Deux morts à Khossanto et à Mama Khono
Dans le département de Saraya, une modification de la composition des commissions de recrutement de personnel non qualifié pour les sociétés minières par le préfet a mis le feu aux poudres.
Le sang a encore coulé lors de manifestations de populations au Sénégal. Loin des questions politiques qui ont embrasé le pays en mars 2021 et en juin 2023, c’est des contestations liées à des questions minières qui sont à l’origine d’un nouveau drame dans la région de Kédougou.
Hier, des affrontements ont éclaté entre les forces de l’ordre et des jeunes des communes de Khossanto et de Mama Khono du département de Saraya, occasionnant la mort d’au moins deux personnes. Une dizaine de blessés a été également été notée.
Les images atroces, insoutenables des deux corps gisant dans leur propre sang ont fait le tour des réseaux sociaux. Deux douilles, supposées tirées sur place, ont également été exposées. Une des victimes serait le frère du maire de Khossanto Mamady Cissokho.
Joint par Seneweb, l’édile a confirmé l’information, ajoutant qu’il n’excluait pas de saisir le procureur. ‘’Cela ne peut pas rester impuni’’, fulmine-t-il. Selon d’autres informations, il s’agit de Bacary Cissokho, un déficient mental errant âgé de 50 ans. L’autre victime répertoriée serait un ressortissant étranger.
Beaucoup de blessés par balle
On compte au moins 14 blessés. L’infirmier-chef de poste de Khossanto, Abdoul Camara, interrogé par l’APS, informe : ‘’Il y a 14 blessés graves (…) Certains ont été évacués au niveau de l’hôpital régional Amath Dansokho de Kédougou. D’autres sont pris en charge par le service médical de la société minière Endeavour Mining de Sabodala. Selon plusieurs témoins, beaucoup de blessés l’ont été par balle, tandis que des membres des forces de sécurité seraient également blessés par des pierres jetées par les manifestants. Des dizaines d'interpellations parmi les manifestants ont également été rapportées.’’ On parle de 37 personnes arrêtées par la gendarmerie à Khossanto.
Les populations, qui ont barré la route reliant Sabodala à Bembou, protestent contre la décision de modification et de remplacement de l’arrêté préfectoral n°0033/PD/SRY du 16 août portant création de commissions chargées de recrutement de la main-d’œuvre locale non qualifiée au niveau des communes du département de Saraya du 31 août 2023. Ainsi, les autorités administratives qui, jusque-là, jouaient le rôle de coordonnateurs au sein de ces commissions, les président dorénavant au détriment des chefs de village qui assuraient ce rôle.
Préfets et sous-préfets présidents des commissions à la place des chefs de village
Dans sa précédente version, la composition des commissions chargées de recrutement de la main-d'œuvre locale non qualifiée avait fait l’objet d’un consensus entre les sociétés minières et les populations. C’est pourquoi beaucoup d’habitants des communes concernées ont contesté sa modification par l’arrêté du préfet de Saraya, Antoine Cyprien Mballo.
Un qui avait vu venir est le maire de Khossanto. Dans une lettre officielle adressée le 1er septembre dernier au préfet, Mamady Cissokho a manifesté sa désapprobation ‘’à cet arrêté qui n'a fait l'objet d'aucune concertation préalable avec les parties prenantes à la base’’. L’édile poursuit : ‘’Monsieur le Préfet, il n'y a pas de vide d'autorité dans nos collectivités territoriales. Nos compétences ne doivent pas être éclipsées au profit de la toute-puissance administrative. Et d'ailleurs on réforme que quand un problème est signalé. Or, c'est votre arrêté qui créerait toutes les conditions idoines d'une instabilité communautaire.’’
Rappelant que la commission de recrutement de la main-d'œuvre non qualifiée ‘’est un acquis communautaire depuis l'arrêté n°033/PD/SRY du 16 août 2016’’, le maire de Khossanto précise que ‘’juridiquement, c'est une organisation communautaire. Or, toute organisation communautaire relève implicitement de la collectivité territoriale’’.
L’alerte du maire de Khossanto
Ne se sentant ‘’pas respectés’’, ni ‘’honoré’’ selon son rang, Mamady Cissokho a estimé ‘’qu’il n'y a pas à présent une loi qui contredit cet état de fait. Donc, votre arrêté est même celui qui a été modifié n'ont pas leur raison d'être. Il s'agit ici d'une assemblée communautaire territorialisée, donc pas sous la responsabilité de l'autorité administrative’’.
Il n’était pas le seul à sonner l’alerte. Le coordonnateur du Forum civil/Section sénégalaise de Transparency International, dans un tweet daté du 3 septembre 2023, écrivait : ‘’M. le Préfet de Saraya, votre arrêté portant création d'une commission chargée du recrutement de la main-d'œuvre non qualifiée peut être source d'instabilité. Il faut une large concertation. La surreprésentation de l'administration dans cette commission est préoccupante.’’
Hier, Birahime Seck a réagi aux violences enregistrées dans cette partie sud-est du Sénégal. ‘’M. le ministre de l’Intérieur, nous avions alerté sur la situation à Saraya, vous n'avez pas réagi. Il a fallu qu'il y ait mort d'hommes pour prendre un acte de retrait de l'arrêté, selon Seneweb. La vérité est que le préfet en place ne peut plus rester en poste à Saraya et une enquête doit être ouverte.’’
La société civile exige une enquête indépendante et des autopsies
Dans un communiqué de presse conjoint, la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH), la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme (Raddho), AfrikaJom Center et Amnesty International Sénégal ont fermement condamné ‘’la répression violente par la gendarmerie nationale d’une manifestation de la population de Khossanto’’. Tout comme Legs-Africa qui témoigne sa compassion ‘’à toute la population de Khossanto en ces douloureuses circonstances et interpelle les autorités locales et nationales en charge de la gouvernance minière et de la sécurité des populations sur leurs responsabilités concernant ces événements graves’’.
Ces organisations de la société civile demandent l’ouverture d’une enquête indépendante et impartiale pour faire la lumière sur les circonstances du décès des deux personnes lors des manifestations de Khossanto et de Mama Khono. ‘’Une autopsie doit être pratiquée sur les corps par un médecin légiste qualifié’’. Elles exhortent également les forces de défense et de sécurité à s’abstenir de tout usage excessif de la force contre les manifestants et recommandent aux autorités administratives de privilégier le dialogue et la concertation dans leurs rapports avec les citoyens.
Lamine Diouf