Fronde des avocats après les écoutes de Nicolas Sarkozy
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Les avocats français dénoncent lundi une atteinte aux droits de la défense et demandent une clarification aux pouvoirs publics après les révélations sur le placement sur écoute de Nicolas Sarkozy et de son avocat Thierry Herzog par la justice.
Le conseil national des barreaux a condamné un "détournement des procédures" et le bâtonnier de Paris a annoncé qu'il allait saisir le président de la République à ce sujet.
"Le conseil national des barreaux, par la voix de son président, affirme la solidarité des 60.000 avocats de France avec Me Thierry Herzog (...) et appelle les pouvoirs publics à clarifier d'urgence cette inquiétante atteinte au bon fonctionnement de notre démocratie", dit-il dans un communiqué.
La ministre de la Justice a dit ne pas comprendre cet appel, soulignant qu'il y avait des recours possibles devant la cour d'appel en cas de non respect du droit par les juges d'instruction. Christiane Taubira a assuré sur TF1 qu'elle n'avait pas été informée avant la parution de l'article du Monde révélant l'affaire, insistant sur l'indépendance des juges d'instruction. "Je n'avais pas l'information avant. Des magistrats du siège ne font rien remonter", a-t-elle dit.
Priée de dire si le ministre de l'Intérieur Manuel Valls avait pu être informé par les policiers chargés de l'enquête, elle a répondu : "Je n'en sais strictement rien".
L'Union syndicale des magistrats (USM) a appelé pour sa part François Hollande de répondre qu'il n'appartient pas au chef de l'Etat d'arbitrer des décisions prises par un ou plusieurs juges au nom de la règle de la séparation des pouvoirs. Des centaines d'avocats ont signé une pétition pour dénoncer des atteintes graves au secret professionnel après les révélations du Monde vendredi sur une enquête judiciaire visant l'ancien président pour trafic d'influence après sa mise sur écoute dans une autre affaire.
Outre les écoutes de conversations entre Nicolas Sarkozy et son conseil, ils mettent en cause la saisie du téléphone portable professionnel de Me Thierry Herzog lors d'une perquisition à son bureau la semaine dernière. "On ne peut plus travailler dès lors que nos clients imaginent qu'ils pourraient être entendus lorsqu'ils viennent chez nous", a déclaré sur Europe 1 le bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur.
Jeudi, le bâtonnier a plaidé devant le juge des libertés et de la détention pour contester la saisie du téléphone professionnel de Thierry Herzog, aujourd'hui sous scellés.
Des "chiens de chasse"
Les juges ont placé l'ex-président et son conseil sur écoute il y a près d'un an dans le cadre d'une enquête sur d'éventuels financements par la Libye de Mouammar Kadhafi de sa campagne présidentielle de 2007, d'après Le Monde.
Ces interceptions auraient selon Le Monde révélé que les deux hommes étaient "très bien renseignés" sur la procédure en cours à la Cour de cassation sur le dossier Bettencourt, entraînant l'ouverture d'une information judiciaire contre X pour violation du secret de l'instruction et trafic d'influence.
Selon le quotidien, les juges soupçonnent Nicolas Sarkozy d'avoir cherché à faciliter la promotion à Monaco d'un avocat général de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, en échange de renseignements sur cette affaire. La principauté de Monaco a confirmé que Gilbert Azibert avait été candidat à un poste de magistrat à la Cour de révision, mais qu'il n'avait pas été retenu.
Pour Pierre-Olivier Sur, les juges d'instruction "sont sortis de leur saisine" dans cette affaire. "À partir du dossier (libyen), ils sont allés sentir comme des chiens de chasse, à droite, à gauche, jusqu'à tomber des mois plus tard sur autre chose", a-t-il dit lundi. Un avocat peut être placé sur écoute par un juge si des indices préalables "permettent de penser raisonnablement que cet avocat a participé à une infraction comme auteur, coauteur ou complice", rappelle lundi le Conseil national des barreaux.
Une manœuvre politique, pour Hortefeux
"En revanche, aucune écoute d'un avocat ne peut être ordonnée ni réalisée à titre préventif pour rechercher les indices éventuels d'un éventuel fondement à des poursuites pénales", écrit-il, estimant que ces règles ont été "contournées". Les avocats sont protégés dans l'exercice de leurs fonctions au même titre que les journalistes, les parlementaires et les magistrats.
Mais "il n'y a rien de stupéfiant à ce qu'on écoute un avocat", explique un haut magistrat, soulignant que ces pratiques sont régies par le code de procédure pénale. "On a affaire à des juges d'instruction expérimentés, qui a priori lisent le code de procédure pénale", ajoute-t-il.
Henri Guaino, ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, a demandé dimanche à François Hollande de saisir le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dans cette affaire. Mais cette saisine disciplinaire ne serait que "gesticulatoire" avant l'analyse de la légalité de ces actes, estime un juge.
REUTERS