Des remèdes oubliés dans les tiroirs
De nouvelles mesures et recommandations vont sortir du Conseil interministériel convoqué, suite au terrible accident de Sikilo. Elles rejoindront beaucoup d’autres, déjà disponibles pour réduire le fléau. Seule l’application fait défaut.
Naufrage du bateau ‘’Le Joola’’, inondations catastrophiques, morts dans des manifestations politiques. Les drames se poursuivent au Sénégal et les leçons ne sont jamais tirées. Le rituel est toujours le même : l’indignation, des enveloppes financières pour les familles des victimes et une batterie de mesures qui, quelques mois après les faits, dorment dans les tiroirs. Le tragique accident de Sikilo emprunte déjà la même logique, avec la tenue d’un Conseil interministériel pour conclure la dernière étape de ce triptyque malheureux.
Il y a deux ans, du 6 au 8 février 2020, un atelier technique de partage et de restitution avec les acteurs s’est tenu à Saly. Elle partageait les résultats d’une enquête sur la typologie des causes d’accidents de la circulation (ETCAC) réalisée en 2018 par l’Observatoire de la qualité des services financiers (OQSF/Sénégal). Ce document, aux mains des autorités, identifie déjà les principales causes des accidents de la circulation, tout en formulant des recommandations aptes à favoriser la réduction de la fréquence et la gravité des sinistres autos.
La cérémonie d’ouverture de l’atelier a été coprésidée par le représentant du directeur des Assurances, Bouyo Diop, le directeur exécutif de l’Association des assureurs du Sénégal (AAS), Mactar Faye, et par Habib Ndao, Secrétaire exécutif de l’OQSF. Ce qui dénote de son caractère officiel.
Le facteur humain, encore et toujours mis en cause
Se fondant sur 6 739 dossiers de sinistres automobiles, entre 2013 et 2017, l’enquête sur la typologie des causes d’accidents de la circulation (ETCAC) a établi plusieurs facteurs en cause dans les nombreux accidents de la circulation notés au Sénégal. Et le facteur humain, souvent mis en exergue, a été confirmé.
En effet, le rapport indique qu’une forte prépondérance des sinistres implique deux adversaires (61 %), devançant de loin les cas d’accident mettant en cause un seul et unique conducteur (34,66 %). L’enseignement à en tirer, selon les enquêteurs, ‘’c’est le manque de discipline et le non-respect patent à l’égard des prescriptions du Code de la route qui valent à notre pays d’être affecté par un nombre aussi élevé de sinistres survenus dans la courte période sous-revue, soit 2 336 au total sans responsabilité partagée, tous imputables aux agissements de conducteurs isolés’’.
Au nombre des infractions ayant concouru à la survenance des accidents recensés, figure en première ligne la perte de contrôle du conducteur qui est à l’origine de 62 % des sinistres relevés. Celle-ci résulte, le plus souvent, d’actes d’imprudence, au premier plan desquels : l’excès de vitesse, les dépassements défectueux, le non-respect des règles de priorité et le stationnement irrégulier.
Les enquêteurs ont également relevé comme autres facteurs déclenchant le non-respect des règles de conduite (non-respect des règles de priorité), la divagation des animaux, l’usage du dispositif ou d’appareil de distraction et l’inaptitude médicale du conducteur (déficience visuelle, troubles cardiaques ou psychologiques, ainsi que la neuropathie diabétique), l’absence d’une formation pour beaucoup de conducteurs, situation qui est souvent à l’origine de l‘ignorance des règles de conduite.
Une ignorance des règles par beaucoup de conducteurs
D’autres facteurs sont liés aux comportements regrettables des populations : les personnes qui traversent les chaussées avec imprudence, les enfants qui jouent ou traversent avec insouciance les routes, l’occupation anarchique des emprises des routes, les marchands ambulants qui se faufilent entre les véhicules et la non-utilisation des passerelles par les usagers.
L’examen de la statistique de sinistralité met en évidence une concentration des accidents au niveau de la tranche d’âge 25-44 ans dont l’implication dans 71,5 % des sinistres recensés est mise en évidence par les résultats de l’enquête. Dans ce segment, la tranche des 25-34 ans, constituée principalement de jeunes conducteurs ayant pour la plupart acquis leur premier véhicule lors de leur entrée en fonction, occupe une position prépondérante.
L’examen de la répartition des accidents selon la tranche horaire montre qu’ils surviennent le plus entre 12 h et 18 h (37,76 %). La tranche 6 h-12 h compte pour 30,62 % et la tranche 18 h-24 h représentant 26,49 % des sinistres. La tranche 00 h-6 h semble la moins risquée, même si l’absence de données précises sur le volume du trafic sur cette plage horaire n’autorise aucune conclusion tranchée sur le caractère peu aggravant de la conduite nocturne, précise le rapport.
La conduite de nuit semble pourtant la moins risquée, selon les statistiques
Les voitures sont également mises en cause. L’analyse des statistiques de sinistralité permet de relever que 3,69 % des véhicules accidentés ne sont pas à jour de leur visite technique. Toutefois, 21,46 % des PV examinés n’ont fait ressortir aucune indication se rapportant ou non à l’existence de la visite technique. Aussi, 1 280 dossiers de sinistres n’ont pas rapporté d’indications sur l’âge de la voiture. Lorsque l’info est disponible, l’on note une prépondérance des véhicules de 20 ans d’âge ou plus, lesquels comptent pour 42,9 % des sinistres, ‘’d’où une nette corrélation entre la vieillesse du parc et la fréquence des accidents’’.
Sur les infrastructures, le document note une forte fréquence dans la survenance des sinistres sur les routes goudronnées hors RN (route nationale) et autoroutes, lesquels comptent pour 60,55 % du total des sinistres recensés.
En 2e position, viennent les routes nationales qui s’érigent en lieu de survenance de très nombreux accidents, avec près de 28 % des cas déclarés.
Contre toute attente, le bon état de la route apparaît comme un facteur aggravant, dès lors qu’il incite à l’excès de vitesse qui est souvent à l’origine de la perte de contrôle, jugée responsable de très nombreux accidents. Les statistiques attribuent au bon état des routes (90,57 %) des cas de sinistralité, très loin devant les routes jugées moyennement bonnes qui ressortent à 6,86 %, tandis que les routes réputées être dans un mauvais état enregistrent une moindre proportion d’accidents (2,58 %), parce que les usagers y roulent plus lentement.
Les meilleures routes et le ramadan font le plus d’accidents…
L’analyse des accidents selon la période de survenance met en exergue le caractère hyper accidentogène du mois de ramadan qui, ne comptant que pour un douzième de l’année, enregistre la survenance de 35,2 % du total des accidents recensés. Il est relevé également une forte prégnance du risque accident, pendant les périodes de fêtes ou à l’occasion d’évènements religieux nationaux caractérisés par une intensification du trafic routier.
Pour inverser la tendance, beaucoup de recommandations ont été faites par les enquêteurs pour réduire les plus de 4 000 accidents dénombrés chaque année au Sénégal, faisant plus de 500 morts. La répression des infractions est préconisée avec ‘’la mise en œuvre de mesures aptes à favoriser un meilleur respect du Code de la route, dont, entre autres, le doublement du taux de l’amende forfaitaire en la faisant passer de 6 000 à 12 000 F CFA, l’instauration du permis à points, ainsi que la refonte de certains textes réglementaires se rapportant aux conditions d’obtention des permis de conduire, notamment celle liée à l’âge minimal requis’’.
Il est aussi recommandé la systématisation de la traduction devant la Commission de retrait du permis de conduire de toute personne se rendant coupable de certains types d’infraction : surcharge à l’origine d’un accident, l’usage du téléphone au volant, l’usage de la drogue ou de l’alcool identifié comme causes d’accident.
Parmi les nombreuses recommandations qui concernent les infrastructures, la plus urgente concerne l’agrandissement de la largeur des routes nationales en privilégiant les 2 voies x 2 voies à chaque fois que possible.
Lamine Diouf