Publié le 29 Sep 2020 - 05:24
PAIX, SECURITE ET DEVELOPPEMENT AU SAHEL

60 ans d’échec !

 

Pour la dernière session des webinaires organisés par l’université Cheikh Ahmadou Bamba (Ucab), la paix, la sécurité et la stabilité sociale ont été au rendez-vous, samedi dernier. Il ressort du diagnostic des experts que la principale gangrène en Afrique, c’est les dirigeants.

 

Soixante ans après les indépendances, les pays africains, particulièrement ceux du Sahel, sont toujours dans une pauvreté endémique. Malgré tous les diagnostics qui ont été faits, les remèdes prescrits, les choses semblent aller de mal en pis. Lors d’un webinaire organisé samedi dernier par l’université Cheikh Ahmadou Bamba (Ucab), les spécialistes Babacar Guèye, Serigne Bamba Gaye et Selly Ba ont largement cogité sur le thème ‘’Paix, sécurité et stabilité sociale’’. Dans son intervention, le professeur Babacar Guèye n’a pas mis de gants pour accuser les gouvernants d’être la principale gangrène.

Il déclare : ‘’Le problème principal que nous avons en Afrique, c’est celui de nos gouvernants. Nous avons un vrai problème de leadership dans nos pays. Ce qui se passe au Mali en est une parfaite illustration. Les populations maliennes ont été courageuses pour se mobiliser contre le gouvernement qui était en place et qui n’avait plus de légitimité.’’

A en croire le professeur agrégé de droit public, cette crise de la légitimité transcende le Mali et affecte presque tous les Etats du Sahel. C’est même le principal fondement des crises multiformes qui minent les Etats africains. ‘’L’Etat, souligne-t-il, a perdu sa légitimité, en raison de son incapacité à répondre aux attentes et préoccupations des populations. Et les conséquences de cette crise de légitimité sont multiples : régression des performances de l’Administration, dégradation des services publics dans les domaines de la santé, de l’éducation, du transport, de la sécurité… L’Etat a même perdu une de ses caractéristiques les plus importantes : le monopole de la violence… Il n’est plus en mesure d’assurer ses fonctions régaliennes sur l’étendue du territoire.’’

Autant de choses qu’il faudrait restaurer, selon le Pr. Guèye, pour la paix et le développement. Pour ce faire, soutient-il, il faudrait, certes, des moyens militaires, mais tout n’est pas que sécuritaire. ‘’Il faut s’attaquer au mal par la racine. Pour surmonter les défis et restaurer la légitimité de l’Etat, il convient, concomitamment aux opérations militaires, d’initier un vaste programme de développement économique et social de nos pays’’. Et cette refondation, à son avis, doit s’appuyer sur trois piliers : bonne gouvernance, approfondissement de la décentralisation et restauration de l’Etat de droit.

Jusque-là, les Etats semblent très loin de cette dynamique, si l’on en croit le constitutionnaliste. Par rapport à l’Etat de droit, il en expliquera que c’est la soumission de tout le monde, y compris l’Etat, à la loi. Il en a exposé les vertus et pour l’Etat et pour ses administrés. ‘’En se soumettant au droit, l’Etat se donne la chance d’être obéi et d’échapper à la contestation. L’Etat de droit est le cadre idéal pour l’épanouissement de la démocratie, en ce qu’il garantisse aux citoyens les droits et liberté indispensables à l’exercice de leurs devoirs civiques’’, enseigne le professeur.

Il est également largement revenu sur le concept de bonne gouvernance. Mais, à l’entendre parler, l’espoir est très mince de trouver le salut dans un horizon plus ou moins proche. ‘’Tout ce que je dis, nos gouvernants le savent très bien. Seulement, ça ne les arrange pas. Si on gouverne en respectant ces trois piliers, il n’y aura plus de vol, de malversation et de détournement. Malheureusement, nos gouvernants gouvernent selon la politique du ventre. C’est-à-dire vol, malversation et détournement. Et mettre en œuvre ces trois piliers, c’est lutter contre tout ça…’’.

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DECENTRALISATION

Pr. Babacar Guèye déchire la politique des gouvernants

Dans un contexte où le Sénégal n’a pas encore procédé à une évaluation véritable de l’Acte 3 de la décentralisation, le Pr. Babacar Guèye et le Dr Serigne Bamba Gaye semblent s’accorder sur l’échec des politiques de décentralisation.

Bâti selon le modèle jacobin, l’Etat ne serait pas de nature à mener les peuples vers le salut. ‘’Il faut, suggère-t-il, renverser cette perspective. Il faut que l’Etat soit plus décentralisé. Je pense que ce dernier modèle est le meilleur pour nos pays. Si le pouvoir est rendu aux territoires, si on permet véritablement aux populations de se sentir concernés par la gouvernance, il y aura plus d’efficacité’’.

Pour le professeur Babacar Guèye, jusque-là, les Etats ont emprunté une mauvaise voie. Résultat : ‘’Toutes nos expériences de la décentralisation se sont soldées par des échecs. Parce qu’on a pris une toute petite parcelle de pouvoir qu’on a transférée aux localités. Encore que c’est sans moyen matériel, financier et humain. Il faut donc renforcer la décentralisation.’’

A ce sujet, le Dr Serigne Bamba Gaye estime qu’il faut revoir comment sortir de l’Etat jacobin, hérité de la colonisation, pour voir comment mettre sur pied un Etat qui permet l’initiative à la base, le développement endogène, mais également la responsabilisation des populations. Il affirme : ‘’Si, sur le papier, la décentralisation existe, dans les faits, on n’a pas eu les résultats escomptés. Il n’y a pas eu le développement endogène, le développement local.’’

Aussi, analyse-t-il, cette décentralisation n’est pas corrélée à l’aménagement du territoire. Or, souligne le spécialiste des relations internationales : ‘’Une décentralisation ne peut réussir que si elle est corrélée à une politique d’aménagement du territoire. L’aménagement du territoire permet de planifier, sur le plan spatial, sur le plan économique, sur le plan social, environnemental la distribution des ressources dans un pays. Il permet la création de pôles de développement endogène permettant d’équilibrer les investissements à travers les territoires et éviter la macrocéphalie.’’

L’indépendance de la justice, un grand ‘’leurre’’ constitutionnel

Sur un autre registre, interpellé sur la convocation du président de l’Union des magistrats sénégalais Souleymane Téliko, le professeur Babacar Guèye a estimé qu’il y a, au Sénégal, un véritable problème d’indépendance de la justice. Ce, nonobstant les prescriptions de la charte fondamentale.

En effet, celle-ci érige l’institution judiciaire au rang des pouvoirs. Mais, dans la pratique, la justice est tout sauf un pouvoir. Mieux, le constitutionnaliste se demande même si elle est une autorité comme c’est le cas en France. ‘’La Constitution sénégalaise donne une place très importante à la justice. Mais si on regarde les textes qui organisent ce pouvoir Judiciaire, on se rend compte que tout n’est qu’un leurre’’. Et d’ajouter : ‘’En vérité, la justice n’est pas du tout un pouvoir, au Sénégal. Je ne sais même pas si on peut parler d’autorité comme en France.  Voilà la raison du combat de l’UMS. Voilà la raison du combat du juge Souleymane Téliko.’’

SERIGNE MAME MOR MBACKE

‘’L’Ucab, c’est pour bâtir des générations conscientes’’

‘’Pour un système éducatif endogène’’. Tel est le slogan de l’université Cheikh Ahmadou Bamba, la branche supérieure des instituts Al Azhar. Lors de la clôture, hier, son fondateur Serigne Mame Mor Mbacké a dit : ‘’L’objectif, avec cette université, est de bâtir un système éducatif basé sur nos propres valeurs. Je pense que nous n’avons pas à aller copier les valeurs des autres. Nous risquons de perdre les nôtres, sans tirer pleinement profit de ce que nous sommes allés copier, car cela ne nous appartient pas.’’

L’Ucab, insiste-t-il, a été créée pour non seulement enseigner les valeurs islamiques, mais aussi tous les savoirs qui peuvent être utiles à l’humain et à la société. C’est aussi pour barrer la route à certaines propagandes basées sur des contrevérités. ‘’Notre ambition est aussi de bâtir des générations conscientes des enjeux. Des citoyens dotés d’un esprit critique qui leur permet de ne pas adopter tout ce qu’on leur présente. Nous avons trouvé un riche héritage qu’il faut revivifier et en tirer le meilleur profit’’.

Pour Serigne Mame Mor Mbacké, l’Ucab, comme ses prédécesseurs, n’ont pas été mises en place pour renforcer un repli identitaire. ‘’Ces écoles que nous avons mises en place, de l’élémentaire à l’université, sont des lieux d’apprentissage et d’échange. Ce n’est pas des champs de guerre ou de lutte identitaire. Notre objectif est d’inculquer aux futures générations des valeurs et du savoir’’, affirme le fondateur des instituts Al Azhar.

MOR AMAR

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