La modification de l’article 87 de la Constitution étouffée dans l’œuf
Dans sa volonté de disposer d’un ‘’droit de vie et de mort’’ sur l’Assemblée nationale, le président de la République s’est résolu à retirer le texte polémique.
En moins de cinq minutes, le président de la l’Assemblée nationale a plié l’affaire. L’absence des deux ministres chargés de défendre les projets de loi modifiant la Constitution, le Code électoral et le Code de procédure pénale mettait la puce à l’oreille. Introduit sous quelques applaudissements de députés de la majorité, Amadou Mame Diop n’a pas perdu de temps en demandant le décompte des députés présents lors de cette première séance extraordinaire de l’année. Cent cinquante-huit parlementaires répondent à l’appel.
Le quantum nécessaire à la tenue de la séance du jour est largement dépassé. Raison pour laquelle le président de l’Assemblée nationale a prononcé l’ouverture de la séance. Tirés de leurs vacances par une procédure d’urgence lancée par le président de la République Macky Sall, les députés étaient convoqués hier pour se pencher sur les projets de loi portant révision de la Constitution modifiant la loi n°65-61 du 21 juillet 1965 portant Code de procédure pénale et modifiant la loi n°2021-35 du 23 juillet 2021 portant Code électoral.
Des appels au règlement ignorés
Cette ouverture a juste permis à Amadou Mame Diop de suspendre la séance et de convoquer la conférence des présidents (composé du président de l’Assemblée nationale, des vice-présidents, des présidents de commission, du rapporteur général de la Commission finance et du contrôle budgétaire, les présidents de groupe parlementaire et du représentant des non-inscrits) qui va établir le calendrier de travail, et de clore la séance.
Mais ce fut sans tenir compte des appels au règlement lancés par des députés de l’opposition. Parmi eux, le député de Pastef Ayib Daffé. Le parlementaire tenait à plaider pour un absent du jour : le président du groupe parlementaire Yewwi Askan Wi, Birame Soulèye Diop.
Le mardi 11 juillet, le cadre de Pastef a été placé sous mandat de dépôt, information judiciaire ouverte contre lui pour "pour actes de nature à compromettre la paix publique, offense au président de la République". Une violation flagrante de la loi, selon son collègue, concernant un député qui bénéficie d’une immunité parlementaire.
En effet, soutient Ayib Daffé, ‘’ce qu’il a dit, il l’a fait devant tous les Sénégalais. Il doit être jugé en flagrant délit, la seule condition qui puisse justifier son interpellation. C’est ce que nous voulions rappeler à l’Assemblée nationale afin qu’elle prenne ses responsabilités. Son inculpation viole le règlement intérieur de l’Assemblée et la Constitution. Sans procédure de flagrant délit, toute arrestation d’un député doit se faire après la levée de son immunité parlementaire’’.
Une résolution du bureau de l’Assemblée nationale pour libérer Birame Soulèye Diop
Un projet de résolution a été déposé sur la table du président de l’Assemblée nationale par les députés de l’opposition, pour l’arrêt des poursuites contre Birame Soulèye Diop. Cette résolution, qui sera votée en plénière, a déjà reçu le soutien du président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar (majorité) Oumar Youm ainsi que celle de beaucoup d’autres parlementaires.
Bien qu’elle soit faite en mode Fast track, l’ouverture de la session extraordinaire a laissé place à la réunion de la conférence des leaders. Les projets de loi vont passer en commission technique d'abord, avant d'être examinés en séance plénière pour les discussions et le vote.
Cette plénière à venir est certainement très attendue par les députés, en raison de la vive polémique sur le projet de loi portant révision de la Constitution. La modification de l’article 87 de la Constitution introduite par le gouvernement dispose, selon l’exposé des motifs, que ‘’pour répondre aux nécessités de rationalisation du calendrier électoral et d'une meilleure harmonisation des rapports entre le pouvoir Exécutif et le pouvoir Législatif, il est procédé à la suppression de la période pendant laquelle il ne peut être procédé à la dissolution de l'Assemblée nationale’’.
Abba Mbaye, Taxawu Sénégal : ‘’Quoi qu’il nous en coûte, on votera contre ce texte.’’
En son état actuel, l'article 87 dispose que le président de la République ne peut dissoudre l'Assemblée nationale avant l'expiration d'un délai de deux ans qui suit son installation. En conséquence, la présente législature ne peut être écourtée qu'après septembre 2024, c'est-à-dire six mois après l'installation du nouveau président de la République, en février prochain.
Ce texte qui menace tout bonnement le mandat des députés n'est pas du goût des parlementaires. Bien qu’ayant répondu positivement à l’appel au dialogue du président de la République en juin dernier, les députés de Taxawu Sénégal ont catégoriquement refusé cette modification de l’article 87 de la loi fondamentale. Et cela a été bien résumé par Abba Mbaye : ‘’On a vu un exposé des motifs qui nous dit qu’il faut rationaliser le calendrier électoral. Comment peut-on nous dire, dans un pays qui vote un budget de 7 000 milliards F CFA, qu’on n’a pas de quoi faire des élections ? Si on veut que les populations s’expriment pour désamorcer la radicalité, il faut multiplier les élections. Quoi qu’il nous en coûte, on votera contre ce texte, en toute responsabilité et en toute maturité.’’
Même au prix du rapprochement relatif entre Taxawu Sénégal et la majorité, symbolisé par la modification du Code électoral permettant la participation de son leader Khalifa Sall à la Présidentielle de 2024 ? S’il n’évoque pas nommément cet ‘’accord’’, le député socialiste estime que dans le texte qui a été présenté, les points 29 (disposition sur le parrainage) et 87 ont été donnés sous format d’article unique. ‘’Donc, s’il faut renoncer au parrainage, nous sommes prêts à le faire. Mais ce serait une cassure dans les concertations que nous avons eues avec les acteurs politiques. Pour nous, le rejet de l’article 87 emporte le rejet de l’article 29. C’est une conséquence juridique’’ tel que le projet est libellé.
Thierno Alassane Sall : ‘’On demande à l’Assemblée de se suicider et se délester du semblant de pouvoir qu’il lui reste.’’
Pour justifier ce rejet, le député Thierno Alassane Sall invoque un grand recul pour la démocratie. En effet, argumente-t-il, ‘’le président de la République pourra dissoudre l'Assemblée nationale sans même qu’il y ait au préalable une motion de censure. Au parlement qui n’avait aucun pouvoir, on lui demande de se suicider et se délester du semblant de pouvoir qu’il lui reste. Vous voyez qu’il y a même des députés de la majorité qui sont contre ce projet de loi’’.
Loin de cette position affichée des deux députés de l’opposition, Nafissatou Diallo du PDS appelle à attendre le travail de la conférence des présidents et les discussions en commission technique. ‘’Nous sommes un parti responsable. Nous n’allons pas animer un débat sur la base de rien du tout et crier avec les loups. Attendons de voir les lois qui ont été proposées, sur quelle base la saisine a été faite ? Sinon, on parle dans le vide et on tombe dans la manipulation’’, assure la coordinatrice nationale à la communication du Parti démocratique sénégalais.
Dans la soirée, un communiqué du pôle de l’opposition au dernier Dialogue politique se démarque de la modification de l’article 87 de la Constitution, faisait savoir que ce n’est pas le fruit ‘’d’un consensus du Dialogue national’ ni d’un ‘’accord’’ issu de ces discussions. C’est ainsi que dans la même note, le pôle exige ‘’son retrait pur et simple afin d’éviter de jeter le discrédit sur les importants points de consensus obtenus lors de nos discussions, tant dans la commission du Dialogue politique que dans le comité de suivi’’.
La modification finalement retirée
Face à la virulence des critiques sur la modification de l’article 87 de la Constitution, le passage polémique va finalement être retiré du projet de loi par une modification du texte. Mais selon les députés de la majorité, il s’agit d’une demande qu’ils ont eux-mêmes faite au chef de l’État. Le docteur Malick Diop explique : ‘’Nous avons notre propre appréciation par rapport aux projets de loi qui arrivent. Et nous ne voyons pas l’opportunité de déposer l’article 87. Donc, c’est nous, le groupe Benno Bokk Yaakaar, qui avons demandé le retrait de ce texte. Suite à la demande de son groupe, le président de la République a invité le ministre de la Justice à reformuler le projet de loi en supprimant cette modification de l’article 87.’’
À l’achèvement des travaux de la conférence des présidents, il a été décidé d’une réunion, aujourd’hui, de la commission des lois pour examiner la révision constitutionnelle et la modification du Code de procédure pénale. Jeudi, la séance plénière pour le vote de ces deux textes se tiendra. La modification du Code électoral ne pourra être examinée qu’après la promulgation de la révision constitutionnelle par le président de la République.
LAMINE DIOUF