Les ravages d’un inconnu
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Le glaucome reste encore une énigme chez la majorité de la population. Cette affection oculaire est pourtant l’une des causes les plus redoutées de la cécité.
Devant sa maison, le vieux Moussa Thiam, entouré de ses petits-fils, prend un bain de soleil. La blancheur de ses cheveux donne une idée sur son âge. Ses lunettes lui couvrent presque tout le visage. Le patriarche sait qu’il est atteint d’une affection de l’œil. Laquelle ? Il l’ignore totalement. Tout au plus, il croit souffrir de la myopie. Ce sexagénaire vit depuis plus de 20 ans avec sa maladie ‘’inconnue’’. Le glaucome, une maladie qui est la cause d’un nombre important de cécité ne lui dit rien, en dépit de ses effets. ‘’Je n’ai jamais entendu parler de glaucome. C’est quel genre de maladie ?’’ demande-t-il. A l’image de ce vieillard, beaucoup de Sénégalais ont la même réaction.
Rien que le vocable glaucome suscite l’étonnement. A l’évocation de ce nom, ils sont nombreux à ouvrir grandement les yeux. ‘’Qu’est-ce que cela signifie’’ ? interrogent certains. ‘’De quoi parles-tu’’ ? s’étonnent d’autres. Ces réponses servies, souvent avec une mine surprise, en disent long sur l’ignorance de la maladie chez les populations. Nombreux sont les citoyens qui ne connaissent pas cette affection, pour ne pas dire la grande majorité. Et pourtant, elle est la cause de la perte totale de la vue chez de nombreux individus. Même s’il n’existe pas de chiffres, le nombre d’aveugles au Sénégal causé par cette maladie est énorme.
Cela fait des années que Moussa Thiam porte des lunettes. Il connaît les réactions de sa maladie, mais pas la cause. ‘’Mes yeux ont commencé à rougir un bon matin. Avant, ils faisaient tellement mal, et quand je me baissais pour ramasser quelque chose, j’avais l’impression qu’ils allaient tomber. En plus de cela, ça grattait. Des fois, ça piquait comme si j’y avais mis du savon ou une aiguille’’, explique-t-il. Très curieux, ce vieux pose à son tour des questions. Il veut tout connaître sur le glaucome. C’est donc parti pour une séance d’explication entre un citoyen qui n’y connaît rien et une journaliste qui croit en savoir un petit bout. Avant de prendre congé de lui, il nous indique une maison à côté où le propriétaire serait aveugle.
Après quelques minutes de marche, nous sommes à la maison de Moustapha Sylla. Tout est calme dans cette demeure. Une fille habillée en uniforme scolaire prend son petit-déjeuner. Elle est pressée. Elle n’a pas assez de temps pour discuter, néanmoins elle prend la peine de converser avec nous. Nous sommes dans la chambre de son grand-père. Le vieux Sylla a perdu la vue, il y a 1 an de cela. Les causes de cette cécité, il ne les connaît pas. C’est sa petite-fille Ndèye Awa Sylla qui explique. ‘’Il a trop souffert avec sa perte de vue. Il portait des lunettes depuis. Quand je suis née, il les avait déjà. Mais la perte de sa vue est arrivée brusquement’’. Elle est rapidement interrompue par son ‘’papy’’. ‘’Le médecin m’a dit que je vais retrouver la vue. D’ailleurs, j’ai rendez-vous mercredi. Il ne m’a pas dit exactement la maladie dont je souffre’’. ‘’C’est quand mercredi ?’’ demande-t-il à sa petite-fille. ‘’C’est après demain’’. Moustapha Sylla ignore également tout du glaucome. ‘’Surement, c’est une nouvelle maladie. Il y en a tellement maintenant’’, s’empresse-t-il de dire.
Louise Ndiaye est une vendeuse de petit-déjeuner dans son quartier. De toutes les maladies de l’œil, elle ne connaît que la cataracte, la myopie et le trachome. Le glaucome reste un mystère pour elle. Contrairement au Vieux Thiam, elle ne cherche pas à comprendre. ‘’J’ai toujours eu peur des affections de l’œil. Il est tellement sensible que, pour un rien, on le perd. Le mieux est de se faire consulter à tout moment’’, conseille-t-elle. Tidjane Sy sourit en entendant parler. Contrairement à Louise, il ignore tout des affections. ‘’Que Dieu m’en préserve. Je ne veux même pas parler de ces maladies. Je fais tout mon possible pour ne pas me retrouver avec des lunettes de correction’’, lance-t-il avant de monter dans sa voiture.
Si pour d’aucuns, l’ignorance est totale, pour d’autres, ce n’est pas le cas. Ils en ont entendu parler plusieurs fois dans les médias. ‘’Une fois, j’ai suivi à la télé un médecin parler de cette maladie. Mais elle est très dangereuse. J’ai eu vraiment peur, surtout quand j’ai entendu qu’on ne peut pas la guérir’’, explique Marème Thiam. Selon cette étudiante, des recherches approfondies doivent être menées pour trouver des solutions. ‘’Je ne comprends pas cette multiplication des maladies qu’on n’arrive pas à guérir. C’est la même chose avec le Vih/Sida, le diabète et autres.
Nos Etats doivent investir dans la recherche pour aider les médecins à mieux faire leur travail’’, peste-t-elle. Sa copine est dans la même logique. Pour Kiné Samb, toutes les maladies qui émergent en Afrique relève de la faute des dirigeants. ‘’Ils préfèrent investir pour des futilités. Comment est-ce possible que l’Afrique soit le continent le plus touché par toutes les maladies ? J’ai lu dans un journal que la santé oculaire est délaissée au Sénégal. C’est honteux dans un pays qui se dit émergent’’, fulmine Mme Samb. Elle pense qu’il faut une thérapie de choc pour relever le système de santé du pays. ‘’Quand vous allez dans un hôpital, vous voyez qu’il est plus malade que les patients. Une campagne de sensibilisation doit être menée sur le glaucome pour une meilleure connaissance. Il y a beaucoup de non-dits et des incompréhensions sur cette maladie’’, se désole-t-elle.
Non loin d’elle, un groupe de jeunes est en pleine discussion. Même si ces garçons n’ont jamais vu de glaucomateux, ils ont une petite idée sur la maladie. ‘’Il paraît que quand vous avez un glaucome non traité, vous perdez la vue définitivement. Elle est très dangereuse cette maladie’’, lance Djiby Diaw. Son camarade Matar Sy lui arrache la parole et raconte : ‘’Il y a un vieux aveugle dans mon quartier, il paraît qu’il a le glaucome. Je ne sais pas si c’est vrai mais c’est cette rumeur qui court à la maison.’’
Une prévalence de 4 % enregistrée à l’hôpital Principal Le glaucome est l’une des causes de cécité au Sénégal. A l’hôpital Principal de Dakar, le service d’ophtalmologie enregistre un taux de prévalence de 4 %. La révélation a été faite par la responsable de ladite unité, le Pr Ndèye Ndoumbé Guèye, en 2016, au cours d’une conférence de presse. Cette maladie indolore, a-t-elle souligné, touche surtout les adultes et parfois des enfants. Les Noirs d’origine africaine sont plus vulnérables à ce fléau, notamment les sujets âgés de 40 ans et plus. Cette catégorie de population est ainsi invitée à consulter un ophtalmologiste, tous les deux ans. ‘’A partir de 60 ans, le sujet doit faire régulièrement le dépistage’’, conseille le Pr Guèye. Selon elle, il existe plusieurs formes de glaucome dont le plus fréquent reste le glaucome à l’angle ouvert qui représente 80%. ‘’Le danger est que la personne développe la maladie sans le savoir à cause de l’absence de douleur et de la baisse de la vision. Cette dernière ne survient qu’au stade ultime de la maladie, c’est-à-dire quelque temps avant la cécité’’, a-elle-expliqué. Pour elle, cette maladie préoccupe tous les acteurs de la santé oculaire. ‘’Elle n’est pas encore connue à 100%. Cette maladie a beaucoup de secrets, même pour les praticiens et ceux qui sont dans la recherche. C’est une maladie dangereuse’’, indique-t-elle. Les causes du glaucome ne sont pas très connues. Mais il existe plusieurs facteurs de risques. Selon toujours le chef du service ophtalmologique de l’hôpital Principal, les traumatismes peuvent donner des glaucomes secondaires. ‘’Celui qui nous inquiète de façon générale, c’est le glaucome primitif à angle ouvert. On ne connaît pas les causes’’, précise le Professeur Guèye. Le vieillissement constitue un grand facteur de risque du glaucome. ‘’Il survient le plus souvent au-delà de 60 ans et intervient plus chez le Noir. La myopie forte est aussi un facteur de risque. Le diabète est identifié comme facteur de risque. Parfois, cette maladie est aussi déclenchée par certains traitements, notamment les corticoïdes qu’on peut utiliser dans le cadre des maladies générales’’, explique-t-elle. |
VIVIANE DIATTA