Publié le 27 Jun 2025 - 10:29
FINANCES PUBLIQUES

L'État dans un véritable engrenage

 

Alors qu'il se démène pour sortir des difficultés, le Sénégal semble s'enfoncer davantage dans le trou, avec des finances publiques de plus en plus exsangues. La dernière illustration en date est la loi de finances rectificative publiée hier par le gouvernement. 

 

Les documents se suivent et se ressemblent, en termes de nouvelles les unes plus catastrophiques que les autres. Hier, le projet de loi de finances rectificative a été rendu public. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les nuages continuent de s'amonceler sur les finances publiques sénégalaises. Prévisions de recettes budgétaires en baisse ; dépenses en hausse ; investissements au ralenti... 

D'abord, en ce qui concerne les recettes, elles passent de 4794,6 milliards F CFA dans la LFI à 4 668,9 milliards F CFA, soit une baisse de 125,7 milliards F CFA (-2,6 %). Les recettes fiscales passent ainsi de 4 359,6 milliards à 4 099,6 milliards F CFA, soit une baisse de 260 milliards F CFA (-6,0 %). Les recettes non fiscales ont un peu limité les dégâts en passant à 282,7 milliards F CFA contre 190 milliards dans la LFI, soit une hausse de 92,7 milliards F CFA (48,8 %). Cette enveloppe inclut les 48,1 milliards F CFA de recettes non fiscales liées à l'exploitation des hydrocarbures. 

Outre les prévisions optimistes relatives aux recettes issues de l'exploitation du pétrole et du gaz, on note les appuis budgétaires qui sont projetés à 286,6 milliards F CFA, contre 245 milliards dans la LFI, soit une hausse de 41,6 milliards F CFA (+17,0 %). Ces recettes sont réparties entre les dons en capital pour 241,6 milliards F CFA (+41,6 milliards F CFA) et les dons budgétaires qui sont restés stables à 45 milliards F CFA.

Le tableau des dépenses ne se porte guère mieux. En effet, même si par rapport à la LFI, les dépenses du budget général ont chuté de 30,3 milliards, passant de 6395,1 milliards à 6 364,8 milliards F CFA, il faut noter que cela a surtout touché les investissements. Lesquels sont passés de 2 047 milliards F CFA dans la LFI à 1 936,1 milliards F CFA, malgré une augmentation de 182,2 milliards des investissements sur ressources externes.

En effet, ce sont les investissements sur ressources internes qui ont connu une grande détérioration, passant à 586,9 milliards, soit une baisse de 293,1 milliards F CFA. 

Outre cette baisse inquiétante des investissements, la LFR fait aussi ressortir une explosion des intérêts de la dette, qui passent à 1 057,1 milliards F CFA, soit une hausse de 125,0 milliards F CFA par rapport aux chiffres de la LFI. 

L'État a cependant su reconduire les mêmes montants pour les dépenses de personnel (1 485,5 milliards), au moment où des économies de l'ordre de 44,4 milliards ont été faites sur les acquisitions de biens et services et transferts courants réévalués à 1 886,1 milliards F CFA.  

Le déficit se creuse, la croissance et le PIB nominal se dégradent

La LFR fait aussi ressortir un déficit budgétaire révisé à 1 695,9 milliards F CFA, soit 7,82 % du PIB, contre 1 600,4 milliards F CFA (7,08 % du PIB) dans la LFI 2025, soit une dégradation en valeur absolue de 95,5 milliards F CFA (+6,0 %). “Cette évolution s'explique principalement par une baisse des recettes budgétaires combinée à la révision à la baisse du PIB nominal, estimé à 21 690,5 milliards F CFA contre 22 597,7 milliards F CFA initialement prévus, soit une contraction de -907,2 milliards F CFA (-4,0 %)”.

 Le gouvernement a aussi revu à la baisse le taux de pression fiscale, qui passe de 19,3 % à 18,9 %.

L'atteinte des objectifs dépendra, en grande partie, de la capacité à mobiliser des financements aussi bien sur le marché interne qu'international. “Le besoin de financement global est estimé à 5 715,54 milliards F CFA, du fait essentiellement de la hausse de l’amortissement de la dette, de l’apurement des arriérés et de la hausse prévue des tirages pour les prêts projets. Pour la couverture de ce besoin, en plus et au-delà des montants attendus des emprunts projets et programmes, l’État compte renforcer, dans le cadre de sa stratégie d’endettement, le recours au marché intérieur, notamment par appel public à l’épargne pour un montant total de 1190,7 milliards F CFA, dont 620 milliards F CFA au titre de la gestion active de la dette. Une telle option permet de réduire les risques de change, de taux variable et offre une plus grande résilience par rapport aux chocs extérieurs”, explique la LFR.

Aussi, dans le cadre de la diversification des sources de financement et des investisseurs, l’État compte recourir à la finance islamique (Sukuk) pour tirer profit de ce marché et réduire le risque de concentration.

Par ailleurs, dans l’optique de préserver les marges de viabilité de la dette, le recours aux financements concessionnels et la gestion active de la dette seront privilégiés.  

Vers une hausse vertigineuse des financements sur ressources externes

Compte tenu des difficultés, un changement important de cap a été noté dans les orientations du gouvernement. Alors que jusque-là on a fait l'éloge du financement endogène, la LFR informe : “La présente LFR pour l'année 2025 traduit la volonté du gouvernement de faire face aux contraintes budgétaires tout en préservant les capacités d'investissement de l'État pour la relance de l’économie. Cette approche s'articule autour d'une réorientation partielle vers le financement externe, avec une augmentation de 15,6 % des investissements sur ressources externes, compensant partiellement la réduction de 33,3 % des dépenses en capital sur ressources internes.”

Pour faire face aux défis de financements, le ministre chargé des Finances est autorisé à contracter des emprunts, y compris par voie d’émission de titres, à long et moyen terme libellés en F CFA ou en devises pour couvrir l’ensemble des charges de trésorerie, pour un montant total de 5 700 650 000 000 F CFA ; recevoir des dons au nom de l’État du Sénégal pour 286 600 000 000 F CFA ; assurer de manière générale la gestion active de la dette et de la trésorerie de l’État, y compris à travers des opérations de gestion de passif ou sur produits dérivés. “Ces opérations pourront être contractées soit sur le marché national ou régional soit sur le marché international auprès de pays ou d’institutions étrangères ou internationales, publiques ou privées, à des conditions fixées par décret ou par convention”, informe la LFR. 

Le gouvernement déterminé à corriger les anomalies

Malgré les limites de l'approche jusque-là mise en œuvre qui se traduit par un ralentissement considérable de la machine économique, le gouvernement s'engage à faire face aux défis. Il compte mettre en place un programme triennal de redressement des finances publiques pour revenir progressivement à un déficit conforme aux normes communautaires de l'UEMOA. Aussi, compte-t-il instituer un programme pour la relance des secteurs porteurs de croissance ; renforcer la mobilisation des ressources internes et optimiser l'efficacité des dépenses publiques par une meilleure allocation des ressources ; poursuivre une gestion prudente et transparente de la dette publique par la diversification des sources de financement et l'amélioration des conditions d'emprunt ; démarrer les projets prioritaires inscrits dans l'Agenda national de transformation Sénégal 2050, tout en respectant les contraintes budgétaires ; renforcer le dialogue avec les partenaires techniques et financiers pour un soutien accru à la politique économique et sociale du gouvernement.

La loi de finances rectificative est revenue, par ailleurs, sur les corrections et ajustements apportés à la suite des conclusions de la Cour des comptes. Afin de corriger les anomalies, rappelle le document, la Cour des comptes comme le FMI ont recommandé, sur la base d’un recensement exhaustif et complet, l’intégration de l’ensemble des encours de la dette aux fins de restaurer la qualité de l’information financière et comptable des comptes publics. “En donnant suite à ces recommandations, le tableau des opérations financières de l’État (Tofe) a déjà intégré, d’une part, l’encours de la dette financière stabilisé sur la base du rapport de recensement et d’évaluation produit par le cabinet Mazars commis à cet effet et, d’autre part, la partie du stock de la dette non financière déjà fiabilisée arrêtée par le ministère des Finances et du Budget.

Par conséquent, sous réserve des résultats des travaux d’audit en cours sous la direction de l’Inspection générale des finances (IGF) en vue d’arrêter l’encours définitif de la dette non financière de l’État, l’intégration dans les comptes de l’État des dettes bancaires et des dettes non financières déjà fiabilisées est soumise à votre autorisation”, explique le document. 

Le texte prévoit ainsi “l’intégration et la régularisation, dans les comptes de l’État, des dettes bancaires et des dettes non financières hors autorisations parlementaires’’.  Au titre de la dette bancaire, il s'agira d'intégrer un montant de 2 242 610 000 000 F CFA. Au titre de la dette non financière, pour le secteur de l’énergie on parle d'un montant de 146 300 000 000 F CFA, contre 105 2 00 000 000 F CFA pour les BTP.

À propos de la dette sur ressources extérieures, il y a les emprunts- projets pour un montant de 249 500 000 000 F CFA. “L’intégration et la régularisation de ces opérations ainsi que les charges qui peuvent leur être rattachées seront effectuées au titre de la gestion 2024 dans les livres ouverts chez les comptables supérieurs directs du Trésor et participeront à la formation des résultats comme prescrit par les lois et règlements”, précise la LFR. 

 

 Le pétrole sauve la croissance

Initialement projetée à 8,8 %, la croissance économique est révisée à la baisse à 8,0 %, soit un ajustement de 0,8 point de pourcentage. Une performance qui s'explique essentiellement par l'exploitation des hydrocarbures. “La croissance hors hydrocarbures, estimée à 3,8 % en 2025, devrait être soutenue, sur le court et moyen terme, portée par une politique de relance économique à court terme ciblée des secteurs productifs et stratégiques à fort potentiel. Le PIB nominal pour l’année 2025 est donc révisé à 21 690,5 milliards F CFA, contre un montant de 22 597,7 milliards F CFA initialement prévu, soit une contraction de 907,2 milliards F CFA” prévoit la LFR. 

 

Par Mor Amar 

Section: 
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