Publié le 27 Feb 2013 - 23:07

Faux débat sur le vrai combat de l’heure

«La plus insupportable trahison, c'est tout de même celle de ces prophètes qui, las de promettre l'avènement d'une Cité qui ne vient pas, las d'entendre surtout la plainte et la protestation des hommes, finissent un jour ou l'autre dans l'uniforme des fusilleurs». (Bernard-Henry Lévy)

 

Nous précisions dès l'entame que notre intervention n’est point de défendre Moussa Touré, ex-ministre des Finances sous le régime socialiste. D’ailleurs nous ne partageons pas souvent ses jérémiades médiatiques itératives qui sonnent comme un disque rayé tant le discours plein d’acrimonie demeure inflexible voire monotone. Mais il est judicieux d’analyser ses propos dans son contexte aux fins de ne pas, sous prétexte de défendre un président désemparé, imposer l’omerta à tous les mal-pensants.

 

El Hadji Kassé aurait pu jouer dans le film «Les Tontons Flingueurs» car il aime la castagne. Moussa Touré, pour avoir seulement eu le courage de dire ce qu’il pense dans un pays qui a sacralisé la liberté d’expression aux chapitres 8 et 9 de sa Charte fondamentale, s’est fait foudroyer, dans une contribution vitriolée paru dans le journal Enquête, par le conseiller spécial du président de la République et président du Comité scientifique du prochain sommet de la Francophonie. El Hadji Kassé est connu pour sa célérité et sa célébrité à éreinter tous les hérésiarques qui ne partagent pas les schémas de pensées et d’action de son mentor. Le professeur Malick Ndiaye – avec qui il partage aujourd’hui les voluptés du « Yoonu Yokkute » – a eu à subir le courroux de l’alors directeur de publication du Soleil quand, aux premières heures de la première alternance, le coordonnateur du Comité d’initiative des intellectuels du Sénégal (Ciis) se permettait de critiquer la gouvernance wadienne. (...)

 

Dans cette opération de pilonnage, Mankeur Ndiaye, le chef de la diplomatie sénégalaise, Alioune Fall, administrateur de la Fondation de la Première Dame, ont impitoyablement chargé l'ancien ministre. (...). Ces sorties virulentes disproportionnées s’inscrivent dans cette logique terroriste de l’aile dure de l’APR qui, faute de pouvoir convaincre les Sénégalais sur les soi-disant premières « réalisations » du président, n’hésite pas à vitrifier tout regard critique sur l’action gouvernementale. (…)

 

Nous pensons humblement qu’il n’y a aucune offense à l’endroit du dieu du « Yoonu Yokkuté » que de dire «entre deux maux, il faut choisir le moindre mal et que choisir entre Wade et Macky Sall, c’est choisir entre la peste et le choléra.» Rien de péjoratif dans cette formule prêtée au candidat communiste à l’élection présidentielle française de 1969, Jacques Duclos, lequel avait estimé que choisir entre Alain Poher et Georges Pompidou, c’était choisir entre «la peste et le choléra». En tant que philosophe doublé d’un bon communicant, El Hadji Kassé devait plutôt se focaliser sur le contenu plutôt que sur le contenant de ladite expression. Pourtant, le journaliste et consultant Adama Gaye, à deux semaines du deuxième tour de la dernière présidentielle, avait fait savoir qu’entre la peste et le choléra – pour parler d’Abdoulaye Wade et Macky Sall –, il optait pour l’abstention. Et pourtant cela n’avait suscité aucun intérêt particulier au point que sa contribution n’eut été qu’un feu de paille.

 

Si aujourd’hui les propos de Moussa Touré ont eu une tonalité démesurée, c’est parce qu’ils ont été biaisés par les effets grossissants et déformants des différentes réceptions et compréhensions qui en ont été faites. Même si on y note une certaine acrimonie, les positions défendues par Moussa Touré, et qui sont celles de milliers de Sénégalais, ne sont pas totalement dépourvues de pertinence. Sur le problème de l’emploi, il n’a fait que dire la réalité. Aujourd’hui la voie empruntée par l’Etat pour résoudre le problème de l’emploi mène inéluctablement vers une impasse. Et l’ex-ministre des Finances a raison de dire que la vocation de l’Etat n’est pas de créer des richesses et des emplois surtout dans un système libéral. (…)

 

La formule présidentielle incantatoire «la patrie avant le parti», qui semble couler de source dans une démocratie, dissimule en réalité des manœuvres népotistes et partisanes. La népotisation du nouveau régime pour ne pas parler de « faysallisation », même si elle ne constitue pas un vice rédhibitoire à l’action gouvernementale, est une réalité indéniable de la gouvernance mackyste. On croyait pourtant, depuis le 25 mars dernier, révolu le temps du piston familial ou du favoritisme partisan. (…)

 

Nous aurions bien aimé que la garde prétorienne schizophrène du président réponde à la lancinante question de Moussa Touré : «Qu’est ce qui a fondamentalement changé au Sénégal depuis la deuxième alternance?» Notre confrère Thierno Talla semble avoir livré un brin de réponse qui bruit dans la bouche de millions de Sénégalais lors de l’émission Diiné ak Diamono du 21 février dernier. En effet, le directeur de publication du quotidien L’As a fait savoir à son co-débatteur Djibril War de l’APR que «rien n’a encore bougé et que les choses restent encore en l’Etat. Les prix des denrées n’ont quasiment pas baissé. Les grèves scolaires persistent, les entreprises qui doivent être le moteur de la croissance et promoteur de l’emploi végètent ou périclitent, les délestages résurgent, la pénurie de gaz perturbe les ménages… Seule la politique politicienne au détriment des vraies priorités occupe le devant la scène.»

 

 

Au lieu d’engager des polémiques stériles sur la sémantique des mots ou d’exhumer le passé fût-il nébuleux de l’ancien ministre, ambassadeur et président de la Commission de l’UEMOA, (...) il serait plus seyant pour les « spin doctors » officiels ou autoproclamés du président Sall de s’échiner à montrer les primum movens de ses « réalisations » qui vont dans le sens d’améliorer le vécu encore exécrable des Sénégalais. Pousser Moussa Touré et tous les mal-pensants comme lui à la contrition ou à la résipiscence, c’est esquiver les véritables problèmes du pays. Il ne faut pas, par la magie du sophisme, engager un faux débat sur le vrai combat de l’heure. Les Sénégalais ont beaucoup semé lors des dernières élections. Donc, c’est légitime qu’ils attendent de voir les premiers brins de semences, porteurs de «Yaakaar » de récolte fastueuse, percer le sol. Pourvu qu’ils n’attendent pas Godot.

 

 

Serigne Saliou Guèye,

Journaliste politique au Témoin

saliou.temoin@gmail.com

 

 

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