Tombon Soly sur les traces de Birago Diop
Ecrivain, Tombon Soly s’engage dans la voie du conte qui est, de plus en plus, le parent pauvre de la littérature africaine, sénégalaise.
‘’Ikbana, la fille de l’eau’’, signé Tombon Soly, peut être considéré comme un ouvrage confirmation. D’après le critique littéraire Ababacar Sadikh Top, il porte principalement un fait encore observé dans certaines zones, surtout en Afrique. ‘’Ce livre très actuel, dit-il, est un conte qui relève de la pure imagination de l'auteur. En effet, le sujet principal est le sacrifice d'être humain. Ces pratiques humaines très anciennes qui existent encore dans certaines contrées sont mises à nu par l’auteur’’.
Le livre retrace la fabuleuse histoire d’Ikbana, native de Hinadou. Son péché, c’est d’être une jeune fille très belle. Sa peine est ainsi la mort. En effet, dans cette localité, les ancêtres ont signé un pacte avec le diable ; lequel veut que chaque décade, la plus belle fille du village soit donnée en offrande au génie protecteur qui assure le bonheur des populations. Mais cette année-là, l’élue du génie se trouve être ‘’exceptionnelle’’. Elle s’appelle Ikbana. Elle est la chouchoute des habitants du village.
Les jeunes s’érigent alors en boucliers et décident de s’opposer farouchement à la volonté du sorcier. Les vieux, eux, refusent d’abandonner ces pratiques que leur ont transmises leurs aïeux. Le clash sonne ainsi comme inéluctable. ‘’… Dès ce jour, nous emprunterons une voie qui n’est point celle de nos grands-parents et parents. Ce vent de désobéissance que vous venez de souffler soufflera dans le monde entier. Partout, les femmes se dresseront devant leurs maris et se comporteront comme leurs égales. Ce sera le désordre social partout’’, dit le vieux Tounka devant l’assistance, avant d’ajouter qu’à partir de ce moment, ‘’’l’époux n’aura plus de pouvoir sur l’épouse, le père sur son enfant. Nos traditions et nos valeurs s’évaporeront comme un liquide sur du feu. Nous ne serons alors que des puits sans eau’’. Puis, il souleva la tête, la baissa, balada à nouveau son regard sur la foule et s’interrogea : ‘’Que nous restera-t-il alors ? Vers quel monde acheminerons-nous ?’’. Puis, il s’appuie sur sa canne et, accompagné des autres sages, se dirigea lentement vers sa case.
On le voit. Le vieux a une peur existentielle. Où leur mènera cette révolte des progressistes ? Mais la jeune génération, elle, ne semblait pas avoir la même lecture des évènements. Elle est plus que jamais déterminée à se départir de ces vieilles considérations qu’elle considère un peu comme archaïques. Et c’est ainsi le début de la fin, le conflit de génération, qui oppose les sages, traditionnalistes et conservateurs, d’une part, et, d’autre part, les jeunes progressistes et modernistes. Les premiers veulent que les us soient perpétués, les seconds rompre avec les amarres d'une culture jugée négative.
Au demeurant, il faut noter que si, aujourd’hui, l’éradication de cette thématique centrale, le sacrifice d’êtres humains, est un extrême qui fait l’humanité, le conte est aussi l’occasion de toucher à d’autres sujets dont l’éradication rencontre beaucoup de résistance. Il en est ainsi, par exemple, des pratiques telles que l’excision, le contrôle des naissances, la médecine traditionnelle... Tant de sujets qui opposent et divisent conservateurs et progressistes dans le continent africain.
Dans la préface, Mamadou Lamine Diouf s’interroge : ‘’De quels aspects de nos traditions sommes-nous prêts à nous départir pour enclencher la marche inéluctable vers le progrès ?’’ Voilà le genre de questionnements auquel nous invite Tombon Soly. Le préfacier met en garde : ‘’Cette course folle vers plus de liberté, de progrès, qui semble inéluctable, ne met-elle pas l’humanité en danger ? On a pu observer les conséquences fâcheuses dans les sociétés dites avancées, avec la désacralisation de certaines normes telles que le mariage, la religion, les rites traditionnels, etc. Ces conséquences ont pour noms : manque de repères, anarchies, individualismes, fragilités individuelles et collectives…’’ ‘’L’être humain livré à lui-même, dans une liberté totale, ne court-il pas vers sa perte ?’’.
Le mérite de l’auteur, persiste le critique, c’est, outre de tenir en haleine son lecteur du début à la fin, mais également de revisiter ce genre qui a tendance à disparaitre des librairies et maisons d’éditions. M. Soly fait partie de ceux qui font revivre ce genre. Il est à son deuxième livre de conte, après "Autour du feu de nuit". Comme son titre le laisse penser, en Afrique, autour du feu, la nuit, c’est un moment de regroupement, d’échanges, de rappel des valeurs, le tout à travers des contes que le grand-père raconte à ses petits-enfants. Dans ce livre, l'auteur revient sur l'importance de la fidélité, de la sincérité, de l'amitié et des liens familiaux.
Mor AMAR