J’ai été à Mariama Ba !
J’ai été en croisière pédagogique à Mariama Ba le 19 juin 2014 pour dispenser un cours expérimental d’Anglais en classe de Troisième, en compagnie d’une dizaine d’étudiants de la FASTEF.
L’institution portait ses fenêtres branlantes et ses murs décrépits par l’humidité marine avec dignité, tel un diamant sa gangue, « a diamond in the rough», comme diraient les Anglicistes ! Les jeunes filles cachaient mal leur étonnement par leurs rires espiègles à l’apparition de ce sexagénaire en Blue Jeans, à la calvitie intégrale et à la barbichette plus sel que poivre, venu leur faire un cours sur le traitement des personnels domestiques, à la place de leur plus juvénile professeur Saadibou Diagne, notre distingué hôte du jour et non moins collègue.
Ce fut mon tour d’être médusé quand, à ma question en Anglais, « Comment sont traitées les bonnes en général », une voix aussi pleine de spontanéité que d’assurance me répondit dans un Anglais qui ferait frémir de jalousie plus d’un élève de Terminale : « They are underestimated, Sir !» Quel régal pour moi qui voulais introduire les préfixes en situation de communication !
Cette anecdote pédagogique devrait faire réfléchir cet inquisiteur, Inspecteur à la retraite, qui voudrait porter sur le bûcher d’un égalitarisme pseudo républicain, cet incubateur de génie qui tire la nation de son embarras à chaque proclamation de résultats des examens du Baccalauréat et du BFEM. Elle accule à une réflexion sans complaisance sur l’éclosion et les rôles des élites intellectuelles dans le champ éducatif d’un pays qui cherche laborieusement sa voie vers le développement.
L’article incendiaire de notre vénérable Inspecteur, Monsieur Sall, révèle une méfiance pathologique, quoique légitime, de l’élitisme en tant que culture ou somme de valeurs ou mobilisation de moyens pour l’épanouissement d’une minorité sociale. Mais pourquoi avoir peur de cette philosophie quand elle est utilisée à bon escient ? A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le Japon vaincu n’hésita pas à envoyer des cohortes d’étudiants chez ses tombeurs d’Occident ou d’inviter des experts étrangers pour former l’élite scientifique dont le savoir-faire a conquis le monde d’aujourd’hui! Ces élites sont allées, pour parodier Cheikh Hamidou Kane, apprendre l’art de vaincre chez les vainqueurs pour préparer la reconquête.
Loin de nous la tentation de faire l’apologie d’un élitisme hégémonique, conquérant, nourri à l’idéologie de domination de classe ou d’un darwinisme social prédateur. Il s’agit plutôt de la promotion d’une culture méritocratique qui a horreur de la médiocrité, qui refuse cette massification des espaces de construction de savoirs où le slogan ravageur est aujourd’hui « tout pour tous, la qualité pour personne ! » Le savoir ne se construit pas dans le tumulte de la foule, mais dans le silence du recueillement.
C’est aussi le refus de cet égalitarisme aussi stérile que démagogique dont la seule vertu s’il en est, est de décharger la conscience coupable d’élites politiques défaillantes devant la recherche de solutions aux problèmes de l’Ecole, mais qui en même temps nous enfonce dans les abîmes de la misère intellectuelle ! Ecouter un « Etudiant » sénégalais est un supplice, le voir agir un spectacle affligeant : les locaux du COUD ravagés, les amphithéâtres de la FACL souillés. L’espace universitaire est devenu le domaine de prédilection de l’irrationnel et de la violence qui semblent se substituer au culte de la raison. Que dire de ces enseignants émergeant des quotas sécuritaires ou de la machine électorale du Prince en pleine campagne en 2012, ou de centres de formation douteux parce que « transformés en GIE » par des fonctionnaires véreux de l’Education Nationale aujourd’hui démasqués par un Ministre courageux.
Quand une élite est vertueuse et éclairée, sa réussite a la capacité de catalyser des ambitions jadis inhibées par l’angoisse de l’échec, de susciter l’émulation et de créer des vocations qui propulseront les éléments les plus entreprenants du corps social vers les cimes de l’excellence, car la réussite est désormais dans le domaine du possible. C’est dans des institutions comme Mariama Ba et Le Prytanée Militaire ou le Lycée Limamoulaye rénové et soutenu, que sortiront les élites de demain. Le jeune enfant de troupe Ngom multiple lauréat du Concours Général 2014 ira à Harvard, la prestigieuse, d’autres devront demain aller à Princeton et Yale pour revenir avec des savoirs structurants parce que porteurs de plus value scientifique. Ainsi, ils donneront raison à Gustave Le Bon qui pense que « le véritable progrès démocratique n’est pas d’abaisser l’élite au niveau de la foule, mais d’élever la foule vers l’élite. »
Je suis revenu de Mariama Ba, réconforté, conscient que les bonnes graines ont été semées: il s’agit de les laisser éclore pour que se dissipent les ténèbres de la médiocrité qui ont envahi l’Ecole sénégalaise.
Dédié aux filles de Mariama Ba, à Cathy Sarr et à tout son personnel !
Mathiam Thiam
Inspecteur Général de l’Education Nationale
Formateur à la FASTEF Département de Didactique de l’Anglais