Publié le 18 Nov 2023 - 18:20
OUSMANE SONKO VS ÉTAT DU SÉNÉGAL

Double déconvenue pour le leader de Pastef 

 

La Cour de justice de la CEDEAO et la Cour suprême, qui devaient délibérer sur la radiation de l’opposant des listes électorales, n’ont pas rendu de décision favorable à la participation d’Ousmane Sonko à la Présidentielle de 2024.

 

Elle était annoncée tendue, la journée d’hier n’a pas déçu. Elle a même joué avec les nerfs de beaucoup de Sénégalais préoccupés par la liste des candidats officiels à l’élection présidentielle du 25 février 2024. La participation du principal opposant au régime se jouait entre Dakar (Cour suprême) et la capitale nigériane Abuja (Cour de justice de la CEDEAO). Sur les deux fronts, la demande de réintroduction d’Ousmane Sonko sur les listes électorales a été évitée par les instances judiciaires. Un moyen de quasiment acter la non-participation du leader de l’ex-Pastef à l’élection présidentielle.

C’est à Abuja que le ton a été donné. Le délibéré de la Cour de justice de la CEDEAO annoncé à 9 h a pris deux heures de retard, alors que l’audience de la Cour suprême avait débuté. Mais la décision du juge Gberi-Be Ouattara et ses assesseurs Dupe Atoki et Ricardo Claudio Monteiro Gonçalves s’est faite entendre jusqu’à l’audience de la Cour suprême.

La Cour de justice de la CEDEAO estime qu’aucun droit d’Ousmane Sonko n’a été violé

Maitre Ciré Clédor Ly, membre du collectif des avocats d’Ousmane Sonko, informait que la juridiction sous-régionale a débouté le maire de Ziguinchor sur sa saisine pour constater la violation, par l’État du Sénégal, de ses droits de l’homme, de son droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, de voter et d’avoir le suffrage des électeurs sénégalais, de même que le caractère manifestement arbitraire de la dissolution du Pastef par l’État du Sénégal.

La Cour de justice de la CEDEAO a jugé qu’aucun des droits d’Ousmane Sonko n’avait été violé, révoquant de fait les demandes de ses avocats. Elle a, ensuite, refusé de se prononcer sur deux autres requêtes : la dissolution du parti Pastef et la radiation de Sonko des listes électorales dont les avocats demandaient la suspension.

Ainsi, le dernier espoir d’Ousmane Sonko résidait dans la Cour suprême où le président Ciré Aly Ba devait statuer sur le recours en cassation de l’agent judiciaire de l’État (AJE) contre l’ordonnance n°1 du 12 octobre 2023 du tribunal d’instance de Ziguinchor pour la réinscription d’Ousmane Sonko sur les listes électorales.

Le président de la Cour suprême a annulé la décision du juge Sabassy Faye, du fait que ‘’le juge de Ziguinchor n’a pas justifié sa décision sur la signification de la décision’’, informe Me Ciré Clédor Ly.

La Cour suprême casse la décision de Ziguinchor et renvoie vers un nouveau procès

Dans la même décision, le président Ciré Aly Ba a déclaré l’AJE compétent pour représenter l’État dans un contentieux électoral, avant de le débouter sur l’incompétence du tribunal d’instance de Ziguinchor soulevée par l’avocat de l’État pour juger le contentieux sur le territoire de vote du maire de Ziguinchor.

En cassant la décision du juge Sabassy Faye, le président de la Cour suprême a renvoyé l’affaire pour être rejugée devant le tribunal de grande instance hors classe de Dakar.

Dans sa décision, la Cour suprême n’a pas suivi le réquisitoire du procureur. Si l'avocat général a reconnu la qualité à agir de l'AJE, Ousmane Diagne rejette les trois moyens soulevés par l'État du Sénégal sur l'incompétence du président du tribunal d’instance de Ziguinchor, sur la forclusion du recours des avocats d’Ousmane Sonko pour dépôt tardif et sur l’état de contumace d’un homme actuellement en prison. Sur plusieurs incohérences soulevées par le procureur, il a demandé au juge de rejeter cette requête de l’État du Sénégal et de la déclarer comme non fondée.  

Toutefois, la décision de la Cour suprême revêt un caractère inédit et propose un nouveau rebondissement dans le feuilleton juridique qui oppose l’État du Sénégal et Ousmane Sonko depuis plusieurs mois.

Membre de l’ex-Pastef, Amadou Ba souligne un caractère ‘’jamais vu’’ de la décision du juge Ciré Aly Ba. Selon lui, il est ‘'impossible de renvoyer devant une autre juridiction. On n'est ni en matière civile ni en matière criminelle. Le renvoi vers une autre juridiction n'est ni prévu par le Code électoral ni par la loi organique. Je rappelle qu'on est en matière administrative et en recours de plein contentieux’’.

Juan Branco : ‘’Le seul moyen pour la Cour suprême de protéger le pouvoir sans violer explicitement le droit.’’

Mais la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême abrogeant et remplaçant la loi organique du 8 août 2008 explique les conditions de renvoi d’une affaire en jugement.

Selon les alinéas 1, 2 et 3 de l’article 53 de ladite loi, ‘’après avoir cassé les arrêts ou jugements, la Cour suprême renvoie le fond - des affaires aux juridictions qui doivent en connaître. Si la Cour suprême admet le pourvoi formé pour incompétence, elle renvoie l'affaire devant la juridiction compétente. Si la cassation est prononcée, pour violation de la loi ou de la coutume, elle indique les dispositions qui ont été violées et renvoie l'affaire devant une autre juridiction du même ordre’’.

Avocat français d’Ousmane Sonko, Juan Branco, qui a suivi l’audience de loin, après s’être ravisé d’assister à l’audience, a souligné une subtilité de la décision de la Cour suprême. ‘’Opérer un renversement jurisprudentiel sur la compétence territoriale était le seul moyen pour la Cour suprême de protéger le pouvoir sans violer explicitement le droit écrit. L'autorité judiciaire est jalouse de ses prérogatives, de sa capacité à faire autorité, mais sait également l'importance de complaire au pouvoir’’, réagit-il au verdict.

Des délais trop courts pour vider l’affaire avant la date de dépôt des candidatures

Le recours contre la radiation d’Ousmane Sonko sur les listes électorales qui doit être rejugé par le tribunal d'instance hors classe de Dakar, c’est tout ce qui s’est passé depuis l’audience de Ziguinchor du 12 octobre 2023 qui pourrait être reprise.

Selon l’expert électoral Ndiaga Sylla, ‘’le délai de 10 jours prévu par l'article R43 s'applique à compter de la transmission de l'arrêt de la Cour suprême par le greffier de ladite cour. C'est dans ce délai que le président du tribunal d'instance hors classe devra entendre les deux parties et rendre sa décision’’.

Comme avec l’AJE, un autre recours en cassation devant la Cour suprême pourrait être introduit après la décision du tribunal d'instance hors classe de Dakar dans le respect des délais prévus par le Code électoral. Et en conséquence, le dossier pourrait ne pas être définitivement vidé jusqu'au dépôt des candidatures fixé à partir du 11 décembre 2023.

Selon Amadou Ba, ‘’c'est ce ping-pong judiciaire en matière électorale et ses délais de rigueur que le Code électoral voulait éviter en demandant au tribunal d'instance de statuer par ordonnance et en dernier ressort’’.

Ndiaga Sylla, expert électoral : ‘’Pourquoi la Cour suprême a voulu repêcher l'État, alors qu'il est question ici de protéger un droit fondamental du citoyen ?’’

Si le non-retrait des fiches de parrainage n’est pas en soi éliminatoire pour la candidature d’Ousmane Sonko à la Présidentielle (il peut bénéficier d’un parrainage optionnel par des députés de Pastef), l’enjeu de cette procédure se situe sur sa réinscription sur les listes électorales, argument défendu par la Direction générale des Élections (DGE) pour lui refuser les fiches. De quoi amener Ndiaga Sylla à  se demander ‘’pourquoi la Cour suprême a voulu repêcher l'État, alors qu'il est question ici de protéger un droit fondamental du citoyen ?’’.

Pour l’expert électoral, ‘’face à ces limites de la loi, il reviendrait au Conseil constitutionnel, une fois saisi, d'apprécier ce nouveau type de contentieux sur les candidatures qui, à (s)on humble avis, ne saurait être considéré comme prématuré’’.

Lamine Diouf

 

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