Publié le 26 Feb 2015 - 09:49
LIBRE PAROLE

Par devoir de reconnaissance

 

Ouf ! On a frôlé et craint le pire pour Mamadou Lamine Massaly et pour le Sénégal car une inculpation et un mandat de dépôt pour le leader des « Jeunes Wadistes » auraient été de trop en ces moments de tension extrême dans le pays où les nerfs sont tendus et à fleur de peau et où tout le monde joue à se faire peur.

Finalement, avec cet heureux dénouement, Mamadou Lamine Massaly s’en tire à bon compte, Aminata Tall ne perd rien au change. Par contre, il y a un vainqueur : le Sénégal. Il faut saluer, et tous les Sénégalais doivent le lui reconnaître, la sagesse et la pédagogie du procureur, qui ont prévalu dans cette situation, consistant à ne pas jeter de l’huile sur le feu inutilement, alors que les Cassandre voyaient déjà le tonitruant Massaly au bagne de Rebeuss.

Cela dit, répondre à une insulte par une autre insulte est-il un acte répréhensible ? Le terme de « prostituée politique », prononcé en français et jamais traduit en wolof par son auteur, est-il plus outrageant que le terme « maggatum kacc kat » (« un vieux menteur »), prononcée par son auteure, en wolof, une langue comprise par presque de 100% des Sénégalais, ce qui en augmente la portée et l’ampleur ?

Pourquoi les pandores de la Section Recherches de la maréchaussée du fort de Colobane, si prompts à cueillir manu militari le sieur Mamadou Lamine Massaly, qui sera très probablement présenté devant le procureur pour être inculpé, n’ont pas eu le même empressement et la même détermination à servir une convocation en bonne et due forme à Madame Aminata Tall après que la bonne dame a tiré, en des termes plus qu’irrévérencieux sur Abdoulaye Wade? Y a-t-il des citoyens de seconde zone dans ce pays ? Y a-t-il des Sénégalais à part entière et des Sénégalais entièrement à part ? Y a-t-il des Sénégalais qui peuvent se permettre tout écart de langage, impunément, et d’autres qui sont alpagués à chaque fois qu’ils la claquent ?

Si cette interpellation de Mamadou Lamine Massaly obéit à la logique des gouvernants de l’Etat-Apr de mettre en prison, les uns après les autres, tous les responsables du Pds pour mieux décapiter ce parti, eh bien, nous leur souhaitons beaucoup de plaisir.

A propos, Me El Hadji Diouf, avocat de l’Etat dans le procès de Karim Wade et compagnie, a-t-il été inquiété après qu’il a fait un attentat à la pudeur tout récemment au palais de justice de Dakar?

Les insultes quotidiennes et répétitives des Moustapha Cissé Lô, Abdou Mbow, Youssou Touré, Ahmed Suzanne Kamara, Maël Thiam, Jean Paul Dias et tutti quanti sur la personne du président Abdoulaye Wade, qui a l’âge de leur grand-père ou, à tout le moins, de leur père, ont-elles tenu en émoi la république puritaine ou résonné dans les oreilles chastes des âmes prudes au point que l’Etat sensé être impartial et garant de l’équité et du respect des règles de bienséance républicaines, sévisse avec force afin de préserver notre commun vouloir de vivre ensemble ?

Le président Macky Sall himself, du haut de sa stature de chef de l’Etat, a-t-il donné le bon exemple en traitant son prédécesseur et aîné de « vieillard de 90 ans » ? Par cette déclaration irrévérencieuse, Macky Sall a-t-il donné le ton et cautionné a priori ou a posteriori toutes les dérives langagières commises par les snipers de son clan, avant ou après sa sortie malheureuse ?

Loin de nous l’idée de faire l’apologie de l’incorrection, qui est abominable et condamnable d’où qu’elle provienne, mais force est de reconnaître qu’à trop faire dans la discrimination dans le traitement des déviances verbales ou des pratiques délinquantes de nos politiciens, selon que la personne incriminée soit proche du pouvoir ou de l’opposition, on suscite dans le cœur des populations, des sentiments de frustration qui font le lit de toutes sortes d’extrémismes.

Comme le dit si bien une sagesse wolof, « Sénégalais, xamul ku togne, ku fayyu la xam ». Eu égard à tout ce qu’elle a partagé dans le passé avec Me Abdoulaye Wade, Madame Aminata Tall devait avoir une autre posture et un discours plus déférent et plus respectueux à l’endroit de celui qu’elle appelait jadis « Maître ». Naguère chouchoutée par le Pape du Sopi dont elle était la protégée, au point de se voir adoubée par Me Abdoulaye Wade contre des « monuments » et membres fondateurs du Pds comme la regrettée Coumba Bâ, ou encore contre Awa Diop, une autre icône du parti, voire contre Awa Guèye Kébé, cette experte en yo-yo politique, Aminata Tall a vécu le parcours tumultueux du Pds comme si elle marchait sur l’eau. Abdoulaye Wade l’a toujours couvée sous son aile protectrice et a toujours griffonné son nom sur ses tablettes à chaque fois que le Pds devait participer aux gouvernements de majorité présidentielle élargie proposés par le président Abdou Diouf.

Abdoulaye Wade a toujours investie Aminata Tall sur les listes du Pds en perspective des élections législatives pour que, derrière, elle soit élue député à l’Assemblée nationale où elle a toujours occupé d’éminents postes dans le bureau du parlement. Si elle ne siège pas à l’Assemblée nationale, Aminata Tall le fait au gouvernement en tant que ministre. Grande cumularde, le maire de Diourbel qu’elle était en même temps, mettait à profit les week-ends pour aller faire un p’tit tour dans son fief. Sinon, elle régnait en chef au palais présidentiel, du haut de la station de secrétaire générale de la présidence de la république. Au surplus, le poste de présidente des femmes du Pds est un strapontin que Aminata Tall n’était pas indigne d’occuper.

Son envergure sous le régime du président Abdoulaye Wade était telle que la ministre de la décentralisation et des collectivités territoriales qu’elle était, n’avait pas hésité à ferrailler dur avec un certain Macky Sall, premier ministre à l’époque, au sujet du contrôle de l’onctueux fromage du Programme national de développement local (Pndl). Excusez du peu. En un mot, Aminata Tall a tout eu du président Abdoulaye Wade, et lui est redevable de tout. Même de la nomination de sa fille, Mame Fatim Guèye, au poste de représentante personnelle du Chef de l’Etat auprès de l’Organisation internationale de la Francophonie à Paris.

Maintenant, ce n’est pas parce qu’en un moment donné, elle s’est aperçue que ça sentait le roussi pour Abdoulaye Wade et le Pds, et qu’elle a fait toutes les histoires que l’on connaît, pour pouvoir lâcher ses anciens frères et sœurs libéraux, qu’à l’image des rats ingrats qui quittent le bateau naufragé, elle doive cracher dans la soupe bleue et injurier le passé encore très récent. Sinon comment comprendre les dernières salves d’adieu faites d’injures que Madame Aminata Tall a balancées sur la figure du président Wade, qui ne lui a pourtant jamais dit quelque chose de mal, au moment de démissionner du Pds avec fracas, quand elle a traité son ex-mentor de « trompeur » ? Il y a vraiment mieux comme justification pour prouver ce qui n’est rien d’autre que de l’ingratitude.

Passe encore que Madame Aminata Tall veuille changer d’air et aller brouter dans les prairies marron-beiges parce que le régime du président Abdoulaye Wade était au bout du rouleau. Passe encore (bis) que – comme c’est de bon ton aujourd’hui de porter sur les fonts baptismaux un mouvement qui n’est rien d’autre qu’une voie de contournement pour éviter d’être taxé de transhumance – elle mette en place un mouvement fantôme appelé « Sellal », aussitôt dissout dans l’Apr.

Passe encore (ter) qu’en sa qualité de secrétaire générale de la présidence de la république, sous le régime du président Macky Sall cette fois-ci, elle pousse la frénésie revancharde jusqu’à user et abuser de l’appareil d’Etat pour assouvir son inextinguible soif de vengeance sur ses anciens frères et sœurs de parti. Comme lorsqu’à partir du palais présidentiel, Aminata Tall donnait des ordres pour l’arrachement et la confiscation des véhicules aux mains de responsables de l’ancien régime au prétexte qu’ils seraient la propriété de l’Etat.

Mais, que l’ex-égérie du Pds en arrive à peindre sous les traits de « maggatum kacc kat » (« un vieux menteur », rappelons-le), un patriarche, qui plus est, l’a sortie de l’anonymat pour faire d’elle ce qu’elle devenue aujourd’hui, par la volonté du Bon Dieu, c’est vraiment fort de café et ça heurte les sensibilités diverses dans cette société sénégalaise bien gérontophile. Assurément, Aminata Tall, aujourd’hui présidente du Conseil économique social et environnemental, n’a pas renvoyé l’ascenseur d’échange de civilités et de bons procédés à son bienfaiteur d’hier. Les wolofs diront que : « Ndawsi fayul naar ba xoromam » (« La dame manque cruellement de reconnaissance »).

Au delà les contingences politiciennes de tous bords, les injures de Madame Aminata Tall et de Monsieur Mamadou Lamine Massaly dénote de la pauvreté du discours politique au Sénégal. C’est autant de contre-valeurs que la faune politique sénégalaise véhicule et dissémine à travers un épandage d’obscénités que la morale réprouve et que la bonne éducation abhorre. La preuve par neuf que les peuples sont en avance à des années-lumière sur les hommes politiques qui, tous les jours que Dieu fait, cèdent du terrain vis-à-vis du citoyen lambda.

Si on part du postulat que l’injure est l’arme des faibles et des gens en mal d’arguments pertinents, il reste entendu qu’une injure n’est pas plus abjecte ou plus attentatoire à la dignité humaine qu’une autre, et qu’elles doivent toutes être sanctionnées de la même manière, avec la même rigueur et sur un pied d’égalité.

Aujourd’hui, Madame Aminata Tall, 4ème personnalité de l’Etat, gagnerait à être bien conseillée pour éviter à l’avenir de descendre aussi bas, quelle que soit la férocité de l’adversité en face. Des conseils, oui ! Mais pas ceux de Cheikh Ngaïdo Bâ qui, peu inspiré, lors de l’ouverture de la première session ordinaire du Conseil économique, social et environnemental (Cese), le 24 février 2015, a fait dans l’amalgame en proposant qu’une motion de soutien soit inscrite à l’ordre du jour.

Voilà un monsieur qui n’est pas même pas fichu de faire le départ entre les deux casquettes  de Madame Aminata Tall (présidente du Cese et militante de l’Apr) et qui veut donc introduire dans cette institution de la république un débat de bas étage mené sur le terrain politique. Résultat des courses, il été rabroué, désavoué et renvoyé à ses chères études par ses collègues conseillers.

Tout cela fait pitié et (dé)montre que le Sénégal est malade de sa classe politique qui, malheureusement, occupe perpétuellement le devant de la scène au détriment de la majorité silencieuse ou démissionnaire, et est souvent seule au monde au moment de postuler pour briguer les suffrages des électeurs en vue de présider aux destinées du pays.

Alors, s’il est vrai que, comme le dit l’adage, « les peuples n’ont que les gouvernants qu’ils méritent », nous sommes, ma foi, très mal barrés.

 

Pape SAMB

papeaasamb@gmail.com

 

 

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