Ah ! Et si imam Biram était là...
Vous souvenez-vous du défunt artiste comédien Abou Camara, celui qui tint le merveilleux rôle de l'imam Biram, dans le film ‘’Guelewaar’’ dont je vous ai parlé il y a quelques semaines ? Sa sagesse et son érudition avaient permis de s'opposer aux irréductibles villageois qui ne voulaient pas accepter l'exhumation du cadavre de Pierre Henri Thioune alias Guelewaar, catholique et activiste, victime d'une confusion de corps avec un musulman à la morgue. Un vigoureux coup de bâton de l'imam asséné à un écervelé mit fin aux ardeurs des plus déterminés.
L'imam Biram alla même jusqu'à sortir de sa bouche de très gros mots qui ne manquèrent pas d'interloquer un des témoins de la scène : "Ah ! Imam saga na" (Imam a injurié). Il avait toute raison, ce jour-là, d'être exaspéré par ses disciples dont l'intolérance et l'obscurantisme ne se justifiaient point. Eux s'opposaient au déterrement d'un cadavre, fût-il de religion différente, et à qui ses proches voulaient offrir tout légitimement un office funéraire conforme à sa croyance religieuse.
D'autres, plus incompréhensibles encore, voulaient s'opposer, cette semaine, à un enterrement sous le prétexte que le mort a succombé au coronavirus. Incroyable ! Que la bêtise humaine peut mener loin. Les histoires relatées par la presse dans les localités de Malika et Diamaguène ne méritent pas simplement d'être rapportés comme des faits d'armes d'une population déterminée à défendre son territoire, mais bien comme les méfaits d'ignorants et d'intolérants qui doivent être jetés à l'opprobre.
Cette vindicte populaire est d'autant plus inacceptable que des concitoyens se sont battus de toutes leurs forces pour faire reconnaître aux Sénégalais décédés à l'étranger du coronavirus le droit d'être enterrés dans leur pays natal. Jusqu'à finir par faire plier l'Etat.
Ni la religion ni les règles de bienséance ou tout simplement de bon sens ne peuvent justifier une chasse aux cadavres de victimes du coronavirus. Mourir de Covid-19 est-il plus honteux que décéder du paludisme, d'hypertension artérielle ou du cancer ? Ceux qui pourchassent les équipes en charge de l'enterrement connaissent-ils leur propre sérologie et jetteront-ils les corps de leurs propres parents, le jour où ils mourront du coronavirus ? C'est à croire que dans ces localités, il n'y a eu personne de la dimension de l'imam Biram pour raisonner la foule sans conscience, au comportement si vilain. Imam Biram leur aurait dit, sans doute, comme dans le film : "Koulou nafsin da iqatu mawti..." (Toute âme goûtera à la mort...). Et puis, si cela est encore utile à la cause, depuis quand un cadavre correctement enterré pose-t-il un quelconque problème aux riverains ? Si tel était le cas, personne ne survivrait aux alentours du cimetière de Yoff où reposent des défunts décédés pour diverses raisons, y compris de maladies contagieuses.
La réaction de la presse n'a pas été à la hauteur des méfaits des populations de Malika et Diamaguène. Les Unes (jeudi 28/05) de "l'As" (Diamaguène saccage les ambulances des pompiers et de la Croix-Rouge) et de "la Tribune" (Les populations empêchent un enterrement Covid-19) sont, d'une part, les rares à être consacrées à cette abomination tout en étant, d'autre part, assez factuelles pour ne pas dire neutres. "L'Obs" avait tout de même, dès la première forfaiture, traité cet incident d'"effarant" dans son édition de mercredi. "Il faut éclairer l'ignorance qui ne connaît pas et la pauvreté qui n'a pas les moyens de connaître", disait Henri Grégoire, Evêque et homme politique français. Un imam Biram français, aurait-on pu dire...
Face à certains dangers, la banalisation des faits ou l'indifférence de la presse est tout aussi coupable que les pratiques condamnables. A l'Etat, de qui est attendue la plus grande fermeté, comme aux leaders d'opinion locaux aussi, de ne pas laisser prospérer de telles inconduites chez les populations victimes de leur ignorance. Un comportement bête et méchant !