Publié le 16 Dec 2014 - 13:49
LIBRE PAROLE

Crise au Sahel

 

La crise actuelle au Sahel est la conséquence  des  stratégies géopolitiques de la France et des USA, dans leurs luttes acharnées d’endiguement de la Chine et de la Russie, qui, dans le cadre des BRICS, leur disputent âprement le marché africain et ses ressources. 

1)    Géostratégie des USA en rapport avec la crise au Mali

Elle consiste à reconfigurer  le Moyen Orient, y compris Israël, et l’Afrique du Nord, y compris la bande sahélo-sahélienne dont les populations ont l’Islam en partage, pour construire une même zone géostratégique, dénommée le « Grand Orient ». Pour atteindre cet objectif, les USA cherchent à remplacer les luttes anti-impérialistes  portées historiquement par les « Nationalismes » Pan Arabe et Pan Africain, par des luttes entre « Islam modéré » porté par la Turquie et les « Frères musulmans » , et « Islam radical », porté par l’Iran et les divers mouvements d’ « Al- Qaïda », et « Salaafists ».

Ce faisant, l'on suscite  une "guerre de religion", entre "islam modéré" et "islam radical". C’est dans ce cadre qu’intervient le Qatar qui finance,  «  l’islamisme radical » pour susciter artificiellement «  un besoin d’islamisme modéré ».  C’est ce clivage « islam modéré/islam radical »  que l'on retrouve au centre des débats politiques et des tragédies, du Maroc jusqu'au moyen orient , en passant par l'Egypte, la Tunisie, l'Iran, l'Afganistan et aujourd'hui, la Syrie.

 Les USA sont ainsi parvenus, dans ces pays, à enterrer le "Nationalisme arabe, voir pan arable" qui a longtemps menacé son hégémonie dans cette partie du monde, pour lui substituer, aujourd’hui, une "guerre entre musulmans", divisés en "radicaux de type iranien", et "modérés de type turc".

Donc, à la place d'une "guerre entre l'OCCIDENT ET L'ISLAM", brandie depuis l’attaque contre les deux TOURS JUMELLES  de World Trade Center le 11 Septembre 2001,  l'on assiste désormais  à un véritable génocide entre musulmans, puissamment suscité et entretenu par les puissances occidentales, à la tête desquelles se trouvent les USA, qui ont créé ALQAIDA en Afganistan pour y chasser les Soviétiques, et le GIA, en Algérie, pour contrer le nationalisme pan africain  qui se développait dans ce pays.

C’est cette  même substitution de la guerre entre « islamistes modérés  et islamistes radicaux », avec le soutien du  Qatar  qui intervient ouvertement en finançant les Islamistes radicaux, que  les USA veulent faire prévaloir en Afrique du Nord, et dans la Bande Sahélo- Sahélienne,  pour barrer la route au pan africanisme qui s’y est développé,  et qu’ils perçoivent comme l’ obstacle principal à leur prise de contrôle du continent.

C’est cet  espace  géostratégique en jaune, qui traverse et englobe totalement ou partiellement plusieurs pays membres de la CEDEAO, sur près de 2400 km, allant  des rives de l’Atlantique jusqu’à la Mer Rouge,  que les USA cherchent à rattacher aux  pays arabes du moyen orient, et Israël, pour constituer son projet du « Grand Orient » (…).

Cette stratégie est, pour les USA, un moyen de contrôle des ressources pétrolières et leurs voies d’acheminement, dans le Moyen Orient, en Afrique du Nord, et dans la Bande Sahélo-Sahélienne de l’Afrique, et d’assurer la sécurité d’Israël.

Cette approche géostratégique américaine va donc à l’encontre du projet Pan Africaniste porté par  l’Union Africaine, qui vise à rassembler tous les pays d’Afrique, du Nord au Sud  et de l’Ouest à l’Est,  dans le cadre d’un puissant Etat.  Elle  est, complétée, en Afrique Sub- Saharienne, par la recherche des USA, par tous les moyens, du contrôle du Golfe de Guinée, par le bais d’une Unité militaire spécialement dédiée à cet effet, AFRICOM, dont la mission est sans équivoque, comme l’a reconnue  publiquement en 2007, un Conseiller du Département d’Etat étasunien, le Dr J. Peter pham en ces termes :  « les objectifs stratégiques d’AFRICOM, consistent  à protéger l’accès aux hydrocarbures et autres ressources stratégiques abondantes en Afrique …..à  protéger la vulnérabilité de ces richesses naturelles, et s’assurer qu’aucune tierce partie comme la Chine, l’Inde, le Japon, ou la Russie obtiennent des monopôles ou des traitements de faveur ». (Nile Bowie, COVERT OPS IN NIGERIA: Fertile Ground for US Sponsored Balkanization, Global Research, 11 avril 2012.)

2)     Géostratégie  de la France

Elle consiste, pour la Droite Française sous Sarkozy, à promouvoir «  l’Union des Peuples » ayant en partage la Méditerranée, (UPM), pour raccorder les pays du Maghreb à la France, au risque d’entraver le projet étasunien du  « Grand Orient ».

Cette  politique géostratégique de la France à l’égard de l’Afrique du Nord, complète sa politique de contrôle économique et militaire des pays de la Zone Franc d’Afrique de l’Ouest, par le biais d’accords de coopération militaire, économique et financière, qui l’autorisent à  avoir des bases militaires, et à centraliser 50% des réserves de changes des pays Africains membres, dans un Compte d’Opération au sein du Trésor Français,  pour garantir la convertibilité de leur monnaie commune, le Franc CFA et son rattachement à l’EURO.

Elle vise à défendre les intérêts des Entreprises Françaises dans cette partie d’Afrique, notamment  ceux d’AREVA au Niger, qui sont l’objet de harcèlements répétés par des groupes islamistes, avec des prises d’otages de ses travailleurs. C’est pour cela que la France sous Sarkozy  a envoyé à maintes reprises des « commandos de forces spéciales » pour libérer ses otages, et assurer la sécurité de l’exploitation de l’ uranium nigérien par AREVA qui fournit 40% de l’électricité consommée en France.

Cette forte dépendance énergétique de la France vis-à-vis de l’uranium nigérien, a  fait de la sécurité dans la bande sahélo sahélienne, une composante vitale de sa géostratégie en Afrique.

Ainsi donc, l’on note que la géostratégie des USA et du Gouvernements Français de Droite sous Sarkozy,  les mettaient tous les deux,  en contradiction irréductible  avec les porteurs du « Nationalisme économique » en Afrique, et du « Pan Africanisme »  pour l’Unité des pays qui ont en partage le Continent.

Leurs objectifs de prendre le contrôle de la bande sahélo sahélienne donc,  n’ont rien à voir avec  le rétablissement de l’autorité du Gouvernement du Mali dans cette zone, qu’il a abandonnée entre les mains de bandes armées et de groupes islamistes, qui jusque là ont épargné les autorités maliennes et les populations locales de toutes exactions. Ce sont ces rapports confiants avec ces bandes armées qui ont permis aux  autorités maliennes  de leur servir d’intermédiaires avec les puissances occidentales, pour négocier les «  rançons » qu’elles exigeaient en contre partie de la libération de leurs ressortissants.

Mais cette situation allait dramatiquement évoluer dans le contexte nouveau marqué par le « printemps arabe » qui a renversé les régimes autocratiques en Tunisie et en Egypte, pour porter au pouvoir des « frères musulmans », considérés par les USA d’ « islamistes modérés ». 

C’est ainsi qu’avec le « printemps arabe », les USA avec l’aide de  la Télévision arabe AL ZAZIRA  du Qatar,  sont parvenus à faire sauter le verrou Tunisien à la barbe de la France, tout en manœuvrant pour conserver son contrôle sur l’Egypte,  ébranlée par les effets de la « Révolution » en Tunisie, tandis que la France parvenait à  restaurer son contrôle sur la Côte d’Ivoire, avec l’appui des USA, en faisant tomber le Président Laurent Bagdbo.  C’est  cette  même complicité qui a été mise en  œuvre,  pour faire sauter le verrou  que constituait, pour les USA, la Lybie sous Kadhafi.  Pour  la France, elle ne l’est devenue  qu’après avoir restauré son contrôle sur la Côte d’Ivoire avec le soutien Libyen.

3)     Evolution de ces politiques géo stratégiques après la chute de Khadafi

Après la chute de Kadhafi, les USA et la France,  sont parvenus à convaincre l’ancien Président du Mali, Amadou Toumany Touré (A.T.T), d’autoriser les Touaregs, qui se battaient dans les rangs de l’armée libyenne, à renter au Nord du Mali, avec « armes et bagages », dans le but d’affaiblir la résistance des partisans du Guide libyen assassiné.  

Mais aussi, la France y voyait un moyen de protection de ses intérêts au Niger, (l’uranium), et de pression sur Alger dans sa stratégie de construction de l’UPM, alors que les USA, y voyaient un moyen de faire sauter le verrou Algérien qui entrave sa stratégie du « Grand Orient ».

Toutes ces deux puissances voyaient d’un bon œil  l’Autonomie de l’AZAWAD sous le contrôle du Mouvement de Libération Nationale de l’AZAWAD (M.N .L . A), qu’ils  considèrent comme  « mouvement laïc », en alliance avec ANSAR DINE, considéré comme « islamiste modéré ».  C’est dans ce contexte nouveau que, depuis le 12 janvier 2012, le peuple frère du Mali, en pleine préparation d’une élection présidentielle, est agressé à partir de la partie Nord de son territoire, par un groupe armé au nom des peuples Touaregs du pays, qui réclame la création d’un Etat souverain.

Le Président de la République du Mali de l’époque, plus soucieux d’organiser des élections transparentes pour sa succession, pour rentrer dans le « club » fermé de « chefs d’Etat démocrates d’Afrique », n’avait pas jugé nécessaire de déclarer « le Mali en état de guerre » pour mobiliser tout le peuple et toutes les ressources du pays pour faire face. Au contraire, sous les applaudissements des grandes puissances occidentales, et des institutions internationales et africaines, il avait décidé de garder le cap dans le respect du calendrier républicain, même quand la menace de la partition du Mali était devenue une réalité palpable, illustrée par son armée en déroute au Nord avec son lot de morts, de mutilés et de prisonniers (…).

C’est donc face à la dégradation de la situation sociale au Sud, et militaire au Nord, qu’une mutinerie a éclaté à Bamako qui a abouti, le 22 mars 2012, au coup d’Etat qui a mis fin au régime  du Président Amadou Toumani Touré (ATT), qui lui-même avait mis fin à celui du Président Moussa Traoré !

 Dans cette situation, où le politique est en rupture avec les préoccupations de survie d’un peuple dans la dignité, aucune Armée nationale n’est à l’abri d’une mutinerie pour prendre en main le destin de la Nation.

Même en France, De Gaulle n’avait pas fait autrement devant la capitulation de Pétain face à l’Allemagne Nazie. Et cela est d’autant plus vrai au Mali, où l’Armée, depuis le coup d’Etat du Capitaine Moussa Traoré contre le régime anti impérialiste de Modibo Keïta à la fin des années 60, a acquis une tradition d’immixtion dans le jeu politique, lorsque les contradictions économiques, sociales et politiques, mettent en péril la Nation.

Cette réaction patriotique de l’Armée du Mali,  a mis la France, et les USA, dans tous leurs états, étant donné qu’elle constituait un obstacle inattendu à leur projet de partition de leur pays,   contre lequel,  de jeunes officiers  ont décidé,  devant la débâcle de leur armée au Nord du pays,  de faire face, en prenant le Pouvoir.

D’où leur décision d’actionner la CEDEAO, dont la Présidence est assurée par le Président de Côte d’Ivoire que Sarkozy a placé au pouvoir, pour les faire partir, avec le concours du Président du Burkina Faso, réputé être en service commandé de Paris, bombardé « médiateur » dans cette crise.

 Ils  entreprirent immédiatement des initiatives,  pour empêcher la junte d’avoir les moyens économiques et militaires de déclencher la lutte de libération du Nord de leur pays, que la rébellion Touareg venait de déclarer « Etat Indépendant ».

C’est ainsi que la CEDEAO a décrété l’embargo du Mali, et le blocage de ses avoirs extérieurs et des Armes,  dans les ports d’ACCRA  et de Conakry, que le Gouvernement déchu de A.T.T avaient commandées. La France de Sarkozy y ajoutait la suspension de sa coopération militaire. Ils ont  ainsi réagi avec le soutien des USA, parce que les enjeux de la libération du Nord du Mali  ont bouleversé la géopolitique au niveau régional et international.

Les condamnations du putsch ont tout de suite fusé de tous les « amis » de la « Démocratie » au Mali, pendant qu’aucune de ces voix ne s’était élevée pour condamner l’agression dont ce peuple est victime, du 12 janvier au 22mars 2012!  Pis encore, la CEDEAO et l’Union Africaine  ont brillé par leur manque de solidarité envers le peuple du Mali agressé, mais n’ont pas perdu une seconde pour voler au secours de la « Démocratie » qui serait en péril dans ce pays, avec le putsch !

Le Mali a ainsi payé, par la suite un lourd  tribu à l’alignement des Etats de la CEDEAO et de l’UA aux politiques géostratégiques  des USA et de la France au Sahel.

Ibrahima SENE  PIT/SENEGAL

Ndlr, certains passages ont été coupés par nous-mêmes, avec la permission de l’auteur, pour en permettre la diffusion

 

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