ports.
Depuis une semaine, ils arrivent par centaines, à bord de pirogues de fortune. La journée d’hier n’a pas dérogé à la règle. En début de matinée, la marine espagnole a annoncé le sauvetage d’environ 200 personnes, à 19 km de l’île de La Restinga, à bord de deux pirogues. Faute de place dans le port le plus proche, ils ont été débarqués sur une autre île, à Tenerife, à Los Cristiano. Au même moment, une ONG humanitaire allait à la rescousse d’une autre embarcation artisanale dans la même situation.
Ces arrivées suivent la logique des journées précédentes. Car, rapportent les autorités espagnoles, près de 1 000 personnes sont arrivées en 24 heures dans l'archipel espagnol, entre dimanche matin et lundi matin. Dans la nuit du dimanche 8 au lundi 9 octobre, 357 personnes, dont 11 enfants, ont débarqué.
Durant la journée de dimanche, informe ‘’Info Migrants’’, plusieurs centaines de débarquements de migrants avaient déjà eu lieu dans l’archipel espagnol. Les autorités ont secouru ce jour-là sept bateaux de 609 exilés dont les embarcations ont atteint les îles de Lanzarote, Fuerteventura, El Hierro et Tenerife. La dernière opération a eu lieu dans le port de Los Cristianos, à Tenerife, où sont arrivés les 71 occupants d'une pirogue située à 13 km de l'île. Parmi les passagers figurent 12 femmes, neuf mineurs et deux bébés, selon la presse locale.
Une semaine d’arrivées historique
Deux jours plus tôt, vendredi, ajoute le journal spécialisé sur les questions migratoires, les garde-côtes espagnols avaient porté assistance à au moins 908 migrants subsahariens, dont des femmes et des enfants, en une journée. Selon les secours maritimes, cinq embarcations avec 526 personnes à bord ont été prises en charge sur l'île d'El Hierro, la plus à l'ouest des Canaries. Trois autres bateaux ont été conduits vers l'île de Grande Canarie et deux autres sur celle de Tenerife.
Selon un décompte réalisé par le journaliste Ayoba Ba, ‘’c’est au total 2 264 migrants partis du Sénégal qui sont arrivés en Espagne’’ entre mercredi et samedi. Les débarquements sont en forte hausse sur ce territoire. Sur la petite île d'El Hierro qui compte 11 000 habitants, plus de 1 200 migrants sont arrivés dans la semaine.
Une particularité notée est la présence massive de mineurs parmi les migrants. Selon la presse locale, les institutions des îles Canaries accueillent actuellement plus de 3 000 mineurs qui arrivent sans famille (dans les centres pour mineurs). Il y en a également beaucoup qui se réclament mineurs sans pouvoir prouver leur condition, faute d’acte de naissance.
Face à cet afflux inédit de migrants sur les îles Canaries, certains ont même été obligés de dormir au port, à même le sol, faute de places d'hébergement suffisantes. Ce fut le cas de 200 exilés qui ont passé la nuit dans le port de Los Cristianos, à Tenerife. Avec les débarquements qui continuent, l’on risque de revivre la situation de l'année 2020, au port d'Arguineguin, sur l'île de Grande Canarie, où pendant plusieurs mois, des milliers de migrants nouvellement arrivés aux Canaries étaient retenus durant des jours dans des conditions précaires, sur la jetée surnommée "Le camp de la honte".
3 000 mineurs dans les centres de rétention
D'après les derniers chiffres du ministère espagnol de l'Intérieur, les Canaries ont vu arriver 14 976 migrants entre le 1er janvier et le 30 septembre, soit une hausse de près de 20 % par rapport à la même période de 2022.
Depuis le début du mois d'octobre 2023, la forte augmentation des débarquements est qualifiée de "sans précédent" par la presse espagnole depuis 2020. Une situation qui a poussé le président du gouvernement canarien à appeler Madrid à l'aide. "Nous sommes seuls. Absolument seuls face à cette crise humanitaire. Le silence du gouvernement espagnol face à cette situation est absolument incompréhensible. Pendant que l'État attend dans les bureaux de Madrid pour agir aux îles Canaries 'quand cela sera jugé nécessaire', l'archipel assiste, impuissant, à des situations scandaleuses qui rappellent la jetée de la honte d'Arguineguín’’, se désole Fernando Clavijo.
Les vols d’expulsion se préparent déjà
Selon des indiscrétions fournies par le journal de Catalogne, 90 % des migrants arrivés aux îles Canaries pendant cette crise sont de nationalité sénégalaise. Et des vols de retour au Sénégal sont en train d’être planifiés. D’après ces informations, le premier vol de migrants expulsés vers Dakar partira au courant de ce mois d'octobre 2023, probablement depuis un aéroport des îles Canaries.
Si l’appui du gouvernement espagnol se fait désirer sur les îles Canaries, les ambassadeurs des États membres de l'Union européenne (UE) se sont accordés, la semaine dernière, sur un texte qui prévoit, en cas d'afflux "massif" et "exceptionnel" de migrants, la mise en place d'un régime dérogatoire moins protecteur pour les demandeurs d'asile que les procédures habituelles. Le texte prévoit le prolongement de la durée possible de détention d'un migrant aux frontières extérieures de l'UE, jusqu'à 40 semaines. Il permet aussi l’application de procédures d'examen des demandes d'asile plus rapides et simplifiées pour un plus grand nombre de migrants afin de pouvoir les expulser plus facilement.
Lamine Diouf