La pharmacopée à l’assaut de la Fidak
Depuis quelques éditions, la Foire internationale de Dakar (Fidak) voit la percée des tradipraticiens avec leurs produits-phare : les aphrodisiaques. Malgré les récriminations de la fédération sénégalaise des praticiens de la médecine traditionnelle, ce commerce semble voué à continuer son bonhomme de chemin.
Le Centre international de commerce extérieur du Sénégal (Cices) et ses pavillons en bois où fourmillent déjà des centaines de clients et exposants sous la surveillance des éléments de la gendarmerie. Au pavillon orange, sous les tapis rouges qui insonorisent le martèlement des pas des marcheurs, les annonces par les haut-parleurs accrochés incitent les clients à tâter quelques produits avant de les reposer, chassés par la cherté. Mais s’il y a des denrées qui sont prisées par les acheteurs, pour le moment, ce sont les produits de la pharmacopée africaine. Béninois et Burkinabés tiennent la corde de ce commerce fructueux, bien que presque toutes les nationalités s’y adonnent.
‘‘Ce n’est pas encore la grande affluence, mais ça marche bien. Je reçois pratiquement une vingtaine de clients tous les jours et ils sont satisfaits de mes prestations’’, jubile Zinsou Dohe Alexis qui se présente comme chercheur en science botanique. Dans son stand en forme d’échoppe se superposent les tapuscrits sur lesquels on peut avoir une idée du domaine d’intervention du ‘docteur’. En poudre, en savon, en tisane, en potion ou accessoire portable, ces produits s’écoulent bien pour le moment. Le gros est emmagasiné dans l’arrière-boutique.
‘‘Aide-mémoire’’ pour les enfants à l’école qui ont une capacité de rétention assez limitée ; ‘‘savon porte-bonheur’’ pour révéler les chances de réussite dans plusieurs domaines ; ‘‘bague contre accident’’ pour écarter les mauvais esprits de la nuit ainsi que les cauchemars, ‘‘pipi au lit’’ pour les enfants qui en souffrent..., les tradipraticiens rivalisent d’ardeur en jouant sur un imaginaire de mysticisme que développent beaucoup d’acheteurs. Mais le guérisseur assure qu’on n’y trompe pas ceux qui viennent pour trouver le bien-être.
‘‘Il y a un homme qui est venu pour son traitement du diabète, prêt à payer 1 million de F CFA s’il avait la garantie que son mal disparaîtrait de manière définitive. Je lui ai dit qu’avec le traitement de mon produit, qui coute 35 000 F Cfa, il sera soulagé pour 15 ans avant de le recommencer. J’attends son coup de fil’’, déclare-t-il, en hélant les quelques passagers qui arpentent les espaces pour les intéresser à ses produits. Un remède de loin plus cher que la ‘‘poudre loroson’’ d’Omar Traoré qui se propose de régulariser le taux de glycémie de diabète en tout genre. Son négoce, plus accueillant, arbore les drapelets du Burkina et compte trois vendeurs qui s’affairent autour de clients avec beaucoup d’entrain.
Un mois avant l’ouverture de la Fidak, la Fédération sénégalaise des praticiens de la médecine traditionnelle (Fspmt) s’était insurgée contre la préparation, la vente et la publicité des produits pharmaceutiques traditionnels à travers un communiqué. ‘‘Ces prétendus tradipraticiens s'adonnent à une publicité tapageuse, tendancieuse et mensongère sur la qualité des produits qu'ils proposent à la Fidak’’. La Fspmt avait déploré les soins administrés à des patients, la vente de médicaments traditionnels ne répondant pas aux normes, et l’absence d’autorisation de vente ou d’exercice du ministère de la Santé et de l’action sociale. Mais pour Segbedji Hylarion, généraliste en médecine béninoise et chercheur, ces remèdes ont bien été étudiés avant de les mettre sur le marché. ‘‘Ce sont tous des produits à base de plantes ou de racines. Le dosage a bien été ajusté et ne présente aucun risque pour l’usager’’, lance-t-il. Et pour des raisons pratiques, poursuit-il, les autorités de la Fidak ne devraient pas envisager des restrictions sur ce commerce. ‘‘Nous introduisons beaucoup d’argent. Si vous remarquez bien, on ne peut pas faire une allée sans voir une installation de tradipraticien’’, déclare-t-il
Les gens éprouvent beaucoup de pudeur
Si ces produits marchent bien, les aphrodisiaques pour la performance sexuelle ainsi que les remèdes contre les maux d’estomac marchent encore mieux. Dans ses habits de guérisseur traditionnel, le tenancier explique que cette rareté apparente des clients n’est qu’une illusion. ‘‘Les gens veulent acheter, mais ils éprouvent beaucoup de pudeur à vouloir aborder les problèmes sexuels. Beaucoup font de la reconnaissance pour identifier un produit. Après ils préfèrent avoir la fiche de renseignements pour m’appeler au téléphone et se faire livrer le produit.
Ni vu, ni connu’’, explique l’herboriste Omar Traoré du Burkina Faso. Sur son étal, poudres en sachets, herbes dans de petits flacons, liquides dans des bouteilles, vantent les capacités de ces produits qui vont de 2 000 à 6 000 F CFA. Ejaculation précoce, développement du phallus, frigidité, faiblesse sexuelle, azoospermie (carence de spermatozoïdes dans le sperme), serre-vagin..., la gamme complète des maladies sexuelles reçoit un traitement efficace, selon ce vendeur. ‘‘Ce ne sont pas seulement les Sénégalais qui viennent en acheter.
Mes compatriotes sont également des férus de ces produits’’, fait-il savoir. Pour lui, le tabou sur cette question diverge totalement d’avec la fréquentation des négoces de la pharmacopée. Chaque année, il y en a de plus en plus. On écoule pratiquement tous nos produits et il y a rarement complaintes de clients’’, jubile-t-il. Un point de vue que ne partage pas le ‘docteur’ Hylarion qui expérimente sa première foire, et pour qui la fréquentation en ce début de communion foraine est encore en deçà de ses attentes. ‘‘Peut-être que je me suis trop emporté, mais j’attends encore la clientèle sénégalaise pour venir profiter de mes articles qualités’’, conclut-il.
OUSMANE LAYE DIOP