Le culte du travail
Le 20 février dernier, l’Association des jeunes avocats du Sénégal (AJAS) a porté à sa tête un nouveau président du nom d’Ousmane Thiam. Un produit du ‘’daara’’ entré à l’école française non dans le dessein de devenir avocat, mais uniquement pour bénéficier d’une subvention en lait. Mais l’amour des études lui a montré qu’on peut gagner plus que du lait et du Cérélac.
Me Ousmane Thiam, aujourd’hui la trentaine, ne s’imaginait pas qu’il porterait un jour la toge d’avocat, encore moins qu’il serait porté à la tête de l’Association des jeunes avocats du Sénégal (AJAS). A neuf ans, il n’était pas encore inscrit à l’école française, puisqu’il étudiait encore le Coran. Cependant, en voyant son frère revenir de l’école, presque tous les jours avec un sachet de lait et de Cérélac, le jeune talibé voulut connaître le même sort. ‘’J’ai dit à ma mère que j’allais à l’école parce que je voulais en bénéficier moi aussi’’, se remémore-t-il, tout en précisant que les études étaient de loin sa préoccupation. Seulement, son marabout ne voulut rien entendre, car, il ne tenait pas à perdre celui qui le remplaçait, en cas d’absence.
Pourtant, devant l’intransigeance du jeune Ousmane Thiam, le maître coranique dut accepter un compromis. Le futur élève ne viendrait au daara que les week-ends. Le premier jour de la rentrée de l’année scolaire 1984-1986, l’hôte de l’école Al Thiéry déchanta au bout de la journée. ‘’A midi, je n’avais reçu ni lait ni cérélac, alors que j’avais l’espoir d’en recevoir à 17 heures. Mais, je n’ai rien reçu en rentrant’’, confie Me Thiam. Déçu, sa colère fut plus grande lorsqu’il apprit que la subvention avait été supprimée. ‘’Plus de lait, donc, plus d’école’’, fut sa résolution. Mais, c’était sans compter avec la détermination de sa mère qui ne voulait pas anéantir tous les efforts qu’elle avait fournis pour l’arracher des mains de son marabout.
Outre le daara, le jeune élève devait parcourir quotidiennement 16 km pour aller à l’école. A cela, il devait allier le travail à la fonderie de son père jusqu’en classe de Terminale. ‘’C’est lorsque je faisais le Bac que mon père m’a demandé de me concentrer sur les études’’, précise-t-il. Un choix judicieux, puisqu’il décroche son diplôme haut la main. Le chemin pour l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar est balisé pour l’ex-élève du Lycée Malick Sall de Louga. Mais le destin s’en mêle. Une vilaine maladie le cloue au lit, pendant plusieurs mois. Heureusement que son désir de vivre l’a emporté sur la grande faucheuse. Le jeune Lougatois put enfin venir à Dakar.
Dans la capitale, le jeune ndiambour-ndiambour est émerveillé par le flux de véhicules. ‘’Pendant les premiers mois, je passais des heures aux allées Cheikh Ahmadou Bamba pour regarder uniquement les voitures défiler’’, confie d’un ton ironique l’avocat qui pourtant rêver de devenir professeur de géographie. ‘’Mon professeur m’avait fasciné et je voulais devenir comme lui, mais au bout de trois mois, j’ai quitté la Faculté des lettres au profit de la faculté de Droit, car il n’y avait pas de pression’’, justifie-t-il son revirement. D’ailleurs, ce n’est pas le seul revirement de ce père de famille féru de ‘’ Thiébou djeun’’.
En fait, si son rêve était de travailler dans les grandes sociétés maritimes, grâce à son Diplôme d’études supérieures spécialisées en droit maritime, son formateur et employeur d’alors, l’actuel Bâtonnier Me Ameth Bâ, voyait déjà en lui un avocat. Mais le maîtrisard en droit des affaires, attiré par la magistrature, tente les concours de l’ENA et du Barreau en 2006. Il ne réussit à aucun des deux. C’est l’année suivante, qu’il réussit au concours d’entrée au barreau, surtout qu’il craint de se retrouver au chômage.
‘’En faisant le concours, Me Bâ m’avait dit : soit tu réussis soit tu perds ton emploi’’, se rappelle Me Thiam dont la première plaidoirie n’a duré que deux minutes, à cause du trac. Heureusement que ce jour-là, il y avait deux de ses camarades de promotion dans la composition qui l’encourageaient du regard. ‘’En les regardant, les mots ont pu sortir. Sinon, c’est la plaidoirie la plus expresse que j’ai jamais faite’’, soutient la robe qui aujourd’hui n’a pas à avoir peur de la barre. Même s’il se démarque par sa nonchalance, ses confrères le qualifient de ‘’brillant’’, malgré son caractère impulsif.
Plébiscité à la tête de l’AJAS, son principal combat avec ses confrères du bureau portera surtout sur les longues détentions préventives, mais également sur les conditions de travail des jeunes avocats.
FATOU SY