Publié le 3 Sep 2012 - 20:09
IGE /ARTP

Des textes législatifs et réglementaires «systématiquement violés»

 

Dans l’exécution du prélèvement et de la répartition du 1,6 milliard de francs Cfa par le Directeur général et par le Conseil de régulation de l’ARTP, les inspecteurs généraux d’Etat soulignent avoir relevé «une violation systématique des textes législatifs et réglementaires» en vigueur au Sénégal dans ce domaine.

 

C’est l’Etat du Sénégal qui est en premier lieu pris en flagrant délit de non transparence avec «le non respect de la formalité essentielle, que constitue la publicité» autour de la convention de cession de la licence à Sudatel et des impératifs du cahier de charges établi à cet effet.

 

Ensuite, l’Etat du Sénégal, après encaissement des 200 millions de dollars en contrepartie de cette licence téléphonique, aurait dû initier une loi de finances rectificative «permettant ainsi la prise en compte et la répartition de cette recette extraordinaire». Selon l’IGE, c’est à partir de cette loi de finances rectificative que le ministre des Finances aurait pu «procéder à la notification et au versement du montant destiné à l’ARTP (2% sur la contrepartie financière versée à l’Etat) en application de l’article premier du décret 2008-222 précité». Or, ajoute l’IGE, au moment où la somme de 1,6 milliard de francs Cfa était «distraite», «aucun projet de loi de finances rectificative n’a été examiné par le Parlement, ce que le ministre Délégué chargé du Budget a confirmé aux vérificateurs le 28 mai 2008».

 

 

Dans le même ordre d’idée, le Payeur général du Trésor, Demba Diallo, auditionné par les enquêteurs de l’Inspection générale d’Etat le 22 mai 2008, a dit : «Je n’ai reçu aucun titre de règlement au profit de l’ARTP. En conséquence, je n’ai effectué aucun versement à cet effet.» Pour l’IGE, il est évident alors que «les dispositions de l’article 2 qui prévoit que la ‘’somme équivalente au pourcentage fixé à l’article premier est viré dans les comptes de l’ARTP, à la diligence du Trésorier payeur général, dès le versement total ou partiel de la contrepartie financière de la licence’’, n’ont pas été mises en œuvre». Par conséquent, «la violation des dispositions de l’article 2 est établie». La prise de liberté des «régulateurs» s’est caractérisée également par rapport à l’article 3 du décret précité. Celui dispose en effet que «la somme susvisée (NDLR : 1,6 milliard de francs Cfa) est destinée à la réalisation des missions de l’ARTP et sa répartition est faite dans le budget approuvé par le Conseil de Régulation».

 

Des avoirs bancaires de l'ARTP

 

Le second pôle de la «violation systématique» des textes législatifs et réglementaires par l’Autorité de régulation des télécoms est dans l’usage du montant tiré des avoirs bancaires de l’Agence. Ainsi, le budget 2008 de l’ARTP (15,843 milliards de francs Cfa) «approuvé par le Conseil de Régulation par une résolution du 16 janvier 2008 (…) n’a pas fait l’objet de réaménagement en cours d’année pour prendre en compte la ressource exceptionnelle devant provenir du versement par l’Etat du pourcentage de 2% prévu par le décret 2008-222 du 5 mars 2008».

 

Pourtant, note l’IGE, dans la rubrique 1.4 dudit budget intitulé «Revenus exceptionnels», l’Agence dit : «Conformément aux dispositions du Code des télécommunications, l’ARTP a fait une requête auprès des autorités compétentes pour disposer de sa quote-part relative aux ressources tirées de la cession de la licence globale du groupe Sudatel pour un montant de 200 millions de dollars américains. A cet effet, des ressources exceptionnelles s’élevant à 4,500 milliards de francs Cfa (soit 5% du prix de cession de la licence globale) sont attendues par l’ARTP en 2008.

 

Ces ressources servent à améliorer l’exercice des missions de l’ARTP, notamment accroître et diversifier le soutien institutionnel de l’Agence. Le reliquat fait l’objet d’une prime exceptionnelle au profit des organes de l’agence à raison de 25% pour le Conseil de Régulation et 75% pour le Directeur général. Les modalités de répartitions de la prime exceptionnelle sont déterminées par le Conseil de régulation».

 

Quatre manquements

 

Pour l’Inspection générale d’Etat, quatre observations sont nécessaires à ce niveau.

Primo : «Le taux de change retenu par l’ARTP est de 450 francs Cfa par dollar américain alors que le taux réel appliqué sur le montant réparti est de 400 francs Cfa.»

Deuxio : «L’ARTP a retenu une inscription budgétaire de 5% alors que le décret 2008-222 précité n’a retenu que 2%.»

 

Tertio : «L’ARTP a affecté, contrairement aux dispositions de l’article 3 du décret 2008-222 du 5 mars 2008, une partie de ce montant au personnel sous la forme de prime exceptionnelle.» En plus, l’article 28 du décret n°2003-63 du 17 février 2003 stipule : «Les ressources de l’ART sont entièrement et exclusivement affectées à la réalisation de ses missions organiques ou statutaires.»

Quarto : «La création d’une prime exceptionnelle, au profit des organes de l’Agence, viole les dispositions de l’accord (collectif) d’établissement qui n’a pas prévu cette catégorie de prime.»

Pour justifier cette prime versée à ses membres et au personnel de l’Agence, le Conseil de Régulation a posé le postulat suivant : «Considérant qu’il est de règle dans les Finances publiques de la République que les personnes ayant concouru à la collecte des recettes publiques puissent avoir droit à un pourcentage des dites recettes.»

 

«Éthique et déontologie professionnelle»

 

Pour l’IGE, «ce motif» avancé par le Conseil de Régulation «est inquiétant pour un organe aussi important» et «ne peut en aucun cas servir de base légale ou réglementaire pour distribuer des deniers publics à des tiers». Par ailleurs, «sur le plan de l’éthique et de la déontologie professionnelle, l’acte ne peut se justifier. Pourquoi (dans la même logique) les Directeurs généraux des Régies financières ne se partageraient pas avec leurs personnels les recettes encaissées au titre de la loi de finances ?», s’interroge l’Inspection générale d’Etat. Qui rappelle avec force au Conseil de Régulation de l’ARTP la règle de base suivante : «Les fonds publics à répartir aux agents de l’Etat autres que les salaires et avantages financiers, relèvent de textes spécifiques portant notamment sur le produit des amendes et confiscations ou sur les fonds alloués aux comptables publics.»

 

En créant une prime exceptionnelle, les membres du Conseil de Régulation «s’octroient un avantage financier non prévu par les textes en vigueur et se considèrent (de fait, de droit ou les deux) comme agents de l’ARTP. Ce qui n’est pas le cas. Il s’agit là (donc) d’un cas manifeste d’abus de biens sociaux».

 

MOMAR DIENG

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