Entre volonté de servir et intérêts partisans
Le Sénégal se prépare pour les élections législatives anticipées fixées au 17 novembre 2024, dans un contexte marqué par la dissolution de l’Assemblée nationale en septembre dernier. Ces élections, convoquées par le président Bassirou Diomaye Faye, éliront 165 députés pour représenter les intérêts du peuple sénégalais. À l'heure où la scène politique s'anime, les attentes des citoyens envers leurs élus s’intensifient. Pourtant, les rôles, défis et dysfonctionnements de l’Assemblée nationale posent question et suscitent de vifs débats.
Le décret du 17 septembre 2024 réinstitue une répartition de 97 sièges sur le scrutin majoritaire départemental, suivant les dispositions des Législatives de juillet 2022. Cette configuration reste inchangée : la région de Dakar conserve la part la plus importante avec 18 députés pour ses départements, incluant Pikine, Guédiawaye, Keur Massar et Rufisque. Les autres départements tels que Thiès, Diourbel ou Ziguinchor maintiennent également leurs quotas. Sur le plan de la représentation des Sénégalais de l’extérieur, les circonscriptions se partagent les sièges restants, offrant 17 sièges pour les zones internationales.
En maintenant cette répartition, le gouvernement invoque ‘’l’urgence’’ pour justifier une absence de révision géographique, un choix qui reste discutable pour de nombreux observateurs politiques. Certains plaident pour une meilleure représentation des départements sous-représentés ainsi que pour une adaptation des sièges aux réalités démographiques et socioéconomiques.
Trois rôles primordiaux, mais souvent oubliés : représentant, contrôleur et législateur
Dans le cadre de leur mission parlementaire, les députés sénégalais sont appelés à jouer trois rôles essentiels :
1. Représentant : En tant qu’intermédiaire entre le peuple et l’État, le député doit être la voix de ses électeurs et défendre leurs intérêts auprès de l’administration publique.
2. Contrôleur : Les députés exercent leurs fonctions de contrôle en examinant les actions du gouvernement. Ils disposent d'un pouvoir d’interpellation, de questionnement et de révision pour s'assurer que les décisions politiques ne trahissent pas les attentes de la population.
3. Législateur : En tant que législateur, le député étudie, amende et vote les projets de loi proposés par le gouvernement. Ce rôle comprend la capacité de proposer des lois, d’initier des discussions et d'influencer les débats parlementaires.
Ces rôles, pourtant déterminants, souffrent en pratique de nombreuses limitations structurelles, idéologiques et politiques. Comme le souligne Amadou Sène Niang, expert électoral, ‘’les députés ont des responsabilités immenses, mais il leur manque souvent des moyens adéquats et un encadrement pertinent pour mener à bien leurs missions’’.
Pour lui, l’efficacité des députés repose également sur leur capacité à comprendre et à aborder des problématiques complexes. ‘’Guy Marius Sagna a marqué la dernière législature par ses propositions brillantes et ses interventions percutantes’’, souligne-t-il. Le député de Ziguinchor est connu pour son activisme et ses prises de position critiques envers l’Exécutif. Néanmoins, Sène Niang reconnaît que le manque de formation et d’encadrement entrave nombre de députés dans l’exercice de leurs fonctions.
Le poids des loyautés partisanes et l’absence d’assistants parlementaires
Une des critiques majeures adressées aux députés sénégalais est leur loyauté prioritaire envers les partis politiques au détriment des préoccupations citoyennes. Le fonctionnement de l’Assemblée nationale reflète souvent une polarisation extrême où l’opposition et la majorité se retrouvent en désaccord systématique sur presque tous les projets ou propositions de loi. Cette division contribue à des blocages fréquents, rendant difficile tout compromis politique.
Cette situation est illustrée par des débats houleux autour de questions comme la criminalisation de l’homosexualité ou le report de l’élection présidentielle de 2024. Les projets de loi du gouvernement sont approuvés en bloc par la majorité et rejetés de manière systématique par l’opposition, et inversement.
Ainsi, les initiatives parlementaires deviennent des outils de légitimation des positions politiques, diluant ainsi leur efficacité réelle dans l’action publique.
En outre, le Sénégal fait face à un déficit en matière de personnel de soutien pour ses parlementaires. Contrairement à des démocraties avancées comme la France, où chaque parlementaire bénéficie d’au moins un assistant parlementaire, les députés sénégalais doivent souvent travailler seuls, sans aide technique et administrative. Ces assistants pourraient les aider dans l’élaboration de propositions de loi, la rédaction de discours, et l’analyse de dossiers parfois très techniques.
À ce jour, certains députés sénégalais peinent à comprendre les enjeux techniques de certaines questions cruciales, freinant ainsi leur contribution efficace aux débats législatifs. L’ONG 3D a tenté de combler ce vide en 2020, en initiant un programme de formation de futurs assistants parlementaires. Quinze doctorants sénégalais avaient ainsi été formés pour fournir un appui technique aux députés, mais ce projet n’a pas été étendu, laissant un vide persistant dans l’appui aux parlementaires.
Niveau de formation et une structure électorale à redéfinir
Le niveau de formation de certains députés est une autre source de critique. De nombreux parlementaires éprouvent des difficultés à maîtriser les questions complexes de politique publique et d'économie. Dans un pays confronté à des défis croissants dans des secteurs variés tels que l’environnement, la technologie, et la santé publique, la capacité des élus à répondre à ces enjeux est cruciale.
Certains observateurs suggèrent de fixer un seuil minimal de qualification académique pour les députés, une proposition controversée, mais qui reflète un besoin pressant de professionnaliser davantage la représentation nationale. ‘’Pour que les députés puissent véritablement contribuer à l’avancement du Sénégal, il est impératif qu’ils possèdent un bagage intellectuel adéquat leur permettant de comprendre les grands enjeux’’, indique un analyste politique.
Un autre paramètre qui nécessite des réformes est le système électoral sénégalais pour les Législatives qui divise l’Assemblée nationale en députés issus de listes départementales et de listes nationales. Cette double structure crée des tensions au sein même de la représentation parlementaire, certains députés se concentrant principalement sur les problématiques de leurs départements d’origine, tandis que d’autres adoptent une vision plus nationale.
Les partisans d’une réforme électorale prônent une représentation exclusivement basée sur des circonscriptions géographiques. Ce système, affirment-ils, permettrait une meilleure responsabilisation des députés vis-à-vis de leurs électeurs. Cette réforme renforcerait également l’ancrage local des députés et encouragerait une meilleure prise en compte des particularités régionales dans les politiques nationales.
Les élections législatives anticipées de novembre 2024 pourraient bien marquer un tournant pour l’Assemblée nationale sénégalaise. La dissolution récente de l’Assemblée reflète un contexte politique tendu, où les attentes citoyennes s’amplifient face aux défis socioéconomiques du pays. Les électeurs espèrent voir émerger une assemblée plus représentative, capable d’adresser les problématiques réelles du pays et d’exercer un contrôle efficace sur le gouvernement.
À travers ce scrutin, les citoyens attendent des députés qu’ils réaffirment leur indépendance et leur engagement envers le bien public. Les perspectives de changement résident dans un renouvellement de la classe politique, incluant des profils plus qualifiés, capables de défendre l’intérêt national en toute indépendance, tout en étant mieux formés et dotés des ressources nécessaires pour accomplir leurs tâches.
Les députés sénégalais, en tant que représentants du peuple, ont le devoir de transcender les clivages partisans pour agir dans l’intérêt de tous les Sénégalais. Les réformes envisagées, qu’elles concernent la formation, l’assistance technique ou la répartition électorale, ne sauraient cependant suffire à pallier l’ensemble des défaillances observées. C’est avant tout un changement de mentalité et un engagement renouvelé pour le bien commun qui s’imposent.
À la veille des élections législatives, le rôle des députés sénégalais est remis en question, et avec lui, l’efficacité de toute l’Assemblée nationale. Alors que le Sénégal se prépare à élire ses nouveaux représentants, les citoyens espèrent que ces élus sauront faire preuve d’intégrité, de compétence et de patriotisme pour incarner véritablement les aspirations d’une nation en quête de renouveau démocratique.
AMADOU CAMARA GUEYE