Ce que l'histoire à retenu, ce qu'elle retient encore
Quand l’ancien Président Abdoulaye WADE est allé lui présenter ses condoléances à la maison mortuaire, suite au rappel à Dieu de son grand-frère, Mr Babacar GAYE, porte-parole du PDS, devant l’assistance, lui a rappelé ceci : « le 18 juin 2007, vous m’avez fait appeler dans vos appartements privés me dire : il faut que Macky quitte la Primature pour aller à l’Assemblée nationale. Sinon, les gens vont lui tomber dessus ». Tout en ajoutant : « quand j’écrirai mes mémoires, je dirai ce que tu as fait pour Macky SALL et le destin que tu avais pour lui ».
Il serait injuste de dire qu’Abdoulaye WADE n’a rien fait pour Macky SALL. Comme l’a si bien dit Serigne Mansour SY Djamil, Député et leader de « Bess Du Niak » dans l’entretien qu’il a accordé dans le n°3431 des samedi 28 février et dimanche 01er mars 2015 au quotidien L’Observateur, suite à la sortie de Wade contre le Président Macky : « … c’est décevant qu’il descende aussi bas. Surtout avec quelqu’un qui a été son produit, qu’il a porté sur les fonts baptismaux, qu’il a aidé à franchir tous les échelons difficiles jusqu’à devenir Président de la République ». Oui, le Président Wade a fait quelque chose pour Macky SALL, et ce n’est pas rien. Il l’avait nommé ministre et Premier ministre. Et c’était toujours sous le magistère du Président Wade que Macky avait également été élu Président de l’Assemblée nationale. Dans l’évolution historique du PDS, accéder à cette station conférait la position de n°2 du parti. De ce point de vue, il faut reconnaitre que Wade a joué un rôle important dans l’ascension politique de Macky SALL. Voila ce que l’histoire a retenu dans le compagnonnage des deux hommes.
Cependant, il n’y a pas que cela seulement que l’histoire doit retenir dans les relations entre eux. Mr GAYE parle du destin que le Président Wade aurait pour Macky SALL. Or, dans l’histoire du PDS, on a comme l’impression que l’échafaud est le destin des n°2. Le Président SALL n’a pas échappé à cette règle. En tout cas, ce qui est constant, c’est que les n°2 sont presque tous passés à la trappe car ils ont presque tous connu une fin difficile avec Wade. Leurs relations avec lui se sont terminées, pour la plupart d’entre eux, en tout cas, dans la douleur. Par la séparation. Je me rappelle la réaction, en 2004, d’un Député membre de la Cap 21, lors d’une mission sur le terrain pour la distribution des aliments destinés aux populations, à la suite de la sécheresse de 2003. Celui-ci s’est exclamé en ces termes : « je ne comprends pas le Président Wade, ses partisans sont en train d’attaquer Idrissa SECK alors que celui-ci est son Premier ministre ». Cette observation du parlementaire doit faire réfléchir sur les relations, de façon générale, de Wade avec ses compagnons durant son long parcours politique, aussi bien en tant qu’opposant, qu’en tant que Président de la République.
Il faut dire que la technique de liquidation de Wade de ses n°2 est simple : s’il décide de se séparer d’un n°2, il ne l’affronte souvent pas directement, il utilise des snipers ou certaines instances du parti, notamment les jeunes, parfois les femmes, qui commencent à l’attaquer par des moyens divers pour le déstabiliser, jeter le discrédit sur la personne ciblée. Avant que lui-même ne donne le coup de grâce.
Seulement, parmi ces n°2, trois ont échappé à la guillotine et, curieusement, ils furent tous les trois premiers ministres. Et, ironie du sort, c’est l’un d’eux qui lui a succédé à la tête du pays. Comment ces trois anciens Premiers ministres ont-ils échappé à la guillotine ? Ils sont tous vivants politiquement. On peut tenter de répondre, brièvement, en relevant qu’ils ont tous les trois connu des fortunes diverses, mais chacun a utilisé ses armes à lui pour ne pas disparaître politiquement.
Idrissa SECK est celui que Wade avait tenté de liquider lui-même sans presque prendre de gants. Dans le cas de Idrissa SECK, il était lui-même monté au créneau pour l’attaquer, avec des expressions du genre : « serpent venimeux. » ; « Idy Iznogoud », etc. Mon point de vue est que ce qui a sauvé Idrissa SECK, c’est le mystérieux cd n°2. Idrissa SECK a eu l’intelligence de faire distiller dans la presse l’existence de ce cd qu’il aurait confié à des gens au cas où. Je crois que l’existence supposée ou réelle de cd a réellement ébranlé, je dirais même qu’elle a fait peur à Wade, qui avait remué ciel et terre pour retrouver le ou les ordinateurs où ces informations auraient été stockées ou traitées. Vous vous rappelez. Le spectre de l’existence de ce document a amené Wade à signer le protocole de Rebeus. C’est vrai qu’Idrissa SECK a nié l’existence de ce protocole. Son conseil d’alors, Me Nafissatou CISSE a exhibé le secret professionnel pour se blinder. Bluff ou non, ce qui est sûr, c’est que l’information relative à ce cd dans les media a amené Wade à accepter la négociation. Je pense que si Mr. SECK n’avait pas eu la présence d’esprit de brandir cette menace, il allait peut-être rester assez longtemps en prison.
Quant à l’ancien Premier ministre Souleymane Ndéné NDIAYE, il semblait, à un moment donné, être dans une situation de traversée du désert, après avoir été remplacé à son poste de ministre de l’économie maritime (si je ne m’abuse). Il n’était manifestement pas dans les bonnes grâces du Président WADE en cette période-là. Et c’est à ce moment qu’il a eu la témérité de faire une audacieuse déclaration « je ne me mettrai jamais derrière le gosse » (allusion au fils biologique). Il faut reconnaître qu’il était allé trop loin et avait visé très haut en parlant de cette manière du fils du Président. Pour qui connaît Wade, qui était de surcroît au summum de son règne, avoir un tel cran signifie tout simplement la disgrâce. On attendait le sabre. Mais contre toute attente, il a été nommé Premier Ministre.
A la surprise générale. La question est de savoir pourquoi ? En effet, on peut se demander si cette nomination inattendue n’était pas une sorte de remake, une tradition à la Wade avec ses premiers ministres, en référence aux cas Idrissa SECK et Macky SALL. Maître Souleymane Ndéné NDIAYE n’avait-il pas été nommé à ce poste pour lui faire payer ultérieurement son audace ? Il faut dire qu’ici, l’histoire semble avoir bégayé, car non seulement il n’a pas connu le sabre, mais de tous les premiers ministres de Wade il était le seul à rester le plus longtemps avec lui (jusqu’à sa chute). On peut toutefois tenter une explication de cette longévité en se souvenant de deux de ses déclarations quand il a dit « je ne suis pas le n°2 du parti ». L’autre déclaration c’est quand il a dit « si je quitte la Primature, je retourne à mon cabinet ». Ces clarifications du Premier Ministre Souleymane Ndéné NDIAYE avaient dû rassurer le Président WADE.
Pour le cas spécifique du Président Macky SALL, il faut revenir à la révélation faite par Mr Babacar GAYE pour dire que le Président Wade avait respecté sa promesse de voir Macky SALL à la tête de l’Assemblée nationale. Macky avait effectivement été élu Président de l’Assemblée nationale. Mais, curieusement, c’est là que le destin que Wade aurait eu pour Macky s’est également terminé. On peut se demander quel autre destin le Président Wade avait prévu pour Macky, au vu de ce qui s’est passé. En tout cas ce que l’on sait et que l’histoire a retenu, c’est que c’est ici qu’ont pris fin les relations entre les deux hommes. Dans la douleur. Par la Loi Sada NDIAYE. Wade avait-il prémédité en décidant de faire élire Macky à la tête de l’Assemblée nationale ? C’est comme s’il l’envoyait l’échafaud.
Pour rappel. Lors d’une réunion de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, les Députés présents à cette réunion avaient pris, de façon souveraine, la décision d’inscrire l’audition de certains organismes publics dans leur agenda. A la suite de cette décision, des correspondances, avec le sceau du Président de l’Assemblée nationale, en l’occurrence Mr Macky SALL, avaient été envoyées à un certain nombre d’agences dont l’ANOCI, dirigée alors par Mr Karim WADE, pour venir se prêter à cet exercice. Malheureusement, cette décision avait fait l’objet d’une sorte de falsification ou d’une confusion sémantique, le tout suivi, il faut le dire, d’une certaine manipulation politique de l’opinion. On avait voulu faire croire que le Président de l’Assemblée nationale avait eu l’intention de faire « auditer » le fils du Président de la République. Or, il ne s’agissait pas d’audit.
Il s’agit plutôt d’audition, ce n’est pas la même chose. L’Assemblée Nationale du Sénégal ne procède pas à un audit. Dans le travail de cette institution, l’audit n’existe pas. Il existe plutôt ce que l’on appelle l’enquête parlementaire qui pourrait, c’est selon, déboucher sur une poursuite judiciaire. Ce n’était pas le cas ici. Par contre, l’Assemblée nationale peut procéder à une audition sous la forme, par exemple, de questions orales. Cela est même une tradition des parlements dans les pays démocratiques. C’est le cas des « Hearings » au Congrès américain. L’actuelle Assemblée nationale semble d’ailleurs adopter cette formule, avec le passage des ministres pour répondre aux questions des Députés.
On a comme l’impression que cette situation avait été créée avec pour objectif de mettre fin ou d’arrêter l’ascension politique de Macky SALL, comme s’il avait commis une faute. A ce propos d’ailleurs, il convient de rappeler cette confidence que le Président Wade avait faite à un journaliste : « Macky a commis l’erreur politique de convoquer mon fils ». On peut se demander de quelle erreur il agit ? L’audition est une activité normale de l’Assemblée nationale. La loi Sada NDIAYE a été prise pour sanctionner une faute qui n’a pas, de mon point de vue, existé. Ici encore Wade a agi suivant son instinct politique en provoquant cette rupture avec Macky SALL.
Ironie du sort, c’est à partir de l’Assemblée nationale que le destin présidentiel de Macky SALL a été scellé. En effet, après le vote de la loi Sada NDIAYE, il s’était désengagé de toutes les positions de pouvoir, ainsi que de tous les avantages y afférents, qu’il avait légitimement eus sous WADE, pour prendre en main son propre destin. Comme un officier en disgrâce, après avoir rendu armes, bagages, gallons et médailles, il a créé sa propre armée pour se lancer à l’assaut de la citadelle. La stratégie de Macky semble reposer sur deux aspects : l’évitement à tout prix de confrontation avec Wade : pas d’attaques, refus de répondre à la provocation, etc.
Le second aspect : refus de tout contact avec Wade pour éviter l’utilisation à des fins politiques. Cette stratégie a porté ses fruits puisque depuis qu’il avait quitté l’Assemblée nationale, Macky SALL n’avait rencontré le Président Wade (officiellement du moins) que le 02 Avril 2012, jour de la passation de service entre les deux Présidents au Palais présidentiel.
Ce que l’histoire retient encore
Wade est toujours le secrétaire général du PDS. C’est pourquoi, à propos de n°2, je dois me rectifier, tout en maintenant ce terme de n°2 pour le PDS, pour des raisons de commodité parce qu’il est consacré par l’opinion. En réalité, il n’y a véritablement jamais eu de n°2 dans l’histoire politique du PDS. Et c’est probablement la plus grosse erreur que Mr Idrissa SECK avait eu à commettre et qui avait failli hypothéquer son avenir politique, en s’autoproclamant quasiment n°2 du PDS. Wade a toujours été le n°1, le n°2, etc., du PDS. Ceux qui avaient été attitrés n°2 n’ont en réalité occupé cette position que grâce au rôle qu’ils ont eu à jouer dans le parti, du fait de leur mérite et charisme personnels ou alors parce que Wade l’avait voulu ainsi, car le PDS est un parti qui n’a pratiquement jamais fonctionné sur la base de ses statuts. Par conséquent, ils ne l’ont occupée que de façon provisoire ou éphémère.
La preuve ? Wade a quitté mais le PDS est aujourd’hui géré par des intérimaires. Et, jusqu'à preuve du contraire, je reste convaincu que le second secrétaire général dans l’histoire de ce parti ne sera autre que le fils biologique. En atteste, l’exclusion récente de Mr Modou Diagne FADA du parti. Wade a toujours fait attention à ses arrières et chaque fois qu’une personnalité commence à s’affirmer ou à émerger, il largue ses loups pour la liquider (Modou Diagne Fada ne nous démentira pas).
Les cas que l’on vient de citer sont des rescapés. La liquidation des n°2 est comme une tradition chez Wade. Il a tué toutes les ambitions, inhibé les velléités au sein de son parti au point qu’aujourd’hui il n’y a pratiquement que platitude autour de lui. Wade a tellement infantilisé son parti qu’on a comme l’impression que ses leaders sont atteints de nanisme politique. Sinon comment comprendre qu’après tout ce temps qu’ils ont fait avec lui, ils ne soient encore que des porteurs de pancartes ? Derrière un ancien Président. Un quasi centenaire. When are these guys going to decide to start growing up ? It’s getting late. Les autres ont grandi. Wade a bien compris cela et c’est pourquoi il peut encore se permettre d’utiliser le PDS comme de l’argile. Le fait est que Wade n’a jamais accepté le dauphinat (en dehors de lui du moins). Mais le dauphinat n’est pas un péché en politique, c’est un phénomène qui existe partout, même dans les pays de longue tradition démocratique (on parlait de Laurent FABIUS pour le Président François MITERRAND).
Il peut même être utile à la survie d’un parti politique (cas de Mr Ousmane Tanor DIENG pour le parti socialiste sénégalais). On ne peut alors s’empêcher de se poser la question de savoir si tout cela était le fait du hasard, si tout cela n’était pas planifié de longue date, s’il n’avait pas pensé à quelqu’un d’autre pour sa succession, au vu de la situation que nous avons connue et que nous vivons encore aujourd’hui avec lui. L’entêtement de Wade à rester à la tête du PDS ressemble à quelque chose d’irrationnel. Mais comme disent les Wolofs, « louye ram, ci niax lay dem ». Et, comme disait le chanteur ivoirien, « on a tout compris ». Bien avant le 21 Mars 2015 (jour où Karim Wade a été désigné candidat du PDS à la prochaine présidentielle).
Les mémoires constituent en quelque sorte, en condensé, le récit de la vie, l’histoire d’un homme, généralement racontée par soi-même. Mais la vie d’un homme, c’est toujours par rapport aux autres hommes. On ne peut donc parler de soi sans parler des autres. Toutefois, si parler de soi n’est pas souvent aisé, car comme disent les Wolofs « sabo dou foot bopam », il pourrait être encore plus difficile de parler des autres. Les plus grandes difficultés dans la rédaction des mémoires résident dans la fiabilité des données et l’infaillibilité des souvenirs. Car quand on parle des autres, on doit s’entourer de précautions afin d’éviter de leur porter préjudice parce qu’en écrivant ses mémoires, on écrit aussi pour la postérité. On l’a vu récemment avec la publication des mémoires de l’ancien Président Abdou DIOUF. Des personnes encore en vie qu’il a eu à citer, peut-être sans vouloir faire du mal, ont réagi avec un ton qui a surpris, notamment de la part de certaines d’entre elles, en raison de leur proximité avec lui quand il était aux affaires. Pour d’autres, qui ne sont plus parmi nous, leurs descendants ont eu la même réaction.
Monsieur Babacar GAYE a fait sa révélation à un moment de recueillement, dans un lieu de prière. Les mémoires ont ceci de particulier qu’elles sont écrites, généralement au versant de la vie de l’individu. Elles répondent à un besoin de faire connaître une, des vérités, une expérience que l’on veut partager, etc. Ce qui fait de la rédaction des mémoires un acte de générosité, de grandeur, et lui confère toute sa noblesse. Quel autre destin le Président Wade avait-il prévu pour Macky SALL ? On le saura peut-être un jour dans les mémoires de Mr Babacar GAYE. Mais en attendant, ce que l’on sait, c’est que le fils du Président Wade a été proposé et est proclamé candidat à la prochaine élection présidentielle. Probablement contre le Président Macky SALL. Idrissa SECK a quitté le PDS et a créé son parti. Souleymane Ndéné NDIAYE a aussi créé le sien. Modou Diagne Fada vient d’être exclu du PDS. Et Wade est toujours le secrétaire général du PDS. Voila ce que l’histoire retient encore.
Doudou MANE/Consultant
Agroéconomiste