‘’Cette série a le mérite de faire bouger les lignes’’
Journaliste culturelle, bloggeuse et critique de cinéma, Oumy Regina Sambou a atterri sur le plateau de la série à succès ‘’Maitresse d’un homme marié’’. Son rôle de femme célibataire, exigeante, voulant le meilleur pour sa sœur Dalanda, a fait jaser. ‘’EnQuête’’ a voulu mieux connaitre l’actrice qui, dans cet entretien, invite le public à en tirer des leçons de vie.
Comment avez-vous vécu cette deuxième saison de ‘’MDHM’’ ?
Pour moi, ce fut une très belle expérience. J’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises, d’aller sur un plateau de tournage, surtout quand il s’agit de cinéma. Mais, à chaque fois, je n’ai pas pu avoir le temps de me lancer. Cette fois-ci, c’est le cas avec ‘’Maitresse d’un homme marié’’. Tout est parti d’un délire, d’une boutade et je me suis retrouvée sur un plateau à devoir jouer un rôle.
En fait, je regardais la saison 2 et Tahirou m’énervait tout le temps. J’ai commencé à dire à Kalista, qui est une amie, qu’il fallait que je vienne jouer. Et je n’arrêtais pas de le dire sans vraiment me prendre au sérieux. Je ne savais pas que Kalista allait me prendre au sérieux et un beau jour, elle m’envoie un e-mail et me dit : ‘’Tu tournes demain.’’ J’étais surprise, mais en même temps je me suis dit : je lui fais confiance, je sais que nous avons les mêmes critères, nous avons le même niveau d’exigence. On se côtoie professionnellement depuis 2009. Donc, il y a une relation de confiance qui s’est établie. Je me suis dit que si elle croit que je peux le faire, donc je n’ai pas de raison de douter. Et c’est comme ça que je me suis retrouvée sur le plateau, en pleine épidémie de coronavirus avec le couvre-feu et autres contraintes.
Justement, quelle a été l’ambiance, dans un contexte de crise sanitaire ?
Vous pouvez imaginer dans quelles conditions le tournage se passait. L’équipe était restreinte, pour respecter les consignes sanitaires, les mesures barrières, parce qu’il y avait même des distributions de masques. Quand on arrivait, il fallait faire très attention lors du maquillage, tout le monde devait avoir son masque, le gel. Cela n’a pas du tout était facile et pour moi, c’est cela l’une des plus grandes choses qui m’ont marquée dans ce tournage, parce qu’à aucun moment dans la série, on ne parle de coronavirus. Et cela, je pense, c’est un choix, dans la mesure où la série, quand même, est intemporelle et il ne fallait pas aussi que cette pandémie apparaisse trop pour ne pas stresser les gens. C’est peut-être également ce qui fait que les gens oublient qu’à cause de la pandémie, il y a beaucoup de choses qui ont dû être changées parce qu’il y a une différence entre ce qui était prévu sur le programme et ce qui a été effectivement fait. Tout le tournage s’est déroulé à Dakar.
Or, on a bien vu que dans la première saison, les gens bougeaient beaucoup. Dans la deuxième, personne n’a pu bouger. On était donc obligé de faire preuve d’une certaine ingéniosité pour trouver les locaux et parfois en raison de la maladie, les lieux où on devait tourner étaient fermés. Parfois, il a fallu négocier. Aussi, il y a beaucoup de scènes où il devait y avoir énormément de figurants, mais cela n’a pu être possible. C’est le cas de la scène du baptême où, si c’était en temps normal, il y aurait une fête plus grande que ça, avec un bon nombre de figurants. Imaginez, même les funérailles de Bakary Sagna, qui allaient être un grand événement en temps normal, mais à cause du coronavirus ça n’a pas été le cas. J’ai assisté à la réalisation d’une série et je ne perds pas de vue qu’un plateau de tournage, habituellement, ne doit pas être comme ça. C’est beaucoup plus animé d’habitude, et pour moi c’est une grosse prouesse ce qu’ils ont réussi à faire.
Mais le public n’a pas été informé de toutes ces contraintes…
Je pense que la production a choisi de se taire sur cet aspect. On a continué à tourner pour vraiment montrer une vie normale, histoire de ne pas tomber dans le stress ambiant.
Votre rôle a essuyé pas mal de critiques. Parfois, des paroles assez dures, des insultes. Comment avez-vous géré tout cela ?
Personnellement, cela m’a tellement fait rire. En fait, ce que je dis, c’est que, si ce n’était pas à cause de mes amies, ma famille, mes proches qui m’appellent tout le temps pour me dire de ne pas réagir, j’allais mener le débat (rires). Mais vraiment, j’ai adoré le rôle. Je me suis amusée, parce que dans la vraie vie, j’aurais pu avoir ce rôle (rires). La fille qu’on voit fait focus sur ses objectifs. On lui a parlé de divorce, elle n’a même pas cherché à faire la médiation. Ce n’est pas son problème. Après, au fur et à mesure des choses, le personnage évolue et c’est cela aussi le travail avec Kalista. On ne sait jamais, à l’avance, comment le personnage évolue. On reçoit toujours les documents à la veille du tournage.
Donc Regina, on voit que c’est une personne qui a un bon fond et qui considère que sa nièce (parce que c’est la tante de Dalanda dans la série) méritait plus qu’un homme comme Tahirou et la suite lui a finalement donné raison. Quand on vous critique, c’est parce que vous faites les choses pour autrui et vous les faites bien. Lorsque vous ne faites rien de bon, personne n’en parle, personne ne vous calcule. Mais quand vous en arrivez à vous faire détester à cause d’un rôle, c’est que vous jouez bien. J’ai reçu des messages d’amis me disant ‘’Je t’assure que si je ne te connaissais pas avant la série, j’allais te détester naturellement’’ (rires). Il y a ma grande sœur et ses amies qui me disent que parfois elles ont juste envie de me donner une claque quand elles suivent la série. Même dans la rue, c’était assez amusant aussi avec les réactions des gens qui viennent discuter, échanger et me demander pourquoi je tiens tant à les faire divorcer. C’était vraiment une belle expérience pour moi.
Tout comme la première saison, ‘’MDHM’’ a réussi à scotcher le public avec la saison 2. Comment expliquer un tel succès ?
C’est dans la droite ligne du retentissement de la première saison. Cette série a le mérite de faire bouger les lignes, de mettre sur la place publique des sujets quasi-tabous, ce dont on ne parle pas trop dans notre société sénégalaise actuelle. On vit dans un pays où la polygamie est légalisée et donc les gens se disent que même si vous signez monogamie, cela ne vous engage à rien. Tout en sachant aussi que personne ne va laisser une femme ester en justice contre son mari pour bigamie. Ce dont les hommes ne se privent pas. Ils se marient sans même que le divorce ne soit prononcé. Mais qu’une femme le fasse, c’est une totale aberration. Comme je dis souvent, ‘’Maitresse d’un homme marié’’ a le mérite de montrer les humains tels qu’ils sont. Au Sénégal, dans les productions audiovisuelles, on a tendance à blâmer les femmes. On voit toujours un bon samaritain qui lui montre la voie de la rédemption, alors que ‘’Maitresse d’un homme marié’’ vient mettre tout le monde dans un même paquet. Si la société est dégoutante, on est tous responsable et c’est un message qui a du mal à passer. Moi, je ris quand je vois des gens qui disent que ‘’MDHM’’ est une série qui diabolisent les hommes. Mais dans cette série, on oublie aussi que les femmes sont cash. Quand elles veulent quelque chose, elles se battent pour l’avoir coûte que coûte. Elles ne calculent même pas les impacts que cela peut avoir sur la vie des gens. Vous prenez tous les personnages, ils sont tous comme ça. Cela traduit cette forme d’égoïsme dans notre société qu’on a tendance à ériger en règle. Ce serait bien que chacun se mette dans la peau d’un des personnages et voit réellement l’impact des faits et gestes qu’il pose.
Ce retentissement est aussi africain…
Tout à fait. Je ne me souviens pas d’une série sénégalaise qui a eu autant de succès. On se souvient de ‘’Tundu wundu’’ d’Abdoulahad Wone qui avait été primé au Fespaco, qui a eu un succès sur le plan international. Mais le réalisateur me disait un jour que certes il en était fier, mais ‘’Tundu wundu’’, en ayant un succès international, a perdu son public local. Ce qui n’a pas été le cas de ‘’Maitresse d’un homme marié’’. La série a gardé son public local et a su fédérer un public international, parce que la problématique que Kalista a choisie est transversale, elle interpelle toutes les femmes, peu importe le pays. La principale histoire est celle de la polygamie qui est un débat dans plusieurs pays. En Côte d’Ivoire, on parle de la légaliser ou non.
On voit que la plupart des autorités sont polygames, mais ce n’est pas légal. En Guinée également, les gens sont confrontés à ce genre de problème. Et là, la série parle de la polygamie, mais elle n’est pas dans le jugement, c’est ce que les gens ne comprennent pas toujours en faisant un procès à Kalista, alors qu’elle n’en fait pas. Elle parle de choses qui la passionnent, des choses qu’elle a vues, connues et elle en a fait un film. Maintenant, à chacun d’en prendre et d’en laisser, de choisir ce qui lui parle, ce qui peut lui servir de viaduc afin d’éviter de commettre les mêmes erreurs que certains personnages.
EMMANUELLA MARAME FAYE