Ces charlatans qui nous ligotent
Le dictionnaire Universel définit le charlatan comme un « guérisseur qui se vante de guérir toutes les maladies, un médecin incompétent, une personne qui exploite la crédulité d’autrui, un imposteur, un jeteur de sorts, un devin ». Sur internet, la définition donnée par wikipedia.org et reprise par de nombreux sites est la suivante : «Un charlatan est une personne qui pratique l'imposture, ou un jeu de dupes envers autrui, grâce à des trucages, des déformations de la réalité, ou des falsification en vue de gagner sa confiance, généralement pour obtenir de l'argent ou tout autre avantage. Il fait fréquemment usage de publicité mensongère. Un vendeur est un charlatan lorsqu’il ne vend que des produits inefficaces, voire dangereux et en parfaite connaissance de cause ».
Beaucoup de citoyens sénégalais comme moi ont, au moins, une fois dans leur vie, été grugés par des charlatans. Mais avec le temps, après avoir beaucoup voyagé, lu de nombreux ouvrages et côtoyé ceux qui savent, on finit par accumuler des connaissances et capitaliser de l’expérience permettant d’identifier les imposteurs et virtuoses du charlatanisme. Ces derniers, dans le contexte actuel de la mondialisation, élisent domicile dans les milieux urbains pour bénéficier des retombées de l’économie. Ils laissent pousser leurs barbes et portent des oripeaux vestimentaires pour montrer leur attachement à la tradition mais sont en même temps sur les canons de la modernité.
Ils maitrisent les technologies de l’information et de la communication et sont bien informés. Le développement des moyens de transport aériens et terrestres leur permet de colporter facilement des mensonges d’une région à une autre, d’un pays à un autre et d’un continent à un autre. Ces malhonnêtes profitent de la crédulité de certains citoyens pour vendre des produits prétendument miraculeux ou toutes sortes de services qu’ils n’accompliront jamais.
Bien organisés, ils avancent aux pas de loups, étendent leurs tentacules, tressent une toile invisible qui ligote et prend en otage toutes les couches sociales. Ils déplument les riches, récupèrent les maigres sous des indigents et vident les sébiles des mendiants. Grands psychologues et foudres d’éloquence, ils ont le bagout nécessaire pour convaincre, user de la supercherie et prendre dans leur filet de hauts cadres de l’administration, des tenants du pouvoir politique, des enseignants, des sportifs, des commerçants, des nantis, des pauvres, des candidats aux examens et concours, etc.
Pour chaque catégorie sociale, ils savent quel discours tenir et quel artifice utiliser pour convaincre et arnaquer leurs interlocuteurs. Ils dramatisent tout, prédisent des complots et trahisons, coups d’Etat, défaites électorales, catastrophes, bains de sang, maladies graves, chutes de lutteurs, etc. Ensuite, ils prétendent avoir les moyens « charlataniques » pour conjurer le mauvais sort. Les crédules, faibles, flemmards et froussards cassent leurs tirelires ou retirent d’importantes sommes dans leurs comptes bancaires pour rétribuer ces charlatans qui leur promettent réussite, succès ou victoire.
D’habitude, les charlatans recevaient les clients dans leurs chambres pour faire discrètement des mancies mais, aujourd’hui, le développement de la téléphonie mobile aidant, ils pratiquent publiquement leur art divinatoire par le biais de la radio et de la télévision. C’est avec la médiatisation excessive des charlatans qu’on manipule davantage les consciences des citoyens pour les ligoter et les jeter dans les gueules des loups et des charognards.
Devenus célèbres, les charlatans poussent l’audace jusqu’à usurper les fonctions de phytothérapeutes et de tradipraticiens. En s’aventurant à soigner des maladies, ils commentent de nombreux crimes, et cela avec la plus grande désinvolture. Ils n’ont subi aucune formation en pharmacologie et en pharmacodynamie et font l’éloge des plantes médicinales dont ils ignorent les indications thérapeutiques, le mode d’emploi, les effets secondaires et les interactions médicamenteuses avec d’autres médicaments traditionnels.
Ils font boire aux malades des médicaments mal dosés qui détériorent leur état de santé et provoquent d’autres maladies graves comme l’insuffisance rénale. Les diabétiques suivent leurs conseils et ne respectent plus les régimes alimentaires proposés par les médecins diabétologues... Après complications graves, en phase terminale ou en métastase, les malades quittent les charlatans et arrivent à l’hôpital presque cadavéreux.
Dans les hôpitaux, les malades rencontrent aussi certains professionnels de la santé qui ont des comportements qui jurent d’avec leurs serments d’Hippocrate. En faisant fi de l’éthique et de la déontologie, dans le seul but de gagner de l’argent, ils deviennent à leur tour des charlatans indécrottables. Ils prescrivent des médicaments « inefficaces, voire dangereux et en parfaite connaissance de cause ».
Certains spécialistes en santé et en politique de médicaments montrent les liens entre l’engeance de médecins prédateurs et les grandes industries de médicaments qui, dans leurs stratégies marketing, ciblent de plus en plus les bien-portants de manière agressive. Ils font de la publicité tapageuse et excessive pour vendre des médicaments qui « causent parfois eux-mêmes les dommages qu’ils sont censés prévenir ».
Ceux qui ont trahi leur serment d’Hippocrate font des diagnostics, déclarent malades des bien-portants, prescrivent des médicaments pour permettre aux firmes pharmaceutiques d’écouler leurs produits et de multiplier les profits (Allan Cassels et Ray Moynihan, « Pour vendre des médicaments, inventons des maladies », in Monde diplomatique, mai 2006, pp.34-35). Ce qui, d’ailleurs, pousse les plus sceptiques à conforter la thèse d’une possible collaboration étroite et secrète entre médecins charlatans et certains pharmaciens cupides.
On en déduit aisément que les malades ne savent plus à quel saint se vouer. Ils sont complètement paumés. De part et d’autre, ils rencontrent des charlatans qui les délestent de leur argent. Les sommes faramineuses accumulées permettent aux prédateurs de nager dans la fortune, construire des villas et des châteaux et vivre comme des nababs au moment où ceux qui se tuent au travail n’ont que la portion congrue.
Les charlatans ont donc une grande part de responsabilité dans la misère sociale profonde et le retard économique. Ils sont pires que les trafiquants de stupéfiants et les contrebandiers. En toute illégalité, les charlatans mènent des activités lucratives sans rendement pour le trésor public et l’économie nationale.
Après des siècles de charlatanisme, force est de reconnaitre que le savoir des charlatans n’a pas grandement profité aux Africains en général et aux Sénégalais en particulier. Le savoir « charlatanique » n’a pas permis au continent africain d’être un géant économique mondial et un grand producteur de recherche : elle représente 2% de l’économie mondiale et moins de 1% de la production du savoir scientifique de la planète.
Des lutteurs lourdement chargés de gris-gris ont été terrassés par des adversaires plus techniques et physiquement mieux préparés. Beaucoup d’élèves et étudiants qui ont consulté des charlatans ont échoué à des examens et concours au moment où d’autres, plus compétents et assidus dans les lieux où respire l’intellect, sont admis et primés. Des maladies graves comme la fièvre à virus Ebola, le paludisme, le diabète et le cancer continuent de faire des ravages, n’épargnant pas les charlatans qui prétendent connaitre la pharmacopée nécessaire pour les combattre.
Les charlatans n’ont réussi à donner au Sénégal ni coupe d’Afrique de football ni médaille d’or aux Jeux Olympiques. Le pays reste toujours dans l’arriération criante et dans une situation de pauvreté endémique. Les pratiques des charlatans sont sans doute des cordes raides qui ligotent les crédules et imprudents citoyens. Ce sont des goulets qui étranglent le Sénégal, annihilent des talents et usent des compétences. Elles encouragent la paresse et la tricherie. La léthargie qui en découle empêche notre pays d’être sur la voie de l’émergence économique. Pour sortir le Sénégal de sa torpeur, l’intervention des pouvoirs publics est plus que nécessaire.
L’Etat doit déployer un trésor d’énergie pour protéger les citoyens. Il doit sensibiliser davantage les populations, multiplier les infrastructures sanitaires, faciliter l’accès aux soins de santé et surtout donner aux citoyens une éducation de qualité dès le bas âge. C’est par le souffle des enfants qui étudient qu’on casse les mentalités rétrogrades pour obtenir des citoyens conscients, responsables, décomplexés, engagés et patients. C’est ainsi que, pris individuellement, chaque citoyen apprendra à être endurant et résilient, à conserver son courage, à rencontrer triomphe après défaite, à construire sa vie à force de persévérance et de foi.
Mamaye NIANG,
Professeur d’Histoire et Géographie
Lycée Zone de Recasement Keur Massar