‘’Le Grand Théâtre est devenu le siège du Fouta’’
Le secrétaire général de l’association des métiers de la musique du Sénégal (AMS) plaide pour la tenue de concertations nationales sur la culture. Un secteur en léthargie, selon lui, et sur tous les plans. Guissé Pène dénonce aussi dans cet entretien le retard noté dans le démarrage de la nouvelle société de gestion collective du droit d’auteur et la manière dont les infrastructures culturelles sont gérées.
Les acteurs culturels émettent des inquiétudes par rapport à la nouvelle société de gestion collective du Droit d’auteur et des Droits voisins qui est censée insuffler un souffle nouveau dans l’industrie culturelle. Sur quoi se fondent-elles ?
Ces inquiétudes sont dues au fait que la loi sur cette nouvelle société de gestion a été votée et promulguée le 25 janvier 2008. Et jusqu’à présent, au moins de janvier 2015, c’est le statut quo. On se retrouve avec une dualité au niveau de deux institutions ‘’légales’’ : le bureau sénégalais des droits d’auteur (Bsda) et la nouvelle société de gestion qui ont presque les mêmes objectifs. Mais la nouvelle société ne peut commencer ses activités car confrontée à un problème de décrets d’application et d’agrément.
Ces décrets ne sont pas encore signés par le président de la République. Il ne reste que cette signature pour démarrer. Nous pensons que c’est le ministère de la Culture qui n’a pas fait son travail. Or ce blocage commence à faire souffrir les acteurs de la culture. Car cette société non seulement apporte une plus-value à la condition de vie des artistes mais aussi permet d’assainir cet environnement juridique opaque. Maintenir le statut quo, c’est enfoncer les acteurs culturels dans la précarité et les laisser mourir dans l’indifférence totale. Le conseil d’administration dont la mission devait arriver à terme le 16 décembre 2014 a réussi aujourd’hui à nommer un directeur en la personne de Bouna Manel Fall. Mais il est aujourd’hui dans l’expectative dans la mesure où il fait face au Bureau sénégalais des droits d’auteur (Bsda).
Comment se passe la cohabitation entre le Bsda et cette nouvelle société de gestion qui est latente ?
Cette situation a placé le personnel du Bsda dans une situation très complexe. Cet établissement public a été mis en place par l’Etat, il est sous son contrôle. La nouvelle société de gestion est une structure privée. Elle est gérée par des privés. La question qu’on se pose jusqu’à présent, c’est si le personnel du Bsda va être reversé à la nouvelle société ou remis au ministère de la Culture. Donc la réflexion doit être engagée sur le sort du personnel qui ne pourra pas être repris. Le Bsda continue d’exister dans la mesure où la nouvelle société n’a pas d’agrément.
Quelle est la position des acteurs culturels ?
Les acteurs culturels ont assez attendu. Le Bsda est une structure obsolète. Les lois qui gèrent le Bsda ne tiennent pas compte de la nouvelle technologie et des aspects numériques. Par exemple, quelqu’un qui pirate sur les cd et ordinateurs ne peut être inquiété juridiquement par les lois du Bsda car elles remontent à l’époque de l’analogie. C’est la nouvelle société qui prend en compte tous les aspects qui contribuent à donner un environnement juridique très fiable et très moderne. Cette loi fait partie des meilleures lois au monde car même les Français nous l’envient.
Des observateurs estiment que cette situation résulte du fait que la culture est traitée en parent pauvre au Sénégal ?
Je pense que Macky Sall est très culturel mais qu’il ne dispose pas des bonnes informations. Le secteur a besoin de technocrates et des spécialistes et que les politiques regagnent les rangs des politiques. On retrouve à la présidence de la République une pléthore de conseillers culturels qui ignorent les réalités du monde de la culture. Ils ne savent pas, à titre d’exemple, ce qu’est une note de musique, la peinture, l’art, etc. C’est dire que la culture ne se règle pas sous les climatiseurs. Elle est une question de compétences.
Le Sénégal n’a rien à envier aux autres pays. Il regorge de grands hommes de culture aussi bien dans le domaine de la sculpture, des arts plastiques, du cinéma, du théâtre. Ils ont porté haut le drapeau du pays. Si le chanteur Akon se signale par sa sénégalité dans le monde, c’est à l’avantage du Sénégal, car c’est plus d’un milliard de personnes qui s’intéressent à ce pays. Youssou Ndour, Doudou Ndiaye Rose, Douta Seck, Ousmane Sow, pour ne citer que ceux-là, sont de grands ambassadeurs du Sénégal. Et ce rayonnement, aucune autre activité politique, économique ou sociale ne l’a encore donné au Sénégal. Il faut que les autorités respectent la culture pour s’engager dans la voie de l’émergence.
L’impact économique est réel si l’on vous suit ?
Si je prends l’exemple du monument de la renaissance, du grand théâtre ou de la Place du souvenir, ce sont des infrastructures qui économiquement peuvent beaucoup apporter au Sénégal. Il faudra juste mettre des fonds d’aide à la création. Ce sont des fonds qui permettent à ce que la créativité sénégalaise puisse être exercée et qui donne l’opportunité aux Sénégalais de démontrer leur talent à l’étranger. Car aujourd’hui, la culture se vend.
Il faut établir, dans cette dynamique, des coopérations fortes entre le Sénégal et tous les pays du monde, des coopérations de libre circulation des œuvres et des auteurs. Cela peut réduire par exemple le déficit du tourisme au Sénégal. Mais faudrait-il que la tutelle le comprenne ainsi. Mais s’il est plus porté par la politique, cela plombe l’envol du secteur.
Vous dénoncez aussi l’usage du matériel du Fesman à d’autres fins ?
Ce matériel fait partie des meilleurs matériels en Afrique. C’est l’un des plus performants. Au moment où il y a un déficit criard de matériel de sonorisation, nous ne pouvons accepter qu’il soit détourné à des fins autres que son objectif initial. Ce matériel est de plus en plus mis à la disposition des familles religieuses et de voyage de Touba à Tivaouane en passant par Kaolack et autre cité religieuse. Ce sont des religieux qui ne sont pas totalement en phase avec la musique qui utilisent le matériel de la musique pour faire leur communication.
C’est incompréhensible. Autre chose, un problème de maintenance se pose car le matériel en souffre. La destination doit être spécifiquement culturelle car ce matériel doit inciter à ce que le Sénégal puisse disposer de grands événements à dimension mondiale dans le domaine du spectacle, pourquoi pas un festival mondial où toutes les expressions culturelles pourront s’exprimer.
Aujourd’hui, comment se porte la musique sénégalaise ?
Sa situation n’est pas des plus gaies aujourd’hui, elle est en train de sombrer de manière conséquente.
Pourtant, l’on a l’impression d’un dynamisme du secteur avec des clips diffusés à longueur de journée et de nouvelles têtes de chanteurs chaque jour ?
Mais si on découvre chaque fois de nouveaux chanteurs, on ne découvrira pas chaque fois de nouveaux albums, encore moins de nouveaux producteurs ou de nouvelles infrastructures performantes. Quels sont les chanteurs dynamiques ? On n’en retrouve plus. Ce sont les mêmes stars qu’on retrouve sur la scène : Waly Seck, Pape Diouf, Titi et Viviane ; dans les cabarets, c’est le duo Pape-Cheikh, Cheikh Lô, Souleymane Faye entre autres.
Est-ce que c’est cela la musique sénégalaise ? Si on ne fait pas attention de la même manière que les producteurs ont fermé leurs portes, les chanteurs vont disparaître. La situation est critique et les artistes sont dans une précarité extrême. De grands artistes qui nous ont valu des satisfactions ont disparu de la scène. Où sont les Fallou Dieng, les Alioune Mbaye Nder, Assane Ndiaye ? On ne les voit plus sur la scène.
Ils se sont reconvertis….
Non ils sont pratiquement absents de la scène
Pourquoi ?
Il y a trop de problèmes dans ce secteur. Vous allez dans le monde du théâtre, la situation est encore plus alarmante. Est-ce qu’il y a une relève ? Le cinéma sénégalais est dans une léthargie, il va falloir réfléchir sous forme d’une concertation nationale sur la culture pour ne pas dire des états généraux. Il faut créer ce cadre d’échanges entre les différents acteurs et poser des actes réels qui ne soient pas des actes politiques pour attaquer le problème à la racine. L’Etat a l’habitude de nous donner de l’aspirine pour calmer nos maux alors que si on a mal à la cheville, c’est de pommade dont on a besoin.
Le Sénégal dispose pourtant de grandes infrastructures telles le Grand Théâtre, la Place du Souvenir, en charge de donner une nouvelle impulsion au secteur.
Mais le Grand Théâtre est devenu aujourd’hui le siège du Fouta, les acteurs culturels ne s’y retrouvent plus. Je suis originaire du Fouta, du village de Pété. Il ne manque au Grand-théâtre que les ‘’Xaïma’’, des tentes pour prendre le thé. Il est très mal entretenu et connaît un délabrement qui ne dit pas son nom. Or une infrastructure de cette dimension qui est unique en Afrique doit avoir un service de maintenance cohérent.
Le grand théâtre n’a pas encore dix ans d’existence et même à 100 ans, il devrait pouvoir être attrayant et accueillant. La situation n’est pas du tout aisée dans cet édifice qui devait être un carrefour de rencontre d’acteurs culturels et un carrefour d’émulation à la création. Mais il ressemble aujourd’hui à un village du Fouta. C’est un patrimoine qui appartient aux acteurs culturels qui doivent exploiter l’espace pour qu’ils soient plus créatifs dans le domaine du théâtre, du stylisme, de la musique, des arts plastiques.
Que sont devenus le monument de la Renaissance africaine et la Place du souvenir ?
Vous avez eu des spectacles ou des visites économiques sur ce site. Le monument de la renaissance n’a jamais eu de vie depuis qu’on l’a installé. Et c’est dommage pour un monument considéré comme l’un des plus grands du monde. Cet édifice n’appartient pas au Sénégal, c’est un monument de la renaissance africaine. Il devait avoir aujourd’hui une politique et une communication telle que toute l’Afrique devait se voir en ce monument ; Ce monument doit avoir une histoire qu’on devrait enseigner.
Mais qui connaît le monument africain ? Il devait être un outil d’enseignement à une époque où le monde se recroqueville sur lui-même, l’Afrique a intérêt à se regrouper, que le dialogue soit sud-sud, beaucoup plus nord-sud. Une absence de programme de politique culturelle se pose. Si le Sénégal rayonne dans le monde, c’est grâce à la culture. Si cette culture aujourd’hui est mourante, il y a problème.
Partagez-vous l’avis selon lequel le nouveau régime ne s’est pas inscrit dans une logique de perpétuer l’héritage de Wade, avec des infrastructures à l’abandon ?
Ce serait une grosse erreur car l’Etat est une continuité. La préservation des acquis est une chose fondamentale et essentielle. Gaston Eiffel a construit la Tour Eiffel qui continue de vivre malgré les régimes et les gouvernements. Ce serait dommage si l’Etat ne saisit pas l’impact social et économique de la culture.
Par Matel BOCOUM