Publié le 19 Dec 2017 - 08:06
IMAM MOCTAR NDIAYE, GRANDE MOSQUEE DE LIBERTE VI NORD CAMP PENAL

‘’Les maisons sont les principales sources de conflits en matière successorale’’

 

‘’Unis pour le butindivisés au partage’’. En s’inspirant de cette citation de Voltaire et compte tenu des déchirements notés dans certaines familles à l’heure de la succession, l’on serait tenté de dire : ‘’Unis pour la vie, divisés au partage.’’ En effet, de nombreuses familles unies, soudées comme un roc, se disloquent souvent, au moment de la succession. Les raisons ? Imam Moctar Ndiaye de la grande mosquée de Liberté VI Nord Camp pénal, les aborde dans cet entretien. Il revient largement sur les causes de ces conflits, les conditions de la succession, la répartition des parts…  Mais également les contradictions entre le droit musulman et le Code de la famille.

 

Pourquoi la succession génère-t-elle beaucoup de conflits dans les familles ? Quelles en sont les causes ?

La succession qui consiste à partager les biens du défunt à ses héritiers, selon les règles établies par l’islam, est aujourd’hui source de conflits et de malentendus, de tiraillements, voire de querelles familiales. Beaucoup de familles se sont retrouvées dispersées à cause de la succession. De nombreux dossiers sont pendants devant nos juridictions et les causes sont en général matérialistes. La majorité des cas, c’est la maison qui crée des tensions. Les gens peuvent se partager les autres biens, l’argent, d’autres avoirs sans difficulté.

Mais dès qu’on touche à la maison, des conflits naissent souvent. C’est pourquoi la charia dit qu’il faut la vendre et se partager l’argent. Mais, souvent, certains héritiers s’y opposent. Ce n’est pas un argument de dire qu’on va laisser la maison pour servir de domicile familial. Une maison fait partie des autres biens du défunt. Ce qui est recommandé, c’est de l’évaluer objectivement, de la vendre et de partager les parts conformément aux règles de la législation islamique. D’ailleurs, pour la vente, les héritiers sont prioritaires. Si l’un d’eux veut l’acheter à un prix raisonnable, on lui cède la maison et il va donner à chacun sa part. Au contraire, la garder, tôt au tard, des difficultés vont naître soit entre les fils ou les petits-fils. Arrêtons de dire que les maisons on les garde pour la famille ! Les déchirements auxquels on assiste sont vraiment déplorables, d’autant plus que nous nous réclamons tous de l’islam. Or, la succession occupe une place très importante en islam. C’est pourquoi le Prophète (Psl) l’appelle la moitié du savoir et il exhorte les musulmans à bien l’apprendre, car il faut bien des conditions.

Il peut arriver que le défunt offre la maison à l’un des héritiers. Que dit l’islam sur les donations ?

L’héritier n’a pas droit à la donation. A défaut, il faut qu’elle soit équitable pour éviter des frustrations. On voit souvent un polygame offrir l’une de ses maisons à une de ses épouses ou à son enfant. Ces cas de donation créent toujours des frustrations après décès, on les élimine pour procéder à une succession normale.

Quelles sont les conditions en matière successorale ?

Il faut que la personne à hériter soit déclarée morte. Tant qu’elle vit, on ne pourra pas faire sa succession, même si elle est dans le coma, des années durant. La deuxième condition, il faut que la personne laisse derrière elle un héritier vivant, le jour de sa mort. Troisièmement, le défunt doit laisser des biens ou des avoirs héritables. Maintenant, il y a ce qu’on appelle les raisons de la succession ou les droits pour pouvoir en bénéficier. Pour cela, il faut avoir des liens avec le défunt. Parmi ceux-ci, il y a les liens de parenté, soit être un parent ascendant, un père, un grand-père. Soit aussi un parent, le fils, le petit-fils ou l’arrière petit-fils. Ou même un parent collatéral, soit proche ou éloigné comme le frère germain ou consanguin. Deuxièmement, il faut un lien conjugal qui établit automatiquement le droit à la succession, notamment un mariage reconnu par l’islam.

Y a-t-il des cas où la personne ne peut pas hériter ?

C’est le déshéritement, c’est-à-dire les cas où la personne n’hérite pas de son parent, quel que soit le degré des liens. Il y a la différence de religion. Par exemple, si l’époux est musulman et la femme est d’une autre religion, à la mort de l’un ou de l’autre conjoint, il ne pourrait pas y avoir de succession, de même entre frère et sœur et/ou parents et enfants de religions différentes. Ils ne peuvent pas s’hériter. Le Prophète (Psl) nous le dit même dans un hadith : ‘’L’infidèle n’a pas droit à la succession d’un musulman, ni ce dernier à celle d’un infidèle.’’ Le second cas de déshéritement, c’est le fait de tuer volontairement son héritier.

Là, la personne ne bénéficiera pas de l’héritage de sa victime. Le troisième cas concerne l’enfant né hors d’un lien conjugal. Il ne va pas bénéficier de la succession de son père, même si, après, ses parents se marient. Il faut le dire, ce cas pose énormément de problèmes dans notre société, surtout avec le Code de la famille qui considère cet enfant naturel comme héritier. Ce qui est en parfaite contradiction avec l’islam et tout musulman qui tourne le dos aux principes de la religion peut tomber dans la mécréance. Il y a également l’enfant désavoué par son père, à la suite d’une imprécation conjugale, c’est-à-dire quand le père refuse catégoriquement la paternité de cet enfant, ce dernier ne va pas hériter. Enfin, il y a l’enfant qui n’a pas manifesté de signe de vie au moment de l’accouchement, car la succession est basée sur la vie suivie de la mort.

Et qu’en est-il des femmes mariées à des hommes monogames et des mariages secrets appelés ‘’Tak souf’’ ?

Pour les deux situations, l’essentiel est d’avoir un lien conjugal reconnu. Si un homme épouse une femme légalement, même étant sous le régime de la monogamie, il y aura succession. Pour les mariages secrets appelés ‘’Tak souf’’, c’est un autre cas. L’union peut être légale, si toutes les conditions du mariage sont réunies. L’islam réfute ce type de mariage, à cause des conséquences qui peuvent en découler, car elles sont souvent désastreuses. Une fois que l’homme décède, des problèmes surviennent lorsqu’une femme voit une autre débarquer se réclamant épouse du défunt. Elle peut refuser et cela crée d’énormes problèmes.

A quel moment faut-il faire la succession, car les gens ont tendance à dire que tant qu’elle n’est pas faite, l’âme du disparu ne sera pas en paix ?

Parmi les procédures de la succession, l’islam recommande de le faire le plus tôt possible, de préférence dès les premiers jours du décès. Le fait de la retarder ne fait que compliquer davantage la situation successorale du défunt. Par exemple, lorsqu’une personne meurt, si l’on attend des années pour faire sa succession, cela va créer des problèmes, parce que chaque jour que Dieu fait, il y a des gens qui naissent et d’autres qui meurent. Donc la situation change. Il faut qu’on la prépare, que la famille se réunisse pour faire l’état des lieux. Elle ne doit pas également se faire partiellement, mais de façon intégrale et définitive.

A ce titre, il faut, le plus rapidement possible, procéder à l’évaluation objective de l’ensemble des avoirs du défunt. Pour cela, les proches sont tenus de déclarer tous les biens. Surtout les épouses, car elles peuvent apporter des éclaircissements sur les avoirs que leur mari a laissés. A ce propos, tout parent qui ne déclare pas un bien d’un défunt, Allah va lui priver le paradis, le jour du jugement dernier. Il est catégorique par rapport à ça. D’autre part, il est important de réunir l’ensemble des héritiers sans exclusion. Ainsi, si quelqu’un a un empêchement, il peut demander à se faire représenter. Il faut aussi établir un procès-verbal objectif qui sera distribué à chaque héritier. Pour la répartition des biens, il faut aussi trouver un spécialiste de la succession. Les familles doivent maintenant en trouver pour bien mener le partage. Cela est très important, car il ne suffit pas d’être imam seulement, comme beaucoup le pensent. Il faut que la personne maitrise parfaitement les règles de la succession.

Cette personne doit-elle bénéficier d’une part ?

En islam, celui qui mène la succession n’a pas droit à un pourcentage. Tous les biens doivent être distribués entre les ayants droit. Néanmoins, après la succession, la famille peut lui octroyer une somme symbolique pour l’effort qu’il a fourni.

Comment doit se faire la répartition ?

Avant de revenir sur cette question de taille, je voudrais apporter quelques précisions importantes. Si la personne meurt, on n’a plus le droit d’utiliser ses avoirs, même pour les dépenses de ses funérailles. On n’a pas le droit de toucher 1 franc. Mais des fois, lorsqu’un défunt laisse derrière lui un bœuf ou un mouton, les parents l’utilisent pour ses funérailles. C’est une erreur monumentale, car en ce moment-là, ils sont en train de dilapider les biens des héritiers. Seule quatre dépenses sont autorisées sur ces biens. On a juste le droit de prélever une petite somme pour l’achat des accessoires pour la toilette mortuaire. On peut y prélever pour payer l’intégralité de ses dettes, mais également pour honorer son testament, s’il en avait fait de son vivant et ici il faut préciser qu’il est à exécuter. C'est-à-dire le défunt dit de son vivant : ‘’A ma mort, donnez une telle somme à untel’’, ce testament est à exécuter.

Cependant, il y a des conditions pour que cette volonté soit respectée. Ce montant ne doit pas dépasser le tiers de ses biens. Deuxième condition, si le testament est destiné à un quelconque héritier, on ne doit pas l’exécuter, car le Prophète l’a dit et cela va créer des frustrations dans la famille. Maintenant, pour ce qui reste, en islam, on peut répartir ses biens de son vivant, mais conformément à la législation islamique. On peut appeler un imam et lui demander d’établir la succession selon les règles et en présence de témoins. Dans ce cas-là, le testament sera exécuté.

Pour beaucoup de personnes, en islam, l’homme a toujours 2 parts et la femme 1. Que dit exactement la religion ?

La répartition de l’héritage est un peu complexe. Il y a différents héritiers que l’islam a choisis. Du côté des hommes, ils sont 10 catégories : le fils, les arrières petits-fils, le père, le grand-père, les frères consanguins et germains, son fils et arrière-fils, l’oncle germain et consanguin. Du côté des femmes, elles sont sept : la fille, la petite-fille, la mère, la grand-mère, la sœur, l’épouse et l’affranchisseuse. Mais ils viennent par degré de proximité.

Souvent, on parle de 1/2, 1/4. Quelles sont les différentes parts qui existent ?

Pour les parts, il y a six fractions utilisées : la moitié, le 1/3, les 2 /3, le 1/4, le 1/6 et le 1/8. Chaque catégorie hérite d’une fraction, mais dans des conditions biens définies. Pour ceux qui héritent de la moitié, ils sont au nombre de cinq. Par exemple : la fille, si elle est enfant unique, ainsi que le mari dont l’épouse n’a pas laissé d’enfants ou de petits-enfants. Pour le 1/4, il y a deux catégories : l’épouse et le mari. Chacun en bénéficie, s’ils n’ont pas laissé de petits-enfants. Seule l’épouse hérite du 1/8, lorsque son mari laisse des enfants ou des petits-enfants et c’est le cas que nous voyons fréquemment. C’est pourquoi les Sénégalais disent toujours que la femme doit avoir ‘’soumoune’’ qui est le 1/8. Mais il faut préciser que si l’homme était polygame, les veuves se le partagent. Souvent, les gens font beaucoup d’erreurs en se disant que chacune aura 1/8.

Il y a 4 catégories pour les 2/3. En général, c’est un groupe de filles qui va en profiter. Notamment la fille, à condition qu’elles soient deux ou plus et qu’elle n’ait pas de frère.  La petite-fille issue du fils, si le défunt n’a pas laissé d’enfants, ni de petits-enfants. Les sœurs germaines et consanguines, quand elles font deux ou plus. Le 1/3 est dévolu à deux groupes, à savoir la mère, si le défunt n’a pas laissé d’enfants, ni de petits-enfants ou de groupes de frères et de sœurs, deux ou plus. Les frères et sœurs utérins sont également bénéficiaires, quand ils sont deux ou plus et que le défunt n’a laissé ni père, ni grand-père, ni petits-enfants.

Il est important de préciser que, dans ce cas, les parts du frère et de la sœur sont égales. D’ailleurs, c’est le cas où on n’applique pas 2 pour le garçon et 1 pour la fille. En matière de succession, les gens disent toujours que s’il y a des garçons et des filles, les premiers ont 2 parts, or ce n’est pas toujours le cas. Enfin, pour ceux qui vont hériter du ‘’soudouss’’, ils sont 7 dont le père, quand son fils laisse des enfants ou petits-enfants. La mère, lorsque l’héritier a laissé un enfant ou un groupe de frangins. Il y a le grand-père qui remplace le père décédé. Il y a la petite-fille issue du fils, quand elle se trouve avec une seule fille du défunt sans frère, ni cousin. Il y a la sœur consanguine, quand elle est seule avec une sœur germaine du défunt et à condition de n’avoir, avec cette dernière, ni de frère consanguine, ni mère, ni grand-père, ni fils du défunt. Il y a la grand-mère, quand le défunt n’a laissé ni mère et si elle se trouve seule. Enfin, il y a le frère et la sœur utérins, ils ont le 1/6, quand l’un ou l’autre se trouvent seuls, mais n’ayant avec le défunt ni frère, ni grand-père, ni enfant ou petit enfant avec le défunt.

Est-ce qu’il n’y a pas de contradiction avec le Code de la famille qui stipule une égale répartition entre homme et femme ?

Il y a contradiction sur certains points, comme le cas de l’enfant issu hors mariage, car l’islam ne le reconnaît pas, même si le père assume sa paternité après. Ce cas-là pose énormément de problèmes. Mais il y a également une autre difficulté. Il faut rappeler qu’en islam, on dit que le garçon a 2 parts et la fille en a 1, mais le Code de la famille parle de partage équitable.   

FATOU SY

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