Ne faut-il pas abroger la loi sur la parité ?
Le propre de la discrimination positive est d’accorder temporairement des avantages préférentiels à un groupe qui subit une inégalité non justifiée. Cependant dans une république, tous les individus doivent être traités de manière égalitaire sans tenir compte de leur appartenance religieuse ou de leur sexe. Comment alors comprendre et apprécier l’introduction de la parité dans nos institutions ?
Le Sénégal, en adoptant ce système égalitaire de représentation des hommes et des femmes dans toutes les fonctions électives, notamment à l’Assemblée nationale, au Sénat et au niveau des collectivités locales, réalise un bond qui le propulse devant les plus grandes démocraties du monde. Mais n’est-ce pas là un bond de trop ?
Il est vrai que nous sommes un petit pays, mais un grand peuple. Nous l’avons suffisamment démontré tout au long de notre marche démocratique particulièrement à travers le multipartisme, la liberté de presse, la première et la seconde alternance obtenues de haute lutte et dans la plus grande dignité. De là à vouloir sauter les étapes nécessaires à la croissance naturelle d’une grande nation en instaurant une telle loi me semble un pari risqué. Dans les jours voire les années à venir, nos institutions risquent fort de se heurter à un ralentissement très sensible de leur vigueur et de leur vitalité. Au moment où nous avons le plus besoin de corriger nos imperfections institutionnelles qui faisaient dire à certains alarmistes que notre Assemblée nationale n’était pas plus qu’une chambre d’applaudissement, nous semblons préférer le remplissage par le genre à la sélection objective et rigoureuse des meilleurs par le mérite et la compétence.
Le premier effet immédiat et néfaste de cette loi si chère à nos vaillantes sœurs et épouses va se manifester à l’occasion des prochaines élections législatives. Les ailes plombées par l’obligation d’alterner les occupants des sièges selon le genre, le parlement ne pourra voler qu’à basse altitude et trouvera même du mal à décoller du fait de la grande difficulté à confectionner des listes de qualité. Les plus méritants qui devront céder leurs places à d’autres moins aptes de défendre la cause du peuple mais imposés par une loi absurde, prendront conscience ce-jour là, à quel point l’homme est capable de construire minutieusement ce qui va le détruire infailliblement.
Imposer un système de quotas dans une fonction élective aussi cruciale, relève d’une absurdité. Si le principal motif de l’introduction de cette loi est l’éradication d’une soi-disant injustice qui faisait que les femmes, représentant 52% de la population, n’occupaient que 23% des sièges du parlement, il faudrait alors poursuivre cette logique et lutter contre les autres injustices du même ordre. Ainsi, les jeunes qui constituent la majorité de notre population devraient être servis proportionnellement.
L’appartenance confessionnelle, la taille, ou encore la couleur de la peau étant d’autres critères d’appréciation, vouloir en tenir compte pour définir les exigences d’éligibilité dans les fonctions électives serait une dérive évidente, tout comme le sexe.
A titre illustratif, 70% de la population sénégalaise ont moins de 35 ans. Ce seul critère du nombre suffit-il pour établir une représentativité et une logique de quotas sans tenir compte du fait que la plupart d’entre ces jeunes (66,88%)* n’ont aucune formation ? Dans les mêmes proportions, l’écrasante majorité des 52% des femmes qui constituent notre population, n’a aucune formation de base.
Des femmes compétentes, il en existe au Sénégal. Mais avouons que des leaders de la trempe de Mesdames Awa Marie Coll, Amsatou Sow Sidibé, Penda Mbow, ou encore Fatou Sow Sarr « jigeen yu man goor », restent des étoiles rares dans la galaxie politico-intellectuelle des dames. Pour autant, la défense des intérêts de la gent féminine ne doit pas les amener à soutenir des thèses qui perturbent l’expansion de l’univers qu’elles partagent avec leurs pères, leurs maris et leurs frères.
La plupart des leaders de nos partis politiques ont aussi une lourde responsabilité dans le vote de cette loi. La majorité parlementaire libérale constituée du PDS et de ses alliés, avait cru, qu’en instituant la parité, elle allait gagner le cœur de nos sœurs et engranger ainsi une bonne partie de leurs suffrages : peine perdue. Quant aux parties d’opposition de l’époque, à de rares exceptions près, ils avaient courbé l’échine et fait profil bas, pour ne pas recevoir les contrecoups fatals lors des échéances de 2012. Aucune levée de bouclier, aucune contestation sérieuse pour barrer la route à l’émergence d’une loi qui va désormais inhiber la compétence au profit du genre. Une fois installée à l’issue des élections législatives du 1er juillet 2012, aucune correction ne sera possible à l’avenir quelle que soit l’évidence des préjudices subies et à subir par le peuple. Oui, il sera difficile en ce moment là de trouver une élue qui acceptera de monnayer l’intérêt personnel contre la raison car on ne scie pas la branche sur laquelle on est assis. Et là, la discrimination positive passera du temporaire au définitif.
Même si cela semble illusoire, j’invite les acteurs politiques de tous bords et particulièrement la nouvelle autorité fraîchement élue, à introduire avec courage lors de la prochaine cession parlementaire, un projet abrogeant cette loi qui dessert toutes les parties. Cette musique démocratique de chez nous qui veut que tout le monde se mette aux pas rythmés de la parité n’existe pas ailleurs sous nos cieux. Parcourons les grandes démocraties du monde, des Etats unis à la France, en passant par la Grande Bretagne et l’Allemagne, on n’y trouvera nulle trace de parité dans les institutions. Des lors cette loi devient un os trop gros pour les dents de lait de notre jeune démocratie. Quand est-ce que comprendrons-nous qu’à vouloir danser plus vite que la musique, on danse mal ?
J
’espère que mes amies ne m’en voudront pas d’avoir mis le doigt sur ce mal qui ne fera que reculer nos institutions.
Cheikh Bamba DIOUM
*(Source statistiques : Etude sur
« jeunesse et développement durable »
, par un groupe de d’enseignants/chercheurs
CREA/UCAD).