Le pays enterre ses trois «martyres»
Un chant sourd et sépulcral, l'hymne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), s'est propagé dans la foule qui attendait, jeudi, les dépouilles des trois militantes de la guérilla kurde assassinées à Paris la semaine dernière.
À l'arrivée des cercueils drapés dans un drapeau rouge, jaune et vert, aux couleurs du Kurdistan, des dizaines de milliers de personnes ont fait le signe du V et scandé: «Les martyrs ne meurent jamais.» L'hommage rendu à Diyarbakir, la capitale des Kurdes dans le sud-est de la Turquie, à Sakine Cansiz, une des fondatrices du PKK, Fidan Dogan et Leyla Soylemez avant leur dernier voyage jusqu'à leur ville natale, a montré des manifestants adhérant corps et âme à la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan. L'absence de heurts avec les forces de l'ordre a donné un signal fort: celui de la poursuite des négociations entamées en décembre entre le gouvernement turc et Abdullah Öcalan, le chef du PKK, pour parvenir à un règlement du conflit qui a fait plus de 45.000 morts depuis 1984.
«Je ressens une tristesse sans nom, explique Sebahat, coiffée du traditionnel voile blanc des paysannes et dont un fils est mort en “luttant”. Ces femmes se battaient pour nos droits. Elles sont notre honneur et notre fierté.» Entre larmes et colère, la confiance dans les pourparlers en cours n'a pas sa place au sein de l'assistance endeuillée. «Comment croire à la paix après ces meurtres?», s'interroge Rojhat - qui signifie «Le soleil est arrivé» en kurde. Après s'être interrompu pour crier «Erdogan, assassin!», ce lycéen de 18 ans poursuit sa démonstration: «Les Turcs essayent de nous entuber.» Pour la communauté kurde, les services secrets turcs sont derrière le triple meurtre. Le gouvernement désigne, lui, un règlement de comptes interne au mouvement autonomiste.
Scepticisme généralisé
Malgré le scepticisme généralisé, les responsables du Parti pour la paix et la démocratie (BDP), la vitrine politique du PKK, ont exhorté leurs partisans à «faire preuve de patience». «Nous pouvons arrêter tout ce sang par la négociation, a proclamé Selahattin Demirtas, président du BDP. Ce n'est pas la revanche qui nous rassemble aujourd'hui, mais la paix. Voilà, le message que nous envoyons. Nous suivons les directives données par Abdullah Öcalan.» Ahmet Türk, un des deux députés à avoir été autorisés par Ankara à rencontrer le chef de la guérilla sur l'île-prison d'Imrali, il y a quinze jours, a exhorté ses compatriotes à poursuivre les efforts «pour parvenir à une paix honorable». Tout en accusant le gouvernement de se livrer à un jeu de dupes: en début de semaine, les F-16 de l'armée turque ont bombardé les bases arrière du PKK installées dans les monts Qandil, en Irak.
Le visage dissimulé derrière un keffieh, des adolescents brandissaient des portraits d'Öcalan mais ils n'ont jeté ni pierre ni cocktail Molotov sur la police. La veille des funérailles, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan avait appelé à la retenue. «Une fois n'est pas coutume, glisse Aysel, une manifestante. Mais nous restons sur nos gardes: après la dernière tentative de paix en 2009, des milliers de militants ont été jetés en prison.»
Le Figaro