Wakhinane étale ses craintes
Les populations de Wakhinane, y compris les ferrailleurs de cette localité, de même que les forgerons, sont traumatisées par le projet Train express régional (Ter) dont le tracé va passer sur le site qu’elles occupent.
Jouxtant le pont Colobane, bordé par l’autoroute, Wakhinane est un petit quartier rattaché à la commune Hann Bel-Air. En cette après-midi de jeudi, le soleil émet des rayons accablants qui s’écrasent sur les toits des maisons de la localité. Construites en bois, plutôt basses, elles présentent une architecture mosaïque. Avec de petites ruelles encadrées par des zincs. Noirâtre et poussiéreux est le vent qui balaie les maisons de ce petit quartier. Dans l’air flotte une odeur de fumée qui se dégage des ateliers des forgerons fabricants de marmites.
Entourée de trois récipients remplis d’eau, Maguette Gaye, mère de deux enfants, a les mains mouillées : elle fait le linge. Teint noir, taille élancée, elle a fait plus de 25 ans dans ce lieu où elle savoure l’accessibilité du prix de location de chambre. ‘’Avant, ici, les gens payaient 15 000 F Cfa la chambre. Aujourd’hui, avec une somme de 10 000 F Cfa, vous pouvez en avoir une dans ce quartier. J’ai eu écho comme quoi on doit quitter les lieux. Si ça se concrétise, on risque de plonger dans des conditions difficiles ou de retourner au village, parce que la location est un problème à Dakar’’, constate-t-elle à voix basse.
Dans ce quartier qui, visiblement, semble être bâti dans un ‘’trou’’, les principales activités qui s’y développent tournent autour de la collecte et de la vente de ferraille, de la mécanique, de la tôlerie, de l’élevage, etc. Nombreuses sont les personnes qui y convergent pour écouler leurs produits ou y faire des achats. C’est dire que ce quartier, qui présente une image peu reluisante, est attrayant pour ces travailleurs : C’est un grenier d’emplois. Sa proximité avec la zone industrielle est tout bénéfice pour les ferrailleurs. Selon eux, une bonne partie de leurs produits provient des industries établies tout autour et du Port autonome de Dakar. Ce qui leur fait dire que s’ils sont éloignés de ce site, ils vont perdre le lien social qui lie les travailleurs du ‘’Parc’’. Et tous les avantages qu’ils tirent de leurs différentes activités.
Une proximité géographique qui contribue favorablement à leur épanouissement socio-économique. C’est la raison pour laquelle ils se disent traumatisés par le projet du Train express régional qui doit passer par ledit site qu’ils occupent. En plus des travailleurs de la zone, les populations sont également inquiètes.
‘’Des délinquants se sont reconvertis grâce à ce ‘’Parc’’
Croisé dans une gargote, habillé d’une tenue qui a bien besoin d’eau, Djily Diouf est un jeune ferrailleur. Déboussolé par le déguerpissement annoncé, il se montre loquace. Il est présent sur ce site depuis plus de 15 ans. Originaire de Toubatoul, Djily Diouf balance ses vérités. ‘’Le projet du train dont on parle va impacter négativement sur nos activités. Donc, nous sommes inquiets. A cet égard, nous demandons à l’Etat de faire tout pour nous recaser. S’il ne le fait pas, je dis que le banditisme va prendre davantage de l’ampleur. Parce que plus de 2000 personnes s’activent autour de ce ‘’Parc’’. Des agents sont déjà passés pour faire le recensement dans le but de dédommager ceux qui seront impactés. Malheureusement, ils n’ont pas pris en compte les travailleurs qui n’ont pas de place sur ce site. Pourtant, eux aussi tirent l’essentiel de leurs ressources ici’’, constate le ferrailleur Diouf, chapelet autour du cou, lunettes noires bien ajustées au front.
S’avançant sur son travail, il explique qu’avec les Indiens, il se frottait bien les mains. Mais les Chinois ont tout chamboulé. ‘’Avant de finir leurs commandes, les Indiens nous donnaient une avance consistante. Moi, personnellement, j’ai reçu des millions. Cette formule motive les travailleurs que nous sommes. Ce qui n’a jamais été le cas avec les Chinois. Parfois, après avoir fait mon bilan, je me retrouve avec une perte de 40 000 F Cfa. Nous travaillons dans des conditions difficiles’’, s’alarme-t-il. Avant de relever que les Chinois achètent le kilogramme de fer à 95 F Cfa. Alors que les Indiens leur proposent 125 F Cfa. ‘’On acquiert le kilogramme de fer à 70 F Cfa. Et on paye 60 000 F Cfa pour faire le transport à Sébikotane, c'est-à-dire 6 à 10 tonnes. La tonne coûte 85 000 F Cfa. Ce qu’on gagne par jour peut varier entre 25 000 F Cfa, 15 000 F Cfa ou même 100 000 F Cfa. Parce qu’on est dans un monde de business’’, narre le jeune. Qui renseigne que le ‘’Parc’’ génère, chaque année, plus 305 millions de F Cfa. Parce que, justifie-t-il, les travailleurs paient la patente
Ce business florissant, dit-il, est en péril. Dans son garage, des carcasses de motos, des zincs éparpillés, matelas et moustiquaires enveloppés par la fumée noire…. Plombier de formation, reconverti en ferrailleur, il ne veut pas entendre parler d’un départ sans un lieu de recasement. ‘’Si les autorités s’aventurent à nous faire quitter ce site, je pense qu’ils doivent aussi se préparer à augmenter les lieux de détention. Parce qu’il y a des délinquants qui se sont reconvertis grâce à ce ‘’Parc’’, prévient-il.
37 garages, 15 vendeurs de pièces détachées
L’adjoint au chef de quartier annonce avoir dénombré 37 garages valables (mécaniques et tôliers) sur le site et 15 vendeurs de pièces détachées. Présent dans le coin depuis plus de 35 ans, Mamadou Ndiaye, contrairement au jeune ferrailleur, est modéré dans son discours relatif au déguerpissement. Parce que, justifie-il, ledit site leur a été prêté pour qu’ils puissent y travailler. ‘’Le gouverneur de l’époque, Thierno Birahim Ndao, avait plaidé pour qu’on nous le prête dans le but d’y mener nos activités professionnelles et non d’y construire des maisons. (…) A cet égard, si l’Etat se trouve dans le besoin de le reprendre, nous serons obligés de quitter les lieux. D’ailleurs, récemment, j’ai eu un entretien avec les autorités étatiques qui sont dans cette perspective, c'est-à-dire de nous déloger’’, informe-t-il, assis sur un coussin de véhicule placé sous la tente de son garage. Actifs, vêtements entachés d’huile, ses collaborateurs s’affairent autour de trois carcasses de véhicules.
Le patron de plonger dans l’histoire de leur localité. ‘’Les premiers habitants du quartier ont été délogés pour se faire recaser à Guédiawaye. A cette époque, il y avait beaucoup d’inondations ici. C’était dans les années 1976 (…). Les actuels quartiers de Guédiawaye, c'est-à-dire Wakhinane, Nimzatt, Baye Laye etc. étaient ici, tout au long du ‘’Parc’’. Donc, c’est notre localité qui a donné naissance à ces quartiers. Et Mbeubeuss était derrière Sotiba, Yarakh’’, convoque-t-il, des papiers du site entre ses mains.
PAPE NOUHA SOUANE