MAINTIEN DE L'ORDRE LORS DES MANIFESTATIONS VIOLENTES AU SÉNÉGAL
Une doctrine à repenser
Le maintien de l’ordre au Sénégal a été souvent marqué par l’emploi abusif de la force qui aboutit le plus souvent à des bavures et des morts d’hommes. Cette doctrine doit être repensée pour garantir le droit de manifester des citoyens dans le cadre du respect de la sécurité publique.
La gestion des mouvements de foule et des manifestations populaires est problématique au Sénégal, aboutissant, de plus en plus, à des victimes. Des morts qui sont souvent la résultante d’un usage abusif de la force de la part des forces de défense et de sécurité. Les derniers évènements dans la commune de Khossanto, région de Kédougou, qui ont conduit à la mort de deux manifestants et fait huit blessés n’échappent pas à ce constat.
Des jeunes qui protestent contre la modification du processus de recrutement dans les entreprises minières de la région. Une décision du Préfet du département de Saraya qui sera ensuite suspendue par le ministre de l’Intérieur qui s’est finalement rendu sur les lieux. Cet incident a provoqué une levée de boucliers des organisations des droits de l’homme qui réclament une refonte du maintien de l’ordre au Sénégal.
Plusieurs organisations de protection des droits humains dont la Ligue sénégalaise des droits humains, Afrikajom Center, et la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme (Raddho) demandent l’ouverture d’une enquête indépendante et impartiale. « Il n’est pas acceptable qu’une manifestation soit réprimée avec des tirs à balles réelles », dénonce Seydi Gassama d’Amnesty International.
Depuis les évènements de mars 2021, le Sénégal est entré dans une spirale négative concernant le maintien de l’ordre. La succession de morts, lors des derniers éléments politiques, en est devenue la parfaite illustration. Les dernières émeutes du 1 et 2 juin dernier ont entraîné la mort d’une trentaine de jeunes manifestants. On attend encore qu’une enquête soit diligentée, malgré les assurances de l’Etat. L’arrestation puis l’incarcération d’Ousmane Sonko en juillet 2023 a aussi entraîné une série de décès chez les manifestants, notamment à Dakar et la région de Ziguinchor.
En effet, l’agressivité des manifestants et les nouvelles techniques de guérilla urbaine poussent-elles les forces de l’ordre à faire un tel usage de la violence ? Il y a-t-il une absence d'entraînement et de formation parmi les forces de l’ordre qui favorise la multiplication des bavures ?
Selon plusieurs spécialistes, la doctrine d’emploi des armes létales de répression doit être mieux encadrée. Ils invitent aussi à pallier le manque d’effectifs des Forces de défense et de sécurité. Le gouvernement doit aussi renforcer le corps du Groupement d’Intervention mobile (GMI) chargé du maintien de l’ordre en équipements et personnels qualifiés pour lui permettre de réussir leur mission. Par ailleurs, le sentiment d’impunité participe aussi à renforcer ce climat de violence et répression aveugle des manifestations.
En France, le dispositif de maintien de l’ordre a été totalement repensé, après la mort de Malik Oussekine en 1986, tué lors d’une manifestation d'étudiants à Paris. Après ce décès, les méthodes de gestion de foules ont été repensées, afin d'éviter les bavures policières en privilégiant le dialogue, la réactivité et la mobilité des forces de l’ordre pour encadrer au maximum les manifestations. Il a aussi été décidé de limiter au strict minimum les situations de contact direct entre policiers et manifestants, préférant céder du terrain plutôt d’aller vers la confrontation.
Tandis qu’en Allemagne, on privilégie le dialogue avec une obligation de communication entre forces de l’ordre et protestataires, avant et pendant la manifestation. La police allemande exclut les lanceurs de balles de défense LBD et les grenades, contrairement à la France, et préfère avoir recours aux canons à eau pour repousser la foule.
Les carences structurelles du dispositif de maintien de l’ordre au Sénégal
Au Sénégal, on ne peut pas parler de doctrine de maintien de l’ordre. Une plus large de manœuvre est accordée aux officiers sur le terrain dans la mise en œuvre des opérations de maintien l’ordre. Le manque d’effectifs et la crainte d’être submergé par des vagues de manifestants peut accentuer le risque d’un usage plus généralisé d’armes létales de la part des forces de l’ordre qui peuvent se sentir menacer face à des masses en colère. Une situation qui à terme multiplie les risques d’abus et de bavures lors de rassemblements violents au Sénégal.
D’après Sadikh Niasse, Secrétaire Général de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho), ce bilan macabre à chaque manifestation ne peut être conjuré qu’en assurant une meilleure formation et un renforcement des capacités de nos forces de défense et de sécurité. ‘’Il nous faut travailler à pousser nos forces de l’ordre à mettre en place une réponse graduée par rapport au type de manifestations qu’ils rencontrent. Les forces de l’ordre doivent éviter d’avoir recours à des armes létales, lors de ces manifestations », préconise le droit de l'lhommiste.
Selon Sadikh Niasse, des circonstances exceptionnelles comme l’agressivité des manifestants et le caractère spontané des manifestations ne peuvent justifier cet usage abusif de la force. ‘’Les manifestations spontanées sont difficilement gérables par les forces de l’ordre. Toutefois, ils doivent faire preuve de sang-froid et éviter tout abus dans l’exercice du maintien de l’ordre. Des citoyens n’ont pas à mourir dans l’exercice de leur droit constitutionnel’’, dit-il.
Amadou Fall
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