Les experts mitigés sur la question
Malgré une présence massive des forces de défense et de sécurité, l’audience d’hier s’est déroulée sans anicroche. Il était sans enjeu pour les parties qui s’attendaient à son renvoi.
Une journée bien tranquille. Malgré le dispositif sécuritaire important déployé un peu partout dans les artères de la capitale, hier, il n’y a eu ni manifestations ni confrontations, encore moins de grabuges. D’habitude très nombreux au palais de Justice de Dakar lors des convocations de leur leader, les militants étaient peu nombreux. À 9 h 3 mn, sans grande surprise, Hamady Diouf fait son entrée majestueuse dans la salle 6 du tribunal. Tout le monde se lève. L’ancien chef du parquet au niveau du tribunal de grande instance hors classe de Dakar s’assoit, visiblement ravi de retrouver le siège et donne le signal. ‘’L’audience est ouverte’’, tonne-t-il pour inviter le public à regagner les places.
Quelques instants plus tard, alors que le président de la première chambre correctionnelle évacuait les dossiers ordinaires les uns après les autres, quelques avocats de l’opposant radical Ousmane Sonko font leur entrée remarquée dans l’enceinte du tribunal. Sans leur client. Pendant ce temps, le président semblait imperturbable dans la lecture des différents dossiers. Arrivé au dossier que toute la salle semble attendre, le dossier Mame Mbaye Niang contre Ousmane Sonko, il déclare, laconique : ‘’Renvoi au 8 mai 2023.’’ Comme s’ils s’attendaient à une telle annonce, les avocats se retirent avec une bonne partie de la salle, pour aller faire le débrief dehors.
Pour leur part, les avocats de Sonko, à l’unisson, vont catégoriquement refuser de se prononcer sur cette affaire. Comme s’ils avaient reçu instruction dans ce sens. ‘’Je ne parlerai pas de l’affaire Ousmane Sonko. Je ne parlerai que de l’affaire des députés du Pur, tient à préciser et à répéter le jeune avocat Abdy Nar Ndiaye aux journalistes’’.
Dernièrement, lors d’une conférence de presse, ils avaient vigoureusement dénoncé la précipitation dans l’enrôlement de ce dossier. Pour eux, le fait que ce procès soit fixé avant même l’expiration du délai d’un mois pour faire appel, constitue une tentative de rendre inéligible leur client. Ils estiment que l’objectif de ce nouveau procès serait d’aggraver la peine de deux mois avec sursis.
Du côté de la partie civile, on ne se fait pas prier pour commenter la décision de renvoyer l’affaire prise par le juge. Un renvoi accueilli sans surprise par Maître El Hadj Diouf. ‘’Pour une affaire qui arrive pour la première fois, c’est rare de voir le juge statuer dès le même jour. Vous avez vu qu’en première instance, il y a eu plusieurs renvois. Vous ne devez donc pas être surpris ; c’est tout à fait normal. Sur les raisons, il faut demander au juge qui a renvoyé d’office avec son impérium. C’est son droit le plus absolu. Il a le droit de renvoyer sans avoir à s’expliquer. Pour ma part, c’est pour permettre à toutes les parties de bien se préparer dans les meilleures conditions’’, soutient Me Diouf.
Contrairement à son adversaire qui a préféré ne pas se pointer au tribunal, Mame Mbaye Niang, lui, s’est présenté très tôt le matin, avec à ses côtés son épouse qui l’accompagne depuis le premier jour. Suite à la décision rendue en première instance par le tribunal de grande instance hors classe de Dakar condamnant M. Sonko à une peine de deux mois avec sursis et au paiement d’un montant de 200 millions F CFA au titre des dommages et intérêts, le ministre avait interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions. Il en fut de même du procureur qui lui aussi n’avait pas été satisfait par la décision.
Pour rappel, la partie civile avait réclamé 29 milliards au titre des dommages et intérêts. Mais selon nombre d’observateurs, ce que veulent Mame Mbaye Niang et le ministère public, ce n’est ni plus ni moins que le président de Pastef/Les patriotes soit condamnés à une peine lui privant le droit de participer à la Présidentielle de 2024.
Étaient présents au palais de Justice, la plupart des leaders de la coalition Yewwi Askan Wi, dont Khalifa Ababacar Sall, Malick Gakou, Déthié Fall, etc., ainsi que les parlementaires de la même coalition.
BIRAME SOULEYE DIOP (PRÉSIDENT GROUPE PARLEMENTAIRE YEWWI ASKAN WI Venu assister ses collègues les députés Massata Samb et Mamadou Niang, ainsi que le leader du parti Pastef Ousmane Sonko qui devait faire face aux juges de la Cour d’appel, le président du groupe parlement Yewwi Askan Wi, Birame Souleye Diop, a dénoncé une tentative d’intimidation initiée par le pouvoir. ‘’Les députés de la coalition sont venus comme l’ensemble des militants et des sympathisants pour assister aujourd’hui à ce qui devait être des procès en appel. La cour a la possibilité de décider d’un report sans donner de motivation. C’est ce qui a été constaté et nous n’avons pas de commentaire à faire là-dessus. On donne rendez-vous aux dates qui ont été arrêtées pour les prochaines audiences. Ce que nous avons à dire est que notre conviction est profonde et établie. Ce procès, c’est pour interdire à Ousmane Sonko d’être candidat en 2024, mais il sera candidat. On ne pourra pas l’en empêcher. Nous restons mobilisés et déterminés, parce qu’aujourd’hui, on ne peut pas accepter qu’une partie de la justice soit le premier filtre au parrainage pour choisir qui sera candidat ou qui ne le sera pas. C’est dans la même situation que se trouvent les députés du Pur. Ils sont capables de perdre leur mandat, si la peine est confirmée. Dans toutes les démocraties du monde, les gens se chamaillent à l’Assemblée nationale. On ne peut pas accepter que le pouvoir règle les contentieux du pouvoir Législatif. L’Assemblée a toutes les entrailles pour régler ces contentieux. L’Assemblée a décidé de faire un réquisitoire contre les députés et c’est ce qui s’est passé aujourd’hui’’, a dit M. Diop. |
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NON-RESPECT DU DÉLAI D’APPEL
Les experts mitigés sur la question
Depuis l’annonce de cette audience en appel, les soutiens et défenseurs d’Ousmane Sonko étaient dans tous leurs états, soutenant qu’en fait, la cour a violé les droits de l’opposant politique, en enrôlant l’affaire alors même que le délai qui leur était imparti pour interjeter appel n’a pas expiré.
Selon la partie civile, la défense danse plus vite que la musique. ‘’Mame Mbaye Niang et le ministère public ayant interjeté appel, le rapport du procureur déposé, le dossier transmis à la Cour d’appel, les conditions sont réunies pour l’enrôlement. Mais l’enrôlement ne signifie pas le jugement. Les gens sont allés très vite en besogne pour dire qu’on n’a pas attendu l’expiration des délais d’appel’’. Pour elle, jusque-là, le tribunal respecte les droits de toutes les parties. ‘’Ce renvoi consacre le respect des droits de toutes les parties. C’est pourquoi le président de la juridiction d’appel a renvoyé à cette date pour que nul n’en ignore et que le peuple sache que seul le droit sera dit dans cette affaire. Nous ne faisons pas de la politique’’.
Embouchant la même trompette, le juriste-interne, doctorant en droit privé, Amadou Khomeiny Camara, estime qu’il n’y a pas de violation particulière de la procédure, ni des droits de la défense. ‘’Ce sont des questions pratiques que l’on rencontre au tribunal. Puisque l’affaire suite à l’appel du ministère public et de Mame Mbaye Niang a été enrôlée, alors que le délai d’appel n’a pas expiré, Ousmane Sonko a le choix entre deux options. Soit il se joint à la procédure intentée par Mame Mbaye et le ministère public en faisant ce que l’on appelle un appel incident. Soit il peut faire un appel à part. Et dans ce cas, les juges vont naturellement faire la jonction entre les deux procédures. À mon avis, il n’y a aucune violation ; ce sont juste des débats de théoriciens’’.
Cet avis n’est pas partagé par tous les praticiens. D’après ce spécialiste contacté par ‘’EnQuête’’, il y a véritablement problème en enrôlant l’affaire avant même l’écoulement des délais d’appel. ‘’Il faut savoir que l’appel est un droit de recours ouvert aux parties dans des conditions et des délais rigoureusement réglementées par la loi. Il est incompréhensible que l’enrôlement puisse être effectué sans l’expiration des délais d’appel’’, souligne le praticien.
Si Ousmane Sonko ne fait pas appel, il ne peut prétendre à une baisse des 200 millions F CFA
Sur les conséquences possibles de ce concert de recours, Khomeiny Camara renseigne que plusieurs issues sont possibles. D’abord, soutient-il, il y a ce qu’on appelle l’effet définitif de l’appel. ‘’Cela veut dire que lorsque le juge de première instance rend sa décision et qu’il y a un appel, la Cour d’appel hérite de l’affaire. Mais l’effet définitif de l’appel est encadré. D’abord, on dit que la Cour d’appel ne peut hériter que de ce qui a été jugé en première instance. Raison pour laquelle, devant la Cour d’appel, on n’accepte pas ce qu’on appelle les demandes nouvelles. La deuxième limite, c’est que le juge d’appel ne peut statuer que ce sur quoi porte l’appel’’.
Par exemple, détaille le spécialiste, ‘’si c’est le ministère public qui a fait appel – naturellement il ne peut faire appel que sur l’action publique - dans ce cas, la Cour d’appel ne pourrait statuer que sur l’action publique et sur l’appel formulé par le ministère public. À ce niveau, il est possible de corser ou de diminuer la peine. Dans le cas où la partie civile interjette appel pour réclamer un dédommagement plus important, le juge d’appel ne statuera que sur sa demande ; il ne peut pas prononcer un montant en deçà du montant alloué en première instance. Ce qui peut nous amener à croire que la défense va naturellement faire appel dans cette affaire et elle a encore le temps de le faire à travers les deux options sus-indiquées’’.
MAGUETTE NDAO ET MOR AMAR